Océan Indien

Christmas Island, no man’s land…

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Dans l’océan Indien sud, un surprenant petit caillou australien…

Nous ne nous faisions donc guère d’illusions sur ce caillou perdu au milieu de l’immensité océanique. Et contre toute attente, nous y passâmes 4 jours fort agréables ! Mi-août, le temps est venu d’entamer notre traversée de l’océan Indien, avec en point de mire le port de Richards Bay, en Afrique du Sud. Pas question pour nous de rentrer à la maison par le golfe d’Aden puis la mer Rouge, la piraterie y est en pleine recrudescence à cette époque. Nous avons choisi la route du retour par le sud, par le cap de Bonne-Espérance. Nous nous féliciterons de ce choix, devenu depuis un classique. Nous quittons Bali, et avec elle l’Indonésie, les coffres pleins d’avitaillement, les tanks à gas-oil full up. Devant nous, de vastes étendues océanes, à la réputation parfois chahutée, et quelques îles pour segmenter notre route maritime désormais orientée au sud-ouest. Notre première escale, c’est Christmas Island, surprenant petit caillou corallien, territoire extérieur australien situé à plus de 2 600 km de la ville de Perth, et à pas moins de 1 500 km de la province du North West Cape australien. L'île est longue d’une vingtaine de km et large de 18. Le seul et unique bourg de l’île est Flying Fish Cove. D'abruptes falaises habillent ses côtes. Les plages y sont rares. La population de l'île est estimée à environ 1 200 personnes (auxquelles il faut ajouter le millier de détenus du centre de rétention des migrants illégaux, lors de notre passage), composée majoritairement de Chinois, de Malais et enfin d’Australiens et d’Anglais. Ainsi se côtoient sur l’île des temples bouddhistes, une mosquée (une partie de la population est originaire d’Iran, d’Irak et d’Afghanistan) et une église anglicane. Le premier établissement sur l’île, jusqu’alors déserte, remonte à 1888, avec la première concession de terres obtenue par les Britanniques George Clunies-Ross et John Murray. L’analyse des échantillons de roche avait montré à ce dernier qu’elle était composée presque entièrement de phosphates richement concentrés. L’exploitation débuta en 1897 avec la fondation de la Christmas Island Phosphate Company. L'extraction de phosphates constitue encore aujourd’hui la principale industrie de l'île. Depuis 1991, les mines de phosphates sont exploitées par une compagnie appartenant à l’Union of Christmas Island Workers. La baie de Flying Fish Cove est entièrement occupée par les installations portuaires, où des navires vraquiers viennent charger les phosphates de Christmas. Dans les carrières à ciel ouvert, des nuées d’engins Caterpillar s’activent à extraire du sol corallien le précieux engrais, tandis que, sur les gravel roads (pistes), à l’intérieur de l’île, circulent à vive allure des camions géants qui alimentent le terminal de chargement…

Et un centre de détention océanique…

L'histoire récente de l'île est davantage liée à celle des migrations humaines depuis le Moyen-Orient et l’Asie, et à leur sévère répression par le gouvernement australien. Christmas Island est devenue au fil du temps l'un des principaux points de passage pour les réfugiés cherchant à gagner l'Australie, notamment en provenance d'Irak, d'Afghanistan ou du Sri Lanka, et transitant par l'Indonésie, distante de seulement quelques petites centaines de milles marins. L'île abrite depuis 2001 le plus grand centre de rétention australien, destiné à l’incarcération des migrants débarqués clandestinement, ou interceptés en mer. Il hébergeait un millier de détenus lors de notre passage, en attente d’un hypothétique visa et plus vraisemblablement d’un rapatriement dans leur pays d’origine. C’est un centre extrêmement moderne, avec caméras de vidéosurveillance, micros de détection, portes électriques, grillages électrifiés, détecteurs de mouvements, surveillance par micro-ondes, bornes d'identification des détenus, quartier pour enfants, etc. Lors de notre passage du détroit de Torrès, et notre cheminement le long des Northern Territories australiens, quelques mois plus tôt, nous avions vite compris que les Australiens ne plaisantaient pas avec l’immigration clandestine et la protection de leurs frontières ! Survol journalier de notre voilier, identification systématique des membres d’équipage, interrogatoire VHF inlassablement réitéré chaque jour… D’énormes moyens maritimes et aériens y sont consacrés, et la stratégie anti-immigration de l’Australie va jusqu’à fournir gracieusement aux îles périphériques du Pacifique des vedettes d’interception que celles-ci n’ont pas les moyens de s’offrir…

Le camp de rétention de Christmas Island est parfois comparé à celui de Guantanamo, à Cuba. Nous nous sommes laissé dire sur place que les Américains avaient envisagé de louer les installations carcérales de Christmas Island pendant les opérations militaires menées en Irak et en Afghanistan. Les côtes de l'île Christmas, idéalement placée pour la migration clandestine, ont connu hélas des naufrages tragiques qui ont fait plusieurs dizaines de morts ces deux dernières décennies. Le 15 décembre 2010, le naufrage dans du mauvais temps d’une embarcation de migrants sur la côte nord de l'île Christmas fit 27 morts et 36 blessés. Les images vidéo tournées par certains habitants de l’île avaient alors fait le tour du monde. Les conditions dans lesquelles est intervenu ce naufrage ont ébranlé le gouvernement australien, accusé d’être volontairement peu intervenu pour limiter les conséquences humaines du drame. Depuis cet évènement croise en permanence au large de Christmas Island un patrouilleur ultramoderne de la marine australienne. Au cours de notre séjour au mouillage peu abrité de Flying Fish Cove, nous n’avons jamais cessé de voir sa silhouette toute militaire évoluer à proximité de l’île. La mission première de ce chien de garde suréquipé est d’appréhender les migrants arrivant par la mer, généralement à bord d’embarcations de fortune. Il est également officiellement présent pour éviter que ne se reproduise une telle tragédie et pour apaiser une opinion publique australienne traumatisée par les images filmées par les insulaires, et diffusées par les médias… Lors de notre séjour à Christmas, l’arrivée d’une embarcation clandestine préalablement repérée par avion était annoncée, et la tension des forces de l’ordre était palpable sur l’île.

Mais les temps changent, et le gouvernement australien, lassé d’être montré du doigt par les ONG sur la scène internationale au sujet de ce Guantanamo oriental, a récemment fermé, au moins provisoirement, le centre de rétention de l’île Christmas (octobre 2018). Les migrants illégaux tentant de forcer le passage par Christmas Island y sont toujours appréhendés sans ménagement, mais ils sont immédiatement transférés et détenus désormais sur la grande île…

Et 45 millions de crabes rouges…

Autre particularité de Christmas, bien plus amusante, les fameux red crabs ! Du fait de l’isolement de l’île en plein océan, une grande partie de la faune et de la flore présente un caractère endémique. Les crabes rouges se comptent par millions sur l’île, qui connaît à la saison humide une fantastique migration de reproduction de ces innombrables bestioles, lesquelles vivent d’ordinaire dans les sous-bois, à l’intérieur de terriers solitaires qu’ils creusent au cœur des forêts humides. Ils se nourrissent de feuilles, de fruits et d’escargots. (On trouve aussi sur Christmas des gros crabes de cocotiers, qui ne dédaignent pas dévorer leurs congénères plus petits et rouge vif.) Ces charmantes créatures, nullement agressives pour l’homme, n’apprécient guère la chaleur et la sécheresse, auxquelles ils survivent difficilement. Pendant la saison sèche, ils se cachent dans leurs terriers, calfeutrés de feuilles qui conservent la fraîcheur. Ils attendent donc le début de la saison des pluies, en octobre/novembre, pour entamer leur incroyable migration vers la mer. La reproduction des crabes rouges de Christmas est synchronisée avec le cycle de la lune. Sortant de la forêt tropicale, ils se ruent vers la côte aux premières pluies de la mousson, en empruntant par colonnes entières tous les chemins disponibles. Jardins, écoles, routes, sentiers, terrain de golf, rien ne leur fait peur. L’instinct de reproduction est le plus fort. Le gouvernement a installé sur Christmas des ponts pour crabes rouges, des tunnels pour crabes rouges, pour limiter le carnage au passage des véhicules. Pendant les 3 semaines de cette formidable transhumance, les insulaires de Christmas, imperturbables, prennent le parti de la nonchalance et continuent à jouer au golf parmi des milliers de crabes, en limitant la vitesse de leurs véhicules à quelques petits km/h, évitant certaines routes interdites alors à la circulation.

Les mâles sont les premiers (suivis de près par les femelles…) à commencer la migration depuis les hauteurs de l’île jusqu’à la côte, un trajet de l’ordre de 5 à 8 km qui peut leur demander 5 à 7 jours… Ils dégringolent alors le long des falaises puis, arrivés sur le rivage, creusent des milliers de terriers temporaires (jusqu’à une quarantaine au m2), où ils s’accoupleront avec les femelles. Sitôt le job accompli, ils reprennent le chemin des hauteurs, laissant les femelles incuber leurs œufs (100 000 par individu, ordre de grandeur) pendant 2 semaines environ. Au dernier quartier de lune, à l’aube de préférence, et aux environs de la marée haute, des millions de crabes rouges femelles entament une danse vitale pour l’espèce : elles évacuent dans la mer des centaines de millions d’œufs. Au contact de l’eau de mer, les œufs éclosent en libérant les larves. Un festin pour les raies Manta et les requins-baleines, entre autres prédateurs invités à ce rite annuel. Un mois plus tard, une toute petite proportion de ces larves a survécu et grandi, ramenée sur l’estran par les vagues de l’océan. Le rivage de Christmas Island se couvre alors d’un tapis rouge vif. La longue marche des bébés crabes commence par une difficulté de taille : la falaise qu'il leur faut escalader, sous l’œil intéressé des oiseaux de mer affamés… Les rares survivants de ce cycle vital se cacheront à leur tour dans les sous-bois de l’intérieur de l’île, en attendant d’atteindre, 4 à 5 ans plus tard, leur propre maturité sexuelle.

Ils participeront alors à l’incroyable migration des crabes rouges de l’île Christmas…

 A Christmas Island, Marin a soufflé ses 14 bougies, pour son troisième anniversaire du voyage. Pour cette occasion, notre ado a pu choisir son menu du jour, typiquement anglo-saxon : hamburgers et frites ! Les joies matérielles de l’escale… Heureusement, dans le petit supermarché australien de Christmas, bien achalandé, nous avons pu trouver tout ce dont nous avions besoin pour confectionner ces big burgers ! Pour le goûter d’anniversaire, deux gâteaux, l’un au chocolat, et l’autre aux pommes. Etaient présents pour souffler les bougies nos nouveaux amis flamands de "A Small Nest" rencontrés précédemment à Lombok avec leurs trois enfants, ainsi que David, un marin solitaire américain, chef d’orchestre et vidéaste patenté. Principal cadeau d’anniversaire pour Marin : un stage de kite-surf à l’île Rodrigues, l’une de nos prochaines escales ! Happy birthday, fiston !

En fin de séjour à Christmas, nous avons loué des scooters pour sillonner les pistes de l’île, et là, ô surprise, les conducteurs des engins n’ont pas été ceux prévus au départ… Très vite, les enfants ont exigé de prendre les commandes ! Je me suis retrouvé d’autorité derrière Adélie, ravie, et Barbara derrière Marin, aux anges ! Un petit coup de vieux pour nous, parents ! Le genre d’évènement qui vous fait prendre subitement de l’âge ! Mais, au fond, quel bonheur de voir nos deux ados grandir ainsi sous nos yeux au cours de ce long voyage…

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