Multicoque

L'évolution des multicoques 1ère partie - Signes extérieurs de grandeur

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A la différence des monocoques de plaisance qui sillonnent les mers depuis plus d’une centaine d’années, cela ne fait guère plus d’un quart de siècle que les multicoques de série ont colonisé les plans d’eau. Les formes extérieures de nos récents catamarans de croisière démontrent une évolution de la demande calquée sur une nouvelle façon de naviguer. Alors, que s’est-il passé pendant ces 25 années de production ? Comment les designers et les chantiers se sont-ils adaptés à la métamorphose maritime de la clientèle ? Retour en arrière et comparaison pour tenter de comprendre.

Au début des années 90, les contraintes de sécurité et de comportement marin étaient bien assimilées sur les monocoques en polyester, au point d’orienter les efforts de développement vers plus de sophistication, mais l’essoufflement impliquait une mutation. Une des réponses fortes s’est concrétisée avec le catamaran de croisière offrant un volume considérablement plus important et l’avantage d’éradiquer la gîte, évoquant ainsi un confort terrien qui n’a pas échappé à bon nombre de navigateurs. Mais, dans les petites tailles, quelques ombres planaient encore sur des contraintes, notamment de sécurité. Les efforts consistaient alors avant tout à construire des bateaux pour naviguer sûrement, pour affronter les éléments, puisque le gain de confort était acquis naturellement par la surface habitable, par la vision au dehors et par la stabilité. Ainsi, le cahier des charges demandé à VPLP, pour le Lagoon 55 en 1987, se résumait en trois points : élégant comme un monocoque, habitable et simple de façon à être véloce. C’étaient les prémices du multicoque de série et il n’y avait pas assez de feed-back de la part des potentiels acheteurs qui, faute d’avoir assez d’expérience, devaient se satisfaire de ce qui était proposé, et c’était déjà beaucoup par rapport à un monocoque. Inutile de préciser que cela a bien changé, et ledit cahier des charge pour un actuel 52 est autrement plus conséquent, car l’écoute des souhaits du client et l’étude de sa manière de naviguer ont constitué, en soi, la plus grosse évolution, selon Olivier Racoupeau. Et difficile de satisfaire tout le monde, alors que deux catégories se distinguaient à l’époque, bateaux de course ou de croisière ; 25 ans plus tard, l’offre est segmentée en une multitude de produits, précise-t-il. Il n’y a qu’à parcourir le guide d’achat de cette année pour s’en rendre compte. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les envies, du plus petit au plus gros, rapide ou confortable, ou les deux, sophistiqué ou simple, pour le grand voyage ou le bornage estival, ou encore la régate, voire l’exploration. Alors qu’à la fin des années 80 à peine une vingtaine de modèles représentait l’offre mondiale, c’est-à-dire française à 80 %, on n’en compte pas moins d’une centaine aujourd’hui, de tous azimuts. Tous les types de navigateurs pourraient y retrouver leurs moutons à… deux ou trois pattes, mais de loin, le catamaran pour la croisière de 40 à 55’ s’apparente à la berline familiale de 4 ou 5 portes, c’est-à-dire s’approprie le gros du marché. C’est sur cette taille la plus représentative que nous allons mener notre recherche et nos comparaisons entre vétérans et contemporains, nous intéressant cette fois aux structures extérieures, avant d’investiguer sur les agencements et aménagements intérieurs dans un prochain numéro.

Evolution Multicoques

25 ans séparent ces deux versions de catamaran Outremer, et 25 cm de hauteur de franc-bord. L’aîné est talonné de près par le nouveau. La marque a su bien préserver et même améliorer les performances, tout en générant un design contemporain.

Une nouvelle attitude nautique

La grande évolution est sans conteste possible la manière dont les utilisateurs ont appréhendé la navigation au fil du temps, réclamant toujours plus de confort et d’aisance d’utilisation, jusqu’au point de circonvenir à la morphologie des multicoques modernes, en cela aidés par plusieurs facteurs déterminants. En premier lieu, la démocratisation du voyage a favorisé le développement de la gestion-location, elle-même sponsorisée par la défiscalisation. Ces flottes de charter ont permis à des usagers plus nombreux, dont certains non initiés, de croiser avec ou sans skipper vers les destinations paradisiaques où le loisir balnéaire constitue la motivation majeure, et d’en rapporter leur expérience et leurs desidérata. Et les fantastiques progrès techniques générés par la course au large – même si toutes les innovations ne sont pas transmissibles à la croisière, nous rappelle Marc Van Peteghem – ainsi que les avancées industrielles ont permis aux architectes et fabricants de s’affranchir des contraintes de sûreté et de connaître une émancipation conceptuelle plus focalisée sur le plaisir de vivre à bord et la facilité de fonctionnement. Enfin, la croissance de la grande plaisance en ce début de vingt et unième siècle a fait apparaître des catamarans custom précurseurs, comme nous le remémore Jean-Jacques Coste, dans des domaines tels que le style et le design, les grandes plages arrière pour la baignade, les dînettes et bars de cockpit avant et arrière, le flybridge et les bains de soleil à tous les étages, sans parler de l’ergonomie et de l’accastillage. Comme cela s’est passé dans d’autres secteurs comme l’habitat ou l’automobile, ces particularités ont certainement influencé les utilisateurs, considérant que ces attributs ne pouvaient, au sens propre, décemment pas rester au stade de privilèges.

Evolution Multicoques

On distingue nettement la différence de largeur de coque et l’accroissement des surfaces de pont entre ce Marquise 56 de 1990 et le tout nouveau Ipanema 58.

Evolution Multicoques

On distingue nettement la différence de largeur de coque et l’accroissement des surfaces de pont entre ce Marquise 56 de 1990 et le tout nouveau Ipanema 58.

Changements exponentiellement progressifs

Il va sans dire que les changements sont importants, le bateau n'est plus un engin servant uniquement à voguer sur les mers en toute sécurité ou rapidement, mais est surtout destiné à emmener des passagers d’un endroit de villégiature à un autre, certes sur l’eau, et s’apparente même parfois à une maison de vacance mobile sur l’eau. Et la réponse des créateurs a été progressive pour ne pas bousculer l’opinion navale. Ainsi, à partir de la silhouette d’un Marquise 56 du début 90 qui épousait visuellement aérodynamique et hydrodynamique, une première pierre a été posée avec l’élévation des roofs et leurs hublots verticaux, ainsi qu’une légère rehausse du franc-bord fin 90 début 2000, une révolution à l’époque, selon la presse idoine. Puis la tendance s’est accélérée et la fin des années 2000, et on a franchement vu les roofs avaler leur pilule de Viagra et les surfaces vitrées s’accroître proportionnellement et s’ouvrir de plus en plus, notamment vers le cockpit. Les cockpits, puisqu’on en parle, voient leur surface décupler, et on assiste même à l’apparition de mini bains de soleil à l’avant. Dans l’intervalle, la nacelle s’est rallongée ; d’une moitié, elle est passé aux deux tiers de la longueur totale. Les coques ont pris de l’embonpoint, plus hautes et bien élargies, elles ont connu la même amplification que les nacelles, passant d’un quart de la largeur à un tiers. Sur les 40’, afin d’absorber partiellement cette boulimie des flotteurs, le maître bau a augmenté de 12 %, soit presque un mètre de plus. Aussi, leur forme a évolué, et leur section est plus large à la poupe, garantissant une descente à l’eau royale. Pour en finir avec cette décennie, le bimini s’est transformé en vrai taud rigide, intégrant même le rail d’écoute de GV, et parfois une timonerie surélevée. Au début des années 2010, les choses s’accentuent : ces tauds font partie intégrante de la casquette, qui est en fait prolongée et recouvre harmonieusement le carré et le cockpit d’un seul tenant. Ah, il est vrai qu’un élément nouveau intervient systématiquement dans la conception : le design professionnel est devenu incontournable. Effectivement, pour homogénéiser cette nouvelle corpulence, les chantiers font appel à des teams d’architectes, designers, ergonomistes et stylistes qui travaillent en étroite collaboration afin de canaliser les calories qui vont continuer à être injectées par Monsieur Plus.

Evolution Multicoques

La multiplication des zones de détente caractérise les nouveaux catamarans familiaux. On peut naviguer à dix personnes en étant aussi à l’aise qu’à cinq auparavant.

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La multiplication des zones de détente caractérise les nouveaux catamarans familiaux. On peut naviguer à dix personnes en étant aussi à l’aise qu’à cinq auparavant.

Design et ergonomie

Car on ne s’arrête pas en si bon chemin, et les casquettes des 40’ accueillent maintenant de petits flys disposant de matelas, et que les grands flybridges entièrement équipés de banquettes, mini bar, timonerie et grands bains de soleil étaient réservés jusqu’alors au multiyachts, ils fleurissent désormais sur les catamarans de série de plus de 50’. Dans la famille de l’agrément maximum, ont voit apparaître des cockpits avant pourvus de petites banquettes apéritives. Dernier développement en date, le trampoline avant est remplacé par la nacelle, qui recouvre désormais toute la longueur du bateau. On peut y prendre ses repas et se prélasser sur une plage de soleil de presque 16 m² pour un 40’. Mieux, on y accède directement de l'intérieur par une ouverture au-devant du roof. Les tableaux arrière quant à eux pivotent pour former une plage de bain sur toute la largeur. Alors résumons, en 25 ans, la surface pratique sur le pont principal d’un catamaran de croisière de 42’ est passée de 45 m² à près de 85 m², la hauteur du roof de 1,75 m à presque 2 m, la largeur des coques de 1,70 m à 2,50 m, les jupes arrière de 0,50 m à 1,50 m. Sur le papier, de quoi profiter de la vie à fond, mais les chiffres ne résument pas tout, et les grands progrès n’ont pas été uniquement réalisés sur la surface disponible, mais aussi en design et en ergonomie d’utilisation. Patrick le Quément nous livre à ce sujet que "la grande avancée a résidé dans une réflexion globale menée avec tous les intervenants conceptuels et manufacturiers". "Un roof doit s’intégrer parfaitement dans une casquette, mais la vision sur l’étrave opposée depuis le poste de barre est obligatoire", selon Franck Darnet, qui s’occupe entre autres de l’ergonomie des cockpits. Ainsi, non seulement le design s’est concentré sur l’aspect esthétique afin d’assimiler sans lourdeur ces nouvelles mensurations et de générer une silhouette élégante et un lignage reconnaissable, mais il a aussi intégré de nombreux paramètres ergonomiques visant à améliorer l’usage, que ce soit pour la détente ou pour la facilité des manœuvres.

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L’ergonomie des postes de manœuvres apporte une grande facilité, y compris pour les novices. On y tient à plusieurs sans se gêner.

Force est de constater que ce travail a porté ses fruits, et il suffit de naviguer quelques milles à bord pour se rendre compte du bien-être obtenu, les assises sont confortables et bien disposées, exit les hiloires qui vous tailladent le dos et vous donnent le torticolis, les manœuvres tombent naturellement sous la main. Plus besoin d’aller se faire rincer au pied de mât ; border, choquer, prendre un ris se fait en solo sans quitter le poste de barre, le plan de circulation est minutieusement disséqué afin de ne plus mêler zones de détente et zones de travail, et de ne plus se gêner au sein d’un même poste. D’ailleurs, on peut se retrouver à dix ou douze sans s’en rendre compte à bord d’un 40’ actuel, alors que cela était presque impossible sur un 50’ vintage. De la place à revendre pour toute la famille, et même les amis des amis, tous ravis, les matelas et coussins placés là où on a envie de se reposer. Très bien, mais cela a un coût, et sa monnaie s’appelle "kilogramme". Alors que la surface de voile n’a pas évolué, 90 m ² au près pour un 42’, le poids, lui, est passé de 7,5 à 13,5 tonnes, pratiquement le double. Quant à la hauteur de la bôme, elle culmine parfois à plus de 4 mètres au-dessus de l’eau, et on ne parle pas de surface mouillée, bien plus conséquente, ni de la résistance à l’avancement. Si les progrès effectués sur les carènes permettent de donner le change dans un vent bien établi (les polaires sont équivalentes par 20 nœuds de vent entre un catamaran de 1990 et son homologue actuel, soit 10,5 nœuds à 90°), on peut légitimement se poser la question de ce qu’il advient dans les petits airs et le medium. Eh bien, là encore, quelques stratagèmes architecturaux-stylistiques ont permis de faire progresser aussi les performances. Avec les étraves droites, la longueur de flottaison procure une arithmétique plus favorable, et la glisse des carènes au portant a été bien améliorée. L’apparition de redans au-dessus de la flottaison procure une surface des coques généreuse sans trop empiéter sur la surface mouillée. Enfin, le récent recul des mâts sur le roof et la présence d’espars de voile de portant (et les voiles de portant modernes se portent à partir de 50° du vent) autorisent une voilure avant beaucoup plus importante, en taille et en spectre, permettant de se déhaler de manière très convaincante et de faire de belles moyennes dans toutes les conditions, d’autant plus qu’elles sont commodes à mettre en œuvre. Il n’y a qu’à regarder les résultats des rallyes transatalantiques comme l’ARC pour s’en convaincre. Les temps de traversée sont similaires depuis des années entre doyens et adolescents, voire souvent améliorés par les nouveaux. Les moyennes de 200 milles quotidiens s’accomplissent plus sereinement qu’auparavant, et on arrive en forme de l'autre côté, ce qui n'était pas forcément le cas il y a 20 ans !

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La navigation "en bon père de famille" est de loin le segment le plus important sur lequel les constructeurs se sont largement focalisés.

De l’intérêt des niches

Mais souvenez-vous que, selon les statistiques, vous n’avez que peu de chances de vous retrouver dans la catégorie des accros à la performance. Mais si c'est le cas, vous n’avez que l’embarras du choix, de l’embarcation rapide à l’engin de pur sport dédié à la seule vitesse. Ou, si vous préférez bourlinguer et monter au Spitzberg, le choix d’un catamaran de voyage ultra préparé est aussi possible. Autant de niches qui répondent à chaque profil de navigateur, mais le défi de demain, nous confie Olivier Racoupeau, accapare encore le multicoque de croisière de grande série, qui va tendre infailliblement, dans sa quête de séduction de toujours plus de navigateurs, vers une plus grande facilité de mise en œuvre, voire une automatisation complète des plans de voilure. A suivre...

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On voit bien la différence d’accès à l’eau entre un 56’ première génération et un 40’ nouveau cru.

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