Numéro : HS24
Parution : Août / Septembre 2025
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Parler d’« antifouling bio » relève de l’oxymore : une peinture antisalissures est, par définition, un biocide destiné à tuer ou empêcher l’adhérence d’organismes vivants. Cela entre en totale contradiction avec le concept de « bio », généralement associé à des pratiques naturelles, non toxiques et respectueuses du vivant. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’en Europe, la promotion d’antifoulings « bio » soit formellement interdite par la loi. En creusant un peu le sujet, on mesure rapidement que, face aux enjeux environnementaux croissants et à la pression réglementaire, les fournisseurs d’antifoulings naviguent en eaux troubles – c’est le cas de le dire. Entre les tentatives de développement de solutions moins agressives pour l’environnement et l’émergence d’alternatives ou compléments aux antifoulings, une question se pose : quel avenir pour les traditionnelles peintures antisalissures ?
Le vent commence à dépasser gentiment les 8 nœuds réels, le spi est parfaitement stable, le trimaran ne fait qu’accélérer. Je prends la barre pour vérifier que tout va bien : pas une vibration, le multicoque glisse sans effort, que du bonheur !
Naviguer avec une carène et des appendices propres n’est pas seulement une affaire d’entretien ou de consommation au moteur, c’est aussi la garantie de profiter pleinement des sensations sous voile.
Ma rêverie est interrompue par la sonnerie du téléphone - un appel WhatsApp plus précisément. Starlink oblige, on ne peut même plus être tranquille au milieu du golfe de Gascogne ! Tiens, c’est Emmanuel, l’éditeur de Multicoques Mag… « Salut Brieuc, ça se passe bien ton convoyage ? Dis, j’ai un service à te demander… » Bref, après cinq minutes d’échange, j’ai hérité de l’épineux sujet Antifouling pour le prochain hors-série Forever Green du magazine… et je sais que la mission ne va pas être simple ! Commençons par un petit tour des différentes législations avant d’attaquer le fond du problème.
L’objectif d’un antifouling n’est pas seulement de ralentir la formation de salissures sur les œuvres vives d’un navire, mais aussi de limiter la diffusion d’espèces invasives par le biais des coques de bateaux de passage, un enjeu majeur en Europe, notamment dans les aires marines protégées, ou dans des zones encore relativement préservées comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La première grande mesure pour réglementer les peintures antisalissures est apparue en 1998 sous l’impulsion de l’International Maritime Organisation, une des agences des Nations Unies, en charge de réglementer la sécurité, la sûreté et la performance environnementale du transport maritime international. L’IMO est à l’origine de la convention internationale sur le contrôle des systèmes antisalissure nocifs sur les navires (AFS). Adoptée en 2001, entrée en vigueur en 2008, elle interdit l’utilisation de revêtements et peintures au tributylétain (TBT), un biocide extrêmement toxique et polluant organique persistant.
En Europe, l’encadrement est même renforcé car le TBT a été interdit dès 2003 ainsi qu’un début d’encadrement des aires de carénage, par la mise en place de la Directive Biocide. Seule une douzaine de substances actives sont autorisées, essentiellement à base de cuivre ou de zinc, après étude d’impact. Depuis 2018, les industriels sont soumis à une autorisation de mise sur le marché et la publicité est encadrée : les termes « bio », « sans danger » et « non toxiques » sont interdits….
Aux États-Unis, les mesures sont ciblées et progressives, à l’image de ce qui se fait en Europe avec une interdiction au niveau fédéral du TBT dès janvier 2003. Certains Etats ont renforcé la législation fédérale avec pour velléité d’interdire le cuivre à plus ou moins long terme et en mettant en place un contrôle strict des lixiviats issus des zones de carénage.
Pour résumer, la suppression du TBT au début des années 2000 a obligé les industriels à reformuler leurs peintures et à travailler sur une meilleure « décharge » du biocide dans le temps. Nous nous souvenons tous des conversations dans les bars des Yacht Clubs autour du sujet des antifoulings « qui marchent beaucoup moins bien ! » Concernant les peintures et revêtements « fouling release », comme ils ne contiennent pas de biocide, ils sont pour le moment très peu règlementés.
En réalité, l’état de l’art est assez simple : soit vous appliquez une peinture qui libère des biocides destinés à tuer les organismes qui cherchent à coloniser votre carène (antifouling), soit vous optez pour une peinture ou un revêtement qui vise à empêcher leur adhérence (fouling release).
Dans les antifoulings, nous retrouvons trois grandes familles :
Ils sont adaptés aux bateaux rapides comme les powercats, qui peuvent beacher ou que vous pouvez stocker sur une remorque entre chaque sortie. Ce sont également ceux utilisés sur les multicoques de course car ils permettent une meilleure préparation de carène et donc de glisse. En revanche, ils nécessitent un nettoyage fréquent à l’éponge afin de conserver leur efficacité, ce qui n’est pas toujours simple pour un grand multicoque en raison des interdictions de caréner en plongée dans la plupart des ports et du coût et de la disponibilité des équipements de levage.
Ceux-là libèrent progressivement leurs agents biocides au fur et à mesure que la couche de peinture s’use au contact de l’eau. C’est un produit plus polyvalent pour un multicoque qui navigue de façon irrégulière, dans des zones à fort développement de salissures comme les Caraïbes ou des conditions portuaires difficiles. Pour être efficace, un érodable doit avoir suffisamment d’épaisseur pour être efficace dans le temps.
Ce sont un peu la Rolls-Royce des peintures antisalissures, généralement appliquées par des professionnels. Contrairement aux antifoulings érodables classiques, le film de peinture SPC se désagrège de manière contrôlée par réaction chimique, y compris à vitesse nulle. Ce polissage progressif assure une libération constante et maîtrisée des biocides, ce qui se traduit par une meilleure efficacité et une plus grande longévité. Bien sûr, ces peintures sont nettement plus coûteuses, mais comme nous le verrons plus loin, leur généralisation sur les multicoques pourrait s’avérer un choix judicieux à moyen terme.
Classiquement, la formulation des antifoulings est basée sur des précurseurs de cuivre qui en s’oxydant au contact de l’eau de mer se transforme en Cu++, qui est un biocide efficace. Les solutions de « fouling release » constituent une alternative non-biocide aux antifoulings classiques. Plutôt que de tuer les organismes, elles cherchent à empêcher leur adhérence à la carène en rendant la surface lisse, souple ou glissante.
Deux solutions techniques existent ; commençons par les peintures silicones, qui créent une surface ultra-lisse et hydrophobe, empêchant les organismes de s’y fixer durablement. Pas de biocide, la peinture s’auto-nettoie en navigation. Sur le papier c’est la solution miracle mais dans la pratique, c’est loin d’être aussi simple : ce sont des peintures fragiles (leur faible résistance mécanique peut entraîner un relargage de microfragments dans l’environnement en cas de chocs ou d’abrasion) et dont l’application nécessite des installations dédiées car le silicone peut encrasser et polluer durablement les équipements. Quant aux déchets, ils sont compliqués à recycler : une fois secs, les résidus de silicone ne sont ni biodégradables ni facilement recyclables.
Intéressons-nous maintenant aux films adhésifs techniques : ces revêtements, une fois collés sur les coques, empêchent l’adhérence des organismes grâce à leur structure physique ou à leurs propriétés de surface. À l’instar des peintures siliconées, il s’agit d’une technologie encore émergente, qui doit faire ses preuves dans la durée. Là encore, en théorie, les avantages sont séduisants : zéro biocide, réparation ou remplacement aisé en apparence. Mais la réalité est plus nuancée : la pose exige une parfaite maîtrise technique, un état de surface impeccable, et la durabilité est soumise aux aléas de la navigation. Le ragage d’une écoute passée subrepticement sous la coque, un choc avec un OFNI (objet flottant non identifié), ou pire, l’invasion de crépidules faute de nettoyage régulier… tout cela peut vite compromettre l’efficacité du film. Je peux vous en parler en connaissance de cause : je navigue actuellement sur une unité en aluminium de 90 pieds équipée d’un revêtement MC Glide (le fabricant n’est plus en activité). Même si la carène reste particulièrement propre en navigation, j’observe de plus en plus d’accrocs dans le film, et je ne vous cache pas que je redoute le jour où il faudra tout déposer… tant l’opération semble complexe et coûteuse.
Concernant les peintures antisalissures, la tâche est complexe pour les industriels et les chercheurs qui se penchent sur le sujet. Il est en effet extrêmement difficile de trouver un biocide naturel à large spectre. Une molécule issue d’une éponge marine, par exemple, pourra montrer une certaine efficacité contre des micro-organismes, mais se révéler totalement inefficace contre les mollusques ou les balanes.
Nous en sommes donc encore au stade de la recherche fondamentale, même si certains acteurs, comme la Région Bretagne en France, investissent activement dans des programmes de recherche pour tenter de développer des solutions plus respectueuses de l’environnement. D’un point de vue économique, le coût de la réglementation, de l’homologation des nouveaux biocides et de l’obtention des autorisations de mise sur le marché constitue un frein majeur à la recherche de solutions techniques innovantes.
D’un point de vue marketing, pour se donner un vernis « écologique », certains industriels proposent des peintures où le cuivre est remplacé par le zinc, ce qui honnêtement ne change pas fondamentalement l’impact environnemental. D’autres « nous vendent des saucisses » en clamant haut et fort que leurs produits sont « TBT Free » sachant que cette molécule, on l’a vu plus haut, est interdite depuis 25 ans… L’enjeu technique pour les industriels réside plutôt dans l’amélioration des produits existants, notamment en optimisant le largage de biocides dans le temps.
Concernant les revêtements fouling release, les solutions techniques seront peut-être plus simples à développer à l’avenir, en raison de l’absence de biocides. Mais là encore, le coût de mise en œuvre et la fragilité des matériaux restent de sérieux freins à leur adoption à grande échelle. Prenons l’exemple du Finsulate : un revêtement fibreux à base de nylon et de polyester, inspiré de la texture de l’oursin pour limiter l’adhérence des organismes marins. S’il est plébiscité par certains utilisateurs, d’autres pointent une efficacité insuffisante dans certaines zones géographiques ou après une saison. Et au final, ses composants synthétiques ne sont pas irréprochables d’un point de vue environnemental.
Parmi les solutions émergentes, l’ultrason se distingue par son approche aussi discrète qu’innovante. Sans peinture ni biocide, ce système repose sur un principe physique : l’émission de vibrations à haute fréquence qui se propagent dans la coque du bateau et perturbent l’installation des micro-organismes marins. Les transducteurs, fixés à l’intérieur de la coque, créent un environnement acoustique défavorable à la fixation des larves. Invisible et silencieux, ce dispositif agit en continu, aussi bien au mouillage qu’en navigation. Une solution en apparence séduisante mais dont la promesse technologique a ses limites. L’efficacité varie selon le matériau de la coque ; elle est optimale sur l’aluminium ou l’acier, plus incertaine sur le bois ou certains composites. Et si les ultrasons découragent efficacement les premiers stades d’encrassement, ils ne font pas le poids face aux crépidules installées.
Enfin, l’installation représente un investissement non négligeable, et dans la majorité des cas, ce système ne remplace pas totalement un antifouling mais vient plutôt en complément, pour prolonger la propreté de la carène entre deux carénages.
Une autre alternative, considérée comme un retour à l’âge de pierre pour certains, comme le nec plus ultra pour d’autres, est l’antifouling permanent au cuivre : c’est un revêtement de carène conçu pour durer plusieurs années (jusqu’à 10 ans), en s’appuyant sur une formulation très riche en cuivre (souvent en poudre ou en feuilles) et une structure dure et non ablative. Contrairement aux antifoulings classiques à renouveler chaque saison, ces produits forment une barrière stable, destinée à empêcher durablement la fixation des organismes marins. Pour être efficace, ce type d’antifouling doit être réactivé par ponçage très fréquemment ce qui libère à chaque fois une grande quantité de cuivre…
Notre industrie repose sur un paradoxe : protéger l’environnement tout en utilisant des produits qui lui sont, par nature, nuisibles. En attendant que la recherche en biotechnologie progresse et offre de véritables alternatives, la meilleure manière de limiter notre impact est d’adopter une approche rationnelle dans l’utilisation des produits existants.
Nos multicoques sont souvent de grandes unités, coûteuses à manutentionner. Il devient alors pertinent de privilégier des antifoulings de qualité, plus durables, même s’ils sont plus onéreux à l’achat. On peut en optimiser la longévité en stockant les bateaux à terre pendant les périodes d’hivernage, ce qui, soyons réalistes, reste un casse-tête logistique pour un multicoque en raison de son encombrement.
Une alternative intéressante consiste à protéger la carène à flot avec des systèmes comme les bâches K-REN (voir encadré). Le dispositif peut sembler contraignant à mettre en place, mais s’il permet d’éviter une manutention coûteuse et de doubler la durée de vie de la peinture sous-marine, le jeu en vaut largement la chandelle.
Enfin, un autre levier d’action réside dans la qualité de l’application elle-même. L’époque où l’on badigeonnait d’antifouling au TBT le croiseur familial avec un rouleau sur un banc de sable entre deux marées est heureusement révolue. Aujourd’hui, mieux vaut faire appel à des professionnels qui appliqueront les produits dans de bonnes conditions, avec les bons outils, sur des aires de carénage conformes. Cela a un coût, bien sûr, mais aussi une réelle valeur environnementale.
Quand on parle d’antifouling à l’échelle mondiale, le segment des multicoques de croisière apparaît comme une véritable goutte d’eau dans l’océan. La marine marchande compte aujourd’hui plus de 106 000 navires commerciaux, porte-conteneurs, pétroliers, vraquiers, dont chacun consomme plusieurs milliers de litres d’antifouling par an. En face, les multicoques de croisière représentent moins de 30 000 unités dans le monde, avec une consommation moyenne de 10 à 15 litres par carénage. Même en supposant un carénage tous les deux ans, cela ne représente que quelques centaines de milliers de litres par an, soit moins de 0,5 % des volumes globaux.
Mais n’oublions pas que cette flotte de multicoques est massivement concentrée dans des régions écologiquement sensibles - lagons tropicaux, archipels coralliens, zones marines protégée - et qu’il est de notre responsabilité collective de contribuer à leur préservation.
Interdiction de l’Irgarol :
L’EPA (Environmental Protection Agency) a officialisé l’interdiction de l’Irgarol (TBT) comme ingrédient actif dans les peintures antifouling en raison de sa toxicité pour les plantes marines et de sa contribution au blanchissement des coraux. Cette interdiction est entrée en vigueur le 1er janvier 2023 et concerne l’ensemble du territoire américain, y compris la côte Est. Il n’existe pas d’interdiction fédérale sur les peintures antifouling au cuivre. Toutefois, l’EPA a identifié le cuivre comme un polluant préoccupant pour les environnements marins. Des études ont démontré que le cuivre dissous peut nuire à la faune marine, ce qui a conduit à l’adoption de réglementations locales dans certaines zones sensibles.
État de Washington (côte Ouest)
L’État a mis en place une législation visant à éliminer progressivement les peintures antifouling au cuivre sur les bateaux de plaisance. Initialement, l’interdiction de la vente et de l’application de peintures contenant plus de 0,5 % de cuivre devait entrer en vigueur le 1er janvier 2026. Cependant, en raison du manque d’alternatives aussi sûres et efficaces, le Washington Department of Ecology a reporté son application, avec un nouveau rapport attendu pour le 30 juin 2029.
Californie (côte Ouest)
La Californie régule l’usage des peintures antifouling au cuivre en limitant le taux de lixiviation à 9,5 microgrammes par centimètre carré et par jour, notamment dans des zones sensibles comme Marina del Rey ou le port de San Diego. L’objectif est de réduire la pollution au cuivre dans les environnements marins fragiles.
Les plaisanciers de ces deux États sont donc incités à utiliser des peintures au cuivre à faible taux de lixiviation ou à explorer des alternatives plus respectueuses de l’environnement.











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