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Les Bermudes

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La croisée des chemins

Après une saison supplémentaire en Caraïbe, le projet de cette année était de se diriger vers l’ouest, en route pour le canal de Panama et l'océan Pacifique. Mais nous n’avions pas fait autant de route que nous le souhaitions l'année dernière lors de notre périple le long de la côte est américaine. Ce retard, combiné avec la menace d'un épisode El Niño – j'ai déjà traversé le Pacifique pendant une année El Niño –, nous a décidés à nous diriger au nord de nouveau pour visiter le Maine et la Nouvelle-Ecosse. En partant des BVI, les Bermudes semblaient une escale logique pour relâcher sur la route. Le World Cruising Handbook de Jimmy Cornell considère que les Bermudes "ont peu à offrir en termes de croisière"... mais nous naviguions en compagnie d'amis qui bénéficient des informations les plus fiables en matière de navigation grâce à une bonne connaissance du terrain.
Nous avons fait la clearance de sortie à Spanish Town, Virgin Gorda, et nous avons levé l'ancre le 16 mai. Un certain nombre de bateaux empruntaient notre route en même temps que nous ; certains à destination de la Nouvelle-Angleterre, les autres pour l'Europe via les Açores. Les Bermudes constituent un arrêt pratique pour ces deux routes : c’est l'une des raisons pour lesquelles l’archipel voit passer chaque année mille voiliers environ.

Croisière aux Bermudes

Notre Athena 38 profite des mouillages bermudiens avant de remonter vers le nord.

Notre passage au nord

Les conditions de navigation étaient tout simplement parfaites pour nous : quatre jours avec un vent d'est entre 12 et 20 nœuds, qui tournait lentement vers le sud avant de s’évanouir complètement le cinquième jour. Il y avait une houle sensible d'est, mais cela n'a posé aucun problème pour notre catamaran. Nous sommes restés en contact avec nos amis sur un autre voilier pendant cette traversée. Leur catamaran sud-africain de 44 pieds est plus rapide que nous, mais avec leur nacelle beaucoup plus basse que la nôtre, leur bateau est vite devenu inconfortable. Ils n’ont pas pu suivre la route directe, ce qui les a conduits, en tirant des bords pour trouver le bon angle par rapport aux vagues, à faire plus de distance. Nous sommes arrivés presque en même temps, après avoir parcouru une centaine de milles de moins qu'eux. Une autre confirmation que nous avons choisi le bon bateau ! Et si d'autres preuves étaient nécessaires, nous étions en communication avec trois monocoques qui sont partis un jour après nous. Ils prenaient des conseils météo de routage depuis la terre par l'intermédiaire de la BLU – je préfère pour ma part télécharger les fichiers Grib et me faire ma propre opinion. Le conseil qui leur a été donné était d’éviter un système météo qui progressait vers eux en poussant au sud du 24°N. Cela a été confirmé par le vent faiblissant et les précipitations de notre dernier jour, mais j’étais certain que nous serions bien aux Bermudes au moment où le mauvais temps arriverait, aussi, nous n’avons pas molli…
Deux de nos amis monocoques ont pris la cape pendant plusieurs jours dans 30 à 40 nœuds de vent, sans avaries, mais sans trop de plaisir, et le troisième a rebroussé chemin et fait route vers Puerto Rico. Nous, nous étions déjà, à ce moment-là, réfugiés dans un abri sûr. Nous avons fait route au moteur le dernier jour, et malheureusement, notre hélice bâbord s’est retrouvée bloquée dans des cordages après quelques heures. Comme cela nous a semblé compliqué de dégager l’hélice en mer, nous avons continué sur un seul moteur sans aucun problème.
Après nous être signalés par VHF, nous nous sommes engagés dans l’étroit chenal de Town Cut, qui mène à Saint George’s Harbour, et nous étions au quai des douanes à la fin de notre cinquième jour de mer. Comme nous approchions, deux agents sont sortis pour nous aider à nous amarrer. Après des milliers de milles parcourus en croisière, c'était une première… Je commence déjà à aimer cet endroit ! Avec avoir rapidement et facilement réglé les formalités, nous avons quitté le quai pour mouiller à l'est d’Ordnance Island. L’hélice prisonnière pouvait bien attendre le lendemain.

Croisière aux Bermudes

Les fameuses grottes, qui étaient jadis utilisées par les contrebandiers.

Un archipel de 150 îles

Les Bermudes sont en fait composées d'environ 150 petites îles ; les plus grandes sont reliées par des chaussées et des ponts. Elles sont baignés par les eaux chaudes du Gulf Stream, du coup, c’est ici que se trouvent les récifs coralliens les plus au nord de l'océan Atlantique. Le corail entoure donc les îles, s’étendant à de nombreux milles des côtes. Les dangers de ces barrières de corail sont mis en évidence par le fait que les Bermudes prétendent avoir plus de naufrages au kilomètre carré que n'importe où ailleurs sur terre. Peut-être est-ce pour cela que les voiliers de passage ont tendance à rester uniquement à St. George’s, tout au nord-est de l’archipel, leurs équipages préférant visiter les îles par la route.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, quelques amis sur un autre bateau connaissent bien l’archipel pour l’avoir visité à de nombreuses reprises. A l’annonce de l’arrivée de la dépression, nous avons suivi leurs conseils et levé l’ancre. Nous avons navigué avec eux en empruntant Ferry Reach, le canal étroit qui sépare les îles de St George’s et St David pour mouiller à nouveau à l’abri de Shelly Bay pour parer le coup de vent. Apparemment, le lendemain, au large, le vent soufflait à force 8, mais nous n’avons pas relevé ici plus qu’un gros 4 Beaufort. Toute la famille a apprécié de jouer sur la plage, la visite de l'aquarium et le zoo à proximité. Sûr que c’était la baston à bord d’un monocoque, à la cape par 40 nœuds !
Après quelques jours, le vent soufflait de l'ouest, mais avait bien molli. Nous avons quitté nos amis et avons continué tout seuls vers un mouillage pour une nuit à Clarence Bay. Ici, nous avons marché jusqu'à la colline en pénétrant dans des grottes utilisées par les contrebandiers d’autrefois, et flâné autour d’Admiralty Park. Plongeurs passionnés, nous avons été heureux de trouver le local du Bermudes Sub-Aqua Club, qui nous a réservé le meilleur accueil, et nous avons pu apprécier une super soirée dans le club-house.
Le lendemain matin, nous levons l'ancre et poursuivons notre navigation vers Hamilton, la capitale des Bermudes, où nous jetons l'ancre pour la journée juste à l'est de l'île de White. Ne restait qu’un court trajet en annexe pour être à Hamilton pour le déjeuner. Comme le reste de l'île, Hamilton est propre, soignée et évidemment super entretenue. Les gens sont gentils et polis. Après quelques milles en fin d’après-midi, nous avons pu tirer le meilleur parti du faible tirant d'eau de notre cata, juste à côté du mouillage de Long Island, à l'abri de plusieurs petits îlots pittoresques. Dans l'eau claire, nous pouvions voir beaucoup de poissons autour du bateau, aussi, nous nous sommes dit qu’il était temps de penser au dîner, et donc avons décidé qu'il était temps pour le dîner. Assez rapidement, Lorraine a attrapé deux Bermuda Chub, en utilisant seulement une ligne à main. Ils sont partis tout droit sur la grille du barbecue, on ne pouvait pas les déguster plus frais !

Croisière aux Bermudes

Il suffit de tremper sa ligne pour sortir son déjeuner. Difficile de faire plus frais…

Le plus petit pont-levis au monde. Et un peu d'histoire …

La nuit suivante a été calme pour nous, ancrés dans la baie de Riddell, puis le lendemain matin cap sur l'île Somerset, où nous jetons l'ancre au large de Fowle’s Point. De là, nous avons pris le dinghy jusqu'au pont Somerset Bridge, qui relie l'île au continent. Celui-ci est signalé comme étant le plus petit pont-levis en service au monde. Il remonte aux alentours de 1620, bien que je doute beaucoup que la structure soit originale. Dans le centre du pont se glisse un panneau de bois mesurant seulement 35 cm de large. Il peut être enlevé pour permettre à un bateau avec un mât haubané de glisser à travers la fente. Nous sommes allés fureter sous le pont avec l’annexe, mais nous ne l’avons pas vu fonctionner. Une image du pont figure au verso du billet local de 5 livres – la livre des Bermudes est équivalente à la livre sterling. Il ne nous en reste plus… L'après-midi suivant, à l’issue de 30 minutes de moteur plein nord, nous ancrons au sud de l'arsenal, afin de rejoindre des amis mouillés là eux aussi. Une rapide virée en annexe nous mène à terre, au cœur de l'ancien quartier des docks, désormais consacré au tourisme. C’est ici, dans ce quartier historique des Bermudes, que les énormes bateaux de croisière débarquent leurs milliers de passagers.
Le Royal Naval Dockyard était la principale base de l'Ouest-Atlantique pour la Royal Navy britannique depuis la guerre d'Indépendance américaine jusqu'à la guerre froide. Mais l'histoire des combats maritimes aux Bermudes remonte bien avant. On sait qu’au 16e siècle, les pirates et les corsaires français ont utilisé les Bermudes comme une base à partir de laquelle ils pouvaient préparer des attaques contre les navires espagnols de retour du Nouveau Monde. Au cours de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, les navires de guerre basés ici ont joué un rôle important dans la protection des convois de navires marchands. Le chantier naval de l’archipel a finalement fermé ses portes au cours des années 1950. Jusqu’en 1995, l'US Navy et la Marine Royale canadienne ont maintenu une présence aux Bermudes. A partir des années 1980, une grande partie de la ville s’est adaptée au tourisme. Beaucoup de bâtiments ont été rénovés et le quartier historique abrite aujourd'hui un musée maritime et un centre commercial. Ce dernier est vraiment destiné aux passagers de navires de croisière, on y trouve des souvenirs et autres gadgets… qui n’ont pas de véritable intérêt pour nous, les "vrais" navigateurs ! Le musée, en revanche, est assez intéressant.

Croisière aux Bermudes

Le plus petit pont-levis au monde…

Sur le récif

De retour au mouillage, nous nous sommes retrouvés à nouveau avec les autres bateaux et nous avons discuté du programme du lendemain. Les prévisions météo promettaient un temps ensoleillé, idéal pour sortir explorer le récif. Le lendemain matin, nous avons donc relevé l'ancre et suivi nos amis, cap vers le récif via le canal du nord. Les cartes montrent qu’une grande partie de cette région est "insuffisamment sondée", ce qui explique probablement la forte densité de naufrages. J’étais bien content de suivre un skipper qui connaissait bien le coin tout en conservant une attention de tous les instants aux têtes de corail éventuelles, et à quelques reprises, nous avons été contraints d’emprunter de véritables trous de souris en guise de passages. Un exercice à réserver décidément aux jours les plus calmes. Finalement, nous nous sommes faufilés dans une zone de sable ouverte, où notre petit convoi de deux catamarans et d'un monocoque s’est ancré dans 6 mètres d'eau turquoise et cristalline, à peu près à un mille à l'est-sud-est de North Rock. Nous avons nagé, nous avons palmé et nous avons plongé. Le récif était vivant avec de beaux poissons et coraux multicolores. Et pas un souffle de vent : nous avons passé une merveilleuse et paisible nuit à l'ancre au milieu du récif.
A l'aube, le vent commençait tout juste à forcir, de secteur sud-ouest. Il était temps de remonter l'ancre et de retourner à St George’s. Nous nous sommes alors offert une belle navigation sous grand-voile haute et génois jusqu’à mouiller devant l'île d’Ordnance à l'heure du déjeuner. Nos amis qui avaient pris la cape lors du coup de vent pendant que nous profitions déjà des charmes de l’archipel étaient enfin arrivés, on s’est donc débrouillés pour se retrouver. Nous avons passé quelques jours à visiter les Bermudes en utilisant le service de bus local et les ferries, y compris une visite du phare de Gibb’s Hill. Celui-ci est le plus haut des Bermudes. Construit en 1844, c’est le premier phare au monde à être en fonte. Le sommet culmine à 108 mètres au-dessus du niveau de la mer, et apparemment, les avions parviennent à voir son éclat à une distance de cent milles. Nous avons grimpé les nombreuses marches menant au sommet pour une vue superbe sur les îles. Quiconque me connaît bien mesurera bien l’exploit que ce fut : je suis en effet sujet au vertige ! A bord, je tiens à garder mes pieds sur le pont, et c’est toujours Lorraine qui monte au mât si nécessaire. Aussi belle que soit la vue d’en haut, je suis toujours très heureux de revenir sur le plancher des vaches. J’ai également fait un saut pour visiter Bermuda Radio. Dans ma vie d’avant, j’ai passé dix ans à travailler comme opérateur radio pour une station de radio de garde-côtes. Il était donc intéressant pour moi de voir ce qui s'y passait. Malheureusement, ils ne disposent pas de postes vacants en ce moment. Une de nos dernières virées nous a permis de nous retrouver à plusieurs bateaux à Harbour Castle pour une mémorable beach party le soir. Avec un parfum international puisque les bateaux venaient du Royaume-Uni, de la France, des Etats-Unis et du Canada. Nous étions tous de retour à St George’s le matin suivant, où notre préoccupation était de reprendre la mer. Juin sonne en effet le début "officiel" de la saison des cyclones. C’est l’heure de quitter la zone.

Croisière aux Bermudes

Les Bermudes sont un vrai carrefour nautique.

Il est temps de repartir…

Nous y sommes : chacun repart de son côté. Avec notre sortie enregistrée par les services douaniers, nous avons été autorisés à faire le plein de diesel détaxé avant le départ. Certains bateaux se sont dirigés vers l'ouest, pour une croisière estivale sur le Chesapeake, certains au nord-ouest, à destination de New York et de l'Hudson River et pour rejoindre enfin les Grands Lacs, et les autres ont fait cap à l’est afin de regagner l'Europe via les Açores.
Les Bermudes sont vraiment un carrefour maritime. Quant à nous, le plan était de rejoindre Halifax, en Nouvelle-Ecosse. Mais après une "enquête approfondie", nous avons découvert qu'il fait encore assez froid là-haut à cette période de l'année, avec des températures nocturnes de 7 °C. Nous n’avons pas envie de vivre ça. Nous avons donc décidé d'aller vers Newport, Rhode Island, l'un de nos spots préférés, pour longer à notre rythme la côte du Massachusets, le New Hampshire et le Maine, avant de traverser la baie de Fundy en Nouvelle-Ecosse plus tard dans l'été, quand il fera – avec un peu de chance – un peu plus chaud. Mais ça, c’est une autre histoire...

Croisière aux Bermudes

Le phare de Gibb's Hill : monter à son sommet fut pour moi un exploit !

Croisière aux Bermudes

Les Bermudes, un petit paradis méconnu (ici, le mouillage de North Rock)…

Croisière aux Bermudes

Merci à nos amis de Dragonfly de nous avoir permis de découvrir les Bermudes... Quels guides !

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