Pacifique

Suvarov, l’île du rêve de Tom Neale…

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L’atoll de Suvarov (ou Suwarov pour les Néo-Zélandais et le gouvernement des îles Cook), est situé à près de 1 500 km au sud de l’équateur, à plus de 500 milles dans le nord-ouest de Rarotonga (île principale de l’archipel), et à plus de 200 milles de l’île habitée la plus proche, celle de Maithili. Autant dire qu’il n’est pas sûr que vous trouviez Suvarov sur votre atlas de salon… Dommage pour vous. Car Suvarov est un site naturel exceptionnel, perdu au beau milieu de l’océan Pacifique (13°14’ Sud, 163°06’ Ouest), et accessible uniquement aux yachts privés. L’atoll, qui mesure environ 19 km sur 13, est inhabité, et seuls deux caretakers, envoyés par le gouvernement des îles Cook, y séjournent 6 mois de l’année, entre début mai et fin octobre. Depuis 1978, peu de temps après la mort de Tom Neale à Rarotonga, l’atoll de Suvarov est devenu un National Park. La vie marine y est très dense et les oiseaux de mer y vivent par milliers. Un haut lieu de la biodiversité. L'atoll tire son nom (légèrement déformé) du navire russe Suvorov, qui l'a découvert en 1814. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’écrivain américain Robert Dean Frisbie séjourna avec quelques garde-côtes sur Anchorage Island, l’île principale, située à proximité de la passe d’entrée dans le lagon. Frisbie, qui avait également vécu sur l’atoll de Puka Puka, écrivit en 1944 un livre, The Island of Desire, qui relatait son expérience de vie sur les atolls de cette région du Pacifique. La lecture de ce livre et la rencontre entre Tom Neale et Robert Dean Frisbie, à Rarotonga, juste après la guerre, allaient finir de convaincre Tom Neale de réaliser son rêve le plus cher : aller vivre seul à Suvarov. En 1942, un puissant cyclone avait ravagé l’atoll de Suvarov. Les garde-côtes furent rapatriés à Rarotonga. Ils abandonnèrent à Anchorage leur cabane, un peu de mobilier sommaire, des tanks à eau, quelques cochons et quelques poules, qui repassèrent à l’état sauvage. Les poules qui vivent en liberté dans les atolls perdus du Pacifique voient leur morphologie évoluer suffisamment pour se remettre à voler de façon surprenante. Les cochons se nourrissant de noix de coco, de jeunes pousses, et de baies.
Tom Neale s’installa à Suvarov pour la première fois en octobre 1952. Il avait alors 50 ans. Il y séjourna jusqu’en juin 1954, puis rentra une première fois à Rarotonga, malade. Il ne put revenir à Suvarov pour son deuxième séjour qu’en avril 1960, jusqu’en décembre 1963. Ce sont ces deux premiers séjours sur l’atoll, les plus difficiles, qui sont racontés par Tom Neale dans son livre. Un troisième séjour le ramena à Suvarov en 1966, pour 3 ans environ. Le quatrième et dernier séjour fut le plus long : Neale ne quitta probablement pas son atoll entre juin 1969 et son dernier départ pour Rarotonga, en mars 1977. Le dernier mot qu’il rédigea, pour l’accrocher à la porte de sa cabane d’Anchorage, est daté du 11 mars 1977. Rarotonga où mourut l’ermite de Suvarov, le 27 novembre 1977, à l’âge de 75 ans, victime d’un cancer… Comme quoi vivre sur un atoll, en plein air, et de façon très naturelle, n’apporte pas la garantie de ne pas attraper l’une de ces saloperies qui déciment l’espèce humaine.
"Le corail croît, le palmier pousse, mais l’homme s’en va", dit un proverbe tahitien, cité par Tom Neale, qui vécut donc environ 16 années au total sur Anchorage. Aujourd’hui, l’atoll de Suvarov n’offre plus qu’un seul mouillage autorisé pour les voiliers de passage, celui situé immédiatement dans l’ouest d’Anchorage Island. On n’a plus le droit d’aller chercher un abri près de Seven Islands, dans le sud-est de l’atoll. Parc national oblige. Dommage. Mais compréhensible. Le mouillage d’Anchorage n’est bon qu’avec des vents soufflant du nord à l’est-sud-est. Dans tous les autres cas, il devient rapidement intenable, le fetch du lagon étant important.

Chronique autour du monde : Suvarov

L’équipage de Jangada avec Apii et James, les rangers de Suvarov au moment de notre escale.

Au matin du 29 août, je prends les prévisions météorologiques américaines pour le Pacifique central. Elles nous assurent au moins 5 jours de vent d’est, favorable à un mouillage paisible sous le vent d’Anchorage. Le vent mollissant me fait penser qu’il est temps d’arriver, 4 jours après notre départ de Mopelia. Cette nuit, un rideau de grains de pluie m’a un peu compliqué l’atterrissage sur l’atoll de Suvarov. J’ai préféré affaler la toile, et ne garder qu’un petit bout de foc à l’avant, histoire de continuer à faire route à 2 nœuds sous pilote. Pour attendre le jour. La navigation électronique, c’est bien joli, mais débarquer sur le récif au milieu des brisants, avec ma petite famille, ce ne serait probablement pas l’un de mes meilleurs souvenirs de voyage… L’atoll de Suvarov, c’est surtout un anneau corallien principalement submergé, avec seulement quelques îlots posés dessus. Comme nous nous y attendions, nous n’apercevons la cime des cocotiers de Seven Islands, puis d’Anchorage, qu’à la distance de 6 milles. La large passe de Suvarov ne présente pas de difficulté particulière. Sur notre droite, je découvre Pylades Bay, une petite échancrure sur la côte est d’Anchorage, où Tom Neale avait l’habitude de venir se baigner. Nous débordons North-East Reef, contournons South Reef qui brise, et gagnons le mouillage sous le vent d’Anchorage. La petite jetée de Tom Neale est là, délabrée par les tempêtes de l’été austral. Le pavillon des îles Cook flotte à l’enracinement de la petite jetée, sur la splendide plage où Neale aimait à regarder, en sirotant son thé, le soleil se coucher sur les roches du récif, là-bas, à 5 ou 6 milles dans l’ouest. Le petit abri recouvert de feuilles de palmes qu’il avait construit à cet effet est toujours là. Il a été entretenu par les rangers qui lui ont succédé, et qui parfois l’utilisent pour s’adonner à leur sieste à l’ombre des splendides cocotiers d’Anchorage.
Nous jetons l’ancre le plus au nord possible, pour bénéficier de la meilleure protection contre les vents de sud-est. A cet instant, je réalise un autre rêve dans mon rêve de voyage. Je voulais faire escale à Suvarov, et nous y sommes ! A peine mouillés, 5 ou 6 petits requins à pointes noires se mettent à cercler autour du bateau.
Les deux rangers, James et Apii, nous apprendront qu’il ne faut rien jeter à l’eau (débris de poissons, épluchures de fruits et légumes) sur la zone de mouillage, pour tenter d’encourager les requins à rester du côté de la passe, plutôt que de venir rôder dans la zone de mouillage. Une précaution salutaire. Une petite zone de dépôt a ainsi été définie au vent d’Anchorage. Il faut emprunter le sentier qui mène de la cabane des rangers à Pylades Bay. Là, les requins savent que, de temps à autre, des poissons sont vidés, des langoustes décortiquées, des carcasses de crabes abandonnées. Les ailerons, dans ce coin, abondent à la surface de l’eau, et mieux vaut ne pas s’y baigner. Les rangers ont accroché un panneau explicite sur le tronc d’un cocotier: "DANGER : Sharks !!! Don’t swim !"
Suvarov est un sanctuaire pour des milliers d’oiseaux. Des fous de bassan, des noddis, des frégates, des sternes, des phaetons. A deux pas de la plage de Tom Neale, sur Anchorage même, dans la partie nord, les noddis nidifient par centaines. De temps à autre, un courlis s’envole du platier en poussant son cri caractéristique.
Tom Neale avait un rêve. Une plaque commémorative rappelle qu’il l’a vécu à Suvarov. De la cabane de Tom Neale, il ne reste que quelques planches à claire-voie, visibles dans l’appentis qui abrite encore la petite salle de transmission radio utilisée par les rangers pour communiquer avec Rarotonga. Anchorage n’étant habitée que 6 mois par an, la végétation tropicale a repris ses droits sur le jardin et les cultures de Tom Neale. Les arbres à pain ont vieilli, mais sont toujours là. En 2001, le gouvernement des îes Cook a construit un faré en bois, à étage, pour les rangers. C’est rustique, mais convivial. Les tanks à eau (récupérée par les gouttières du toit) sont suffisants, et le puits creusé par Tom Neale à travers la dalle de corail mort dans le sol du centre d’Anchorage ne manque jamais d’eau douce. Les voiliers de voyage peuvent même y laver leur linge. James Mataa et Apii Williams, les deux rangers en poste lors de notre passage à Anchorage, sont des insulaires maoris, à la carrure proche de celle d’un sumo. Ils sont d’une extrême amabilité, et font tout leur possible, tout en ne quittant pas des yeux leur mission, pour que les voiliers de passage sur l’atoll de Suvarov en gardent un souvenir inoubliable. James était charpentier sur l’île de Palmerston, Apii descend d’une famille de plongeurs et éleveurs de perles de Manihiki, l’île la plus proche de Suvarov, à 213 milles.

Chronique autour du monde : Suvarov

Il ne faut jamais renoncer à ses rêves, vous ne croyez pas ?

Bienheureux Tom Neale

Avec Barbara, nous faisons le tour d’Anchorage à pied par le platier, à marée basse. Le marnage est de 80 cm à 1 mètre. La végétation est dense sur l’île, il est difficile de pénétrer à l’intérieur, à l’exception de la zone du campement. Apii, le ranger assistant, nous gratifie d’un ample sourire. Il a entrepris d’apprendre à Marin à ouvrir les noix de coco à la mode des îles. Simple et efficace. Décortiquer la bourre sèche d’une noix de coco est loin d’être chose facile. Sur les motus des atolls du Pacifique pousse un arbuste dont le bois est très dur : le miki-miki. Auprès de chaque faré insulaire, une branche de miki-miki taillée en pointe est solidement enfoncée dans le sol. Apii enseigne à Marin, noix après noix, la méthode ancestrale des insulaires pour libérer les noix de leur gangue fibreuse. Apii a vite observé que Marin était gaucher, et ses gestes se sont adaptés à notre tout nouveau teenager. Apii nous apprend aussi à casser joliment une noix, en deux hémisphères égaux, à l’aide d’une petite machette. Mais la vitesse d’exécution d’Apii restera inégalée ! Je lui demande ensuite de me montrer du uto. Le uto, qu’utilisait beaucoup Tom Neale pour sa nourriture et celle destinée à ses poules, est la matière spongieuse que renferme la noix de coco au moment de sa germination. L’eau de coco de la noix sèche se transforme progressivement, jusqu’à disparaître complètement, en une noix molle qui germe et donnera les premières pousses vertes d’un nouveau cocotier. Apii nous indique comment faire des beignets de uto : éliminer la partie supérieure de la noix spongieuse, la découper en fines lamelles, ajouter du sucre et de la farine, faire cuire à la poêle dans un peu d’huile. Délicieux ! A côté du bois de miki-miki planté dans le sol, il y a toujours un petit tabouret de bois taillé dans un tronc, sur lequel est fixée par des liens en fibre de coco (nape) une râpe de fer : la chair blanche de la noix mûre est toujours utilisée râpée, et le lait de coco, employé par exemple pour le poisson cru, le gâteau coco, et bien d’autres recettes des îles du Pacifique, est obtenu par simple pression dans un linge de ces fibres râpées.

Chronique autour du monde : Suvarov

La cabane de Tom Neale à Suvarov.

Chasse, pêche, nature et traditions…

Depuis quelques jours, James et Apii, les deux rangers qui prennent très à cœur leur job d’animation de la vie à Anchorage Island, nous parlent d’une partie de chasse à la langouste sur le récif… Heureux Parc national des îles Cook, où l’intégrisme écologique, souvent contestable car côtoyant des extrêmes contradictoires, est encore inconnu.
James et Apii se contentent de pratiquer le principe de la jachère sur la partie de l’atoll située à moins de 5 milles d’Anchorage, sachant que, de toute façon, les 4/5e de celui-ci, plus éloignés d’Anchorage, restent inviolés. En fin d’après-midi, quelques poissons fléchés dans le lagon grillent en papillote sur le feu de bourres de coco, près du faré des rangers. Nous prenons des forces. Apii, qui a vécu toute sa vie dans les atolls, nous explique comment va se dérouler la chasse. Départ d’Anchorage vers 17h30, 1 heure avant la nuit, avec 2 embarcations. Celle des rangers, une barque en aluminium avec un 25 CV Enduro et un petit moteur de secours, et l’annexe Zodiac assez grande d’un ketch américain en escale. On se répartit en 2 groupes, qui seront débarqués à 2 milles environ de part et d’autre de Brushwood Island. La jonction s’opérera sur Brushwood, d’où se fera le rapatriement vers Anchorage, vers 23 heures, après quelque 4 à 5 heures passées sur le récif les pieds dans l’eau. De nuit. Marin vient avec moi, nous nous équipons : chaussons néoprène, gilets lycra et bermudas de bain, gants de plongée, lampe frontale et piles de rechange, croc à thon, flèche d’arbalète, et gros sac de courses pour les lobsters ! Allez, c’est parti pour l’expédition de nuit sur le platier ! Nous sommes avec Apii, qui fait débarquer l’autre petit groupe sur Whale Islet. Il nous emmène à l’opposé, dans l’ouest, loin sur le récif, puis nous largue, et repart. Au début, nous avons de l’eau jusqu’à la ceinture, et le sol du platier est très inégal, avec des gros trous ! On patauge un peu, le coucher de soleil est proche, on se fait un peu l’impression d’être naufragés sur le corail ! Je pense à la chanson de Graeme Allright "En 1942, …". Mais Apii sait ce qu’il fait. Il me faut rassurer Marin, qui entrevoit le plan galère. Mais je n’en sais guère plus que lui cette fois, et mon fiston, habitué à décrypter les informations venant de son père, le sent bien… Nous gagnons la zone moins profonde du platier, moins tourmentée, moins piégeuse aussi. Ça va mieux. Nous nous hissons sur un gros rocher de corail mort curieusement posé sur le platier, probablement par un ouragan, pour y attendre la nuit noire. Nous ne voyons pratiquement plus le mouillage, là-bas, sur Anchorage. Drôle d’impression de se trouver là, largués sur le récif, à la nuit. Mais Franck n’en est pas à sa première partie de pêche à la langouste ; il nous sort une bouteille de punch dans lequel macèrent plusieurs gousses de vanille ! La classe absolue. Inespéré ! Nous sommes sur le platier de Suvarov, au beau milieu du Pacifique, et notre voilier est à des milles. La marée monte, et la nuit tombe. Marin avale une gorgée de punch. Le stress du naufragé s’éloigne dans les vapeurs de rhum...
Pour pêcher la langouste à la lampe frontale, il faut aller sur le récif à marée basse, de préférence en début de nuit, avec un peu de lune mais pas trop, et un vent faible. A la nuit tombée, les langoustes et autres cigales quittent leurs cachettes du tombant extérieur de la barrière corallienne, et s’aventurent sur le platier, vers l’intérieur du lagon, pour mieux batifoler, et se nourrir. La technique est simple : il s’agit de remonter progressivement le récif vers le lieu de jonction avec l’autre équipe tout en ramassant le maximum de bestioles délicieuses, de grande taille uniquement. James a été très clair là-dessus. Nous avançons lentement en balayant le platier du faisceau de nos lampes. Toute la vie nocturne du récif se découvre sous nos pieds. Nous marchons dans 10 à 40 cm d’eau. Des petits requins black-tips, surpris, s’en vont, affolés, des murènes grises se faufilent sous les roches, des crabes se défilent vite fait. Les poissons perroquets sont aveuglés par la lumière et s’immobilisent dès qu’ils sont pris dans le faisceau lumineux. Toutes les couleurs chatoyantes du corail défilent sous nos yeux. Et de temps à autre, dans un trou d’eau, 2 petits yeux orangés apparaissent à celui qui a bon œil : une langouste ! Hypnotisée par la lumière, la bestiole ne bouge pratiquement pas. Pour autant, elle se défend, cherche une anfractuosité de roche, s’accroche de toutes ses forces. Il faut y aller franco, avec une main (gantée) et un bras franchement décidés. Avec Marin, nous aurons la chance de tomber sur le meilleur spot de la soirée : dans un trou d’eau de 2 mètres de diamètre et 50 cm de profondeur, 4 paires d’yeux orange brillent soudain dans le faisceau de nos lampes ! 4 grosses langoustes dodues ! Ce sont des animaux magnifiques. Garantis bio. Nous capturons aussi quelques langoustes vertes, plus petites, et deux ou trois cigales. Mais, dans la nuit, difficile de savoir où nous sommes sur le récif. Il n’y a plus aucun repère autour de nous. Marin commence à trouver le temps long, l’appréhension s’installe progressivement. La mer commence à remonter, nous nous dirigeons à l’estime vers des petites lucioles que nous apercevons au loin. De temps à autre, nous apercevons de petits requins, et des murènes grises de récif qui fuient le faisceau de lumière. Marin ne me quitte plus, nous restons ensemble. Il faut se frayer un chemin sur le platier au jugé, contourner des grands trous d’eau, et regarder où on pose les pieds. Des oiseaux de mer jacassent dans le noir au-dessus de nous, c’est bon signe, nous approchons probablement de Brushwood. Trois quarts d’heure plus tard, nous rejoignons l’autre équipe, où l’on parle avec un fort accent américain. Suvarov est sur la route des Samoas américaines depuis Bora-Bora, et plusieurs voiliers immatriculés à San Francisco, Los Angeles, ou Salt Lake City sont au mouillage de Suvarov. Ils ont seulement pêché 2 ou 3 langoustes, mais quelques mérous et gros perroquets. De notre côté, nous en avons une douzaine ! Nous retrouvons les deux embarcations. Retour vers le mouillage d’Anchorage. Il est presque minuit. Barbara et Adélie nous ont laissé un dîner à réchauffer sur la table du cockpit, et du gâteau à la banane, avant de rejoindre leurs cabines. Avec Marin, nous échangeons nos impressions. Nous devinons tous les deux que nous avons vécu là quelques heures qui resteront longtemps gravées dans nos mémoires. Epuisés, nous nous affalons dans nos bannettes. La tête encore pleine de paires d’yeux orangés. Des petits requins à pointes noires nous filent entre les jambes… Bonne nuit, fiston.
Notre séjour à Suvarov se terminera par une passionnante partie de crabs hunting (chasse aux crabes) sur Turtle Island. Apii nous amène à Brushwood, puis nous gagnons One Tree Island et enfin Turtle Island, à pied, à marée basse. Apii a pris son coupe-coupe, et de gros sacs en toile de jute. Il est optimiste : il a beaucoup plu ces dernières heures, ce qui encourage les crabes à sortir de leurs terriers. D’habitude, ils préfèrent l’obscurité de la nuit pour s’aventurer sur le motu. Le caveu, c’est le gros crabe de cocotier, qui, adulte, peut peser 4 à 5 kg. Il a des pinces surpuissantes, capables de couper un poignet humain, dit-on. Le caveu a une spécialité : l’ouverture des noix de coco, un exercice très physique. Naturellement, je parle de la bourre, parce que la noix elle-même, c’est trop facile ! Mais Apii nous rassure, le caveu est lent. Le solide ranger, rompu à la vie sur les atolls, nous demande tout de même de compter nos doigts avant et après la chasse, avec un petit sourire au coin des lèvres… Il nous explique comment repérer le caveu, comment l’attraper, et comment le tuer avant de le mettre dans le sac. Avec sa machette, il ouvre un petit sentier dans la végétation sauvage et dense de Turtle Island. Nous nous engouffrons derrière lui. Gants néoprène, bâtons, sandales. Quelques minutes plus tard, un premier caveu est repéré. Il essaie de se planquer dans le fouillis inextricable des racines d’un arbuste, et Apii est obligé de sortir le grand jeu. Le combat dure quelques minutes, car la bestiole n’a pas envie de passer à la casserole qui lui est promise. Mais Apii est une montagne de muscles et ses mains ne font pas dans la finesse ! Nous découvrons la tronche du caveu, plus proche de la configuration d’un bernard-l’ermite qui aurait perdu sa coquille d’adoption, que d’un tourteau de la chaussée de Molène. Bel animal, d’un bleu vif, mais parfois aussi orangé, selon ses préférences alimentaires. Il est doté d’une poche, à l’arrière, remplie d’une huile qui embaume la noix de coco, et qui, en ruisselant sur la bête lors de la cuisson au feu de bois, lui confère une onctuosité savoureuse proche du foie gras… Pour le tenir sans danger, il faut lui serrer dans la même main ses deux pinces et ses deux plus grandes pattes, alors il ne peut plus rien vous faire de méchant. Il faut donc y aller d’un geste vif et décidé, que tout le monde n’entreprend pas avec allégresse… C’est Barbara qui repérera le meilleur spot : deux gros caveu d’un coup, en pleine conversation sur les pluies de la nuit ! Je les capture et les occis l’un après l’autre, comme si j’avais fait ça toute ma vie. La mort du crabe est brutale : le tenir fermement par ses 4 appendices principaux, le poser sur un appui ferme, lui saisir la carapace du bas du visage (si l’on peut dire), et la retourner soudainement à 180° dans un vigoureux mouvement de rotation létale… Un craquement sinistre se fait alors entendre, et d’après mes modestes connaissances neurologiques, je crois bien que le système nerveux de l’animal en prend un sacré coup. La manœuvre est irréversible. Direction le sac. Nous ne chassons que les très gros crabes, nous sommes tout de même dans le Parc national des îles Cook !

Chronique autour du monde : Suvarov

Apii a décidé d’apprendre à Marin à se servir de la branche d’un miki-miki pour ouvrir la bourre d’une noix de coco. La meilleure école du monde !

Ce soir, veille de notre départ, le dîner commun dans le faré des rangers sera grandiose : langoustes et crabes de cocotiers à volonté ! Merveilleusement préparés par James et Apii, qui ont aussi confectionné des beignets de uto. James, qui est le chef à Suvarov, prononce quelques mots de bienvenue à chacun, Apii dit une prière, d’abord en anglais, puis dans son dialecte insulaire des îles Cook. Les yeux fermés, il y remercie Dieu pour sa vie à Suvarov, la rencontre des équipages en escale, la pêche à la langouste d’hier soir, et la présence de chacun autour de la table en plein air sous l’auvent du faré. Suvarov restera un souvenir lumineux du Pacifique pour nous quatre. Demain, nous appareillons vers Rose Island…

Chronique autour du monde : Suvarov

Le caveu peut avoir des couleurs différentes, mais la même saveur délicieuse !

Chronique autour du monde : Suvarov

Avant de reprendre la mer vers l’ouest, plâtrée de crabes et de langoustes de Suvarov !

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Chronique autour du monde : Suvarov

Le livre de Tom Neale, "An Island to Oneself" (Un Robinson des mers du Sud en français). Un livre culte à lire absolument.

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