Pacifique

A TOFUA, SUR LES TRACES DU CAPITAINE BLIGH…

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Tofua est une île inhospitalière, un cône volcanique qui plonge directement dans la mer. Ne vous y précipitez pas ! Il n’y existe aucun mouillage abrité. Mais, en étudiant attentivement la carte marine dont je dispose, je remarque l’existence d’une petite avancée rocheuse couverte d’une vingtaine de mètres d’eau au nord de l’île. Si elle existe bel et bien, nous devrions pouvoir y jeter l’ancre, en évitant que celle-ci ne tombe dans l’une des fosses abyssales de l’océan Pacifique… Ce sera un mouillage précaire, bien entendu. Encore un ! Mais l’intérêt du voyage est aussi à ce prix.

Chronique autour du monde Tofua

Jangada dans le Pacifique et sur les traces du fameux Captain Bligh…

Flash-back. A la table à cartes de Jangada, quelques heures après avoir séjourné sur le corail de Limu Island, j’analyse les informations météo reçues des USA, de Nouvelle-Calédonie, de Nouvelle-Zélande. Il faut réparer notre bateau blessé sans tarder. Nous avons décidé de renoncer à visiter les Fidji. Un créneau météo favorable se dessine dans les jours qui viennent pour rejoindre la Nouvelle-Zélande à partir des Tonga, avec un anticyclone qui a décidé de quitter les côtes tasmaniennes et australiennes, pour faire route à l’est dans le Pacifique Sud. Notre objectif, c’est de partir au plus tôt du début de la rotation du vent pour être sûr d’être arrivé à Whangarei avant que la profonde et redoutable dépression qui ne manquera pas de lui succéder ne nous rejoigne en pleine traversée ! 1125 milles nous séparent d’Aotearoa, le pays du long nuage blanc.
A bord, les préparatifs vont bon train. Nous quittons la baie de Pangaï pour un petit mouillage au sud de l’île de Tofanga, à une dizaine de milles dans l’ouest. Demain, nous gagnerons la côte nord de Tofua, à une trentaine de milles dans l’ouest des Ha’apai. Nous y serons en embuscade, à guetter la rotation des vents, annonciatrice de notre appareillage vers le pays des kiwis. A la clef, l’une des traversées les plus délicates de notre voyage…

Chronique autour du monde Tofua

Vue du ciel, l'île se dévoile et montre l'absence de mouillage.

Pour l’heure, les conditions me semblent exceptionnellement propices à ma petite expédition sur les traces du capitaine Bligh. Les équipages de rencontre qui m’interrogeaient ces derniers temps sur notre programme de navigation à venir n’avaient pas l’air de bien saisir les raisons de mon intérêt particulier pour ce détour a priori peu engageant par Tofua. Sans doute n’éprouvaient-ils pas le même intérêt que moi pour l’histoire des expéditions maritimes. Ils ignoraient vraisemblablement qu’à Tofua s’était déroulé, à la fin du XVIIIe siècle, un épisode marquant de la légendaire mutinerie du HMS Bounty. Un épisode suivi d’un exploit maritime peu connu, mais bien réel, qui pousse tout marin averti à considérer avec un œil plus nuancé que le commun des cinéphiles les qualités de marin du lieutenant de vaisseau William Bligh, officier de marine britannique de mauvaise réputation, commandant le Bounty, débarqué de force dans un canot, au beau milieu de l’océan Pacifique, à proximité de l’île-volcan de… Tofua. Il faut lutter pour la vérité historique, plus complexe que celle véhiculée par le cinéma ! Après 5 mois d’escale à Tahiti, la plupart des marins du Bounty avaient trouvé de tendres attaches auprès de lascives vahinés. La fameuse mutinerie contre les rudes méthodes de Bligh eut lieu aux Tonga, à une trentaine de milles au large de Tofua. Mais autant vous le dire tout de suite : la véritable histoire de la mutinerie du Bounty – sa genèse, ses raisons, son déroulement, la répartition des marins entre ceux restés à bord du navire d’une part, et ceux embarqués dans la chaloupe d’autre part, puis la suite de cette incroyable épopée, aux îles Australes d’abord, à Tahiti puis à Pitcairn d’une part, à bord de la chaloupe de Bligh vers Timor puis Batavia d’autre part, et enfin en Angleterre devant la cour martiale – est infiniment plus complexe, et de ce fait passionnante, qu’on pourrait le croire au premier abord. De même, le tempérament et la véritable personnalité des deux acteurs principaux de cette épopée, William Bligh et Fletcher Christian, ne sont pas aussi simples que le cinéma a choisi de le montrer pour séduire le public. Bref, Fletcher Christian n’était pas aussi beau, bon, et juste qu’on le dit (plus tard, il sera d’ailleurs assassiné par les Tahitiens venus vivre avec lui à Pitcairn) et William Bligh n’était pas aussi vilain, méchant et injuste qu’on le pense : non seulement il sera acquitté par la cour martiale de l’Amirauté britannique, mais il sera promu capitaine de vaisseau, repartira pour Tahiti avec la même mission deux ans plus tard, mission qu’il réussira avec deux navires, sera félicité par l’amiral Nelson à la bataille de Copenhague en 1801, avant d’être nommé gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud (province la plus importante d’Australie), puis de devenir vice-amiral… Depuis des années, j’ai passé des dizaines d’heures à étudier cette histoire, à lire tout ce qui a pu s’écrire sur le sujet, à recouper les éléments, avant de pouvoir me faire ma propre idée de cette épopée, éclairée par ma propre expérience de la vie à bord des navires armés au long cours. L’affaire n’est pas aussi simple qu’il y paraît.

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Les enfants du bord s'amusent à bord en arrivant dans ce mouillage si chargé d'histoire.

"J’appareillai d’O-Taïti le 4 avril 1789, ayant à bord 1015 plants d’arbres à pain et plusieurs autres d’arbres fruitiers très précieux de ces contrées, que nous avions rassemblés par une suite constante d’attentions, pendant cinq mois et dix jours, et qui se trouvaient, au moment du départ, dans l’état de la végétation la plus parfaite…
Le 28 au soir, à cause des vents trop faibles, nous n’étions pas encore hors des îles des Amis (les Tonga), et je fis porter le cap vers l’île de Tofô (Tofua)…
Un moment avant le lever du soleil, Mr Christian avec le capitaine d’armes, le second canonnier et le nommé Thomas Burkitt, entrèrent dans ma chambre pendant que je dormais encore : ils me saisirent, me garrottèrent les mains derrière le dos, me menaçant de me tuer à l’instant si je parlais ou si je faisais le moindre bruit…"

24 jours après l’appareillage de Tahiti : Bligh et 18 de ses hommes sont débarqués de force dans la chaloupe du Bounty, qui, surchargée, n’en peut compter plus.

"Sans autre cérémonie, me tenant par la corde qui me liait les mains, je fus jeté de force hors du bord. Aussitôt que je fus dans la chaloupe, ils nous filèrent en arrière du vaisseau par le moyen d’une corde. Après m’avoir fait subir mille plaisanteries et m’avoir gardé ainsi quelque temps pour leur servir de jouet, ces indignes rebelles nous laissèrent enfin aller en dérive sur le grand Océan. …"
"Il était essentiel de prendre un parti réfléchi : ma première résolution fut d’aller chercher une provision d’eau et de fruits à pain à Tofô. … Mais les côtes se trouvèrent si à pic et si remplies de rochers, que je fus obligé d’abandonner ce projet et de me tenir toute la nuit sous le vent de l’île, soutenu par deux avirons ; car il n’y avait aucun mouillage. Le matin, à la petite pointe du jour, nous suivîmes la côte pour chercher un lieu de débarquement ; ce ne fut qu’à dix heures que nous découvrîmes une anse pierreuse dans le Nord-Ouest de l’île : j’y jetai le grappin à vingt brasses de distance des rochers. Dans le fond de l’anse, il y avait une grotte éloignée d’environ soixante-dix toises du bord de la mer."

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Rencontre entre Jangada, et une baleine à bosse et son petit…

Bligh et ses hommes restèrent 5 jours dans l’anse de Tofua, à tenter d’accumuler laborieusement de l’eau et des vivres. Progressivement, les relations avec les insulaires, de plus en plus nombreux, se dégradèrent, jusqu’au dénouement, dramatique.

"Les Indiens commencèrent à venir en foule et je crus m’apercevoir qu’il se tramait contre nous quelque chose. On entendait de toutes parts le bruit des pierres qu’ils tenaient dans chaque main, les frappant les unes contre les autres ; je connaissais ce signal pour être celui de l’attaque. Le soleil était prêt de se coucher lorsque je donnai le mot pour le départ. Nous entrâmes tous dans la chaloupe à l’exception d’un seul matelot qui, à mesure que je m’embarquais, sauta à terre et monta pour démâter l’amarre de poupe, malgré les cris que firent, pour l’engager à revenir, le Maître et les gens de l’équipage. A peine fus-je à bord que deux cents hommes commencèrent l’attaque ; l’infortuné qui était à terre fut assommé, et les pierres commencèrent à voler comme la grêle. Je vis dans ce moment cinq Indiens autour du malheureux matelot qu’ils avaient tué, et deux d’entre eux lui battaient la tête avec des pierres qu’ils tenaient dans leurs mains. Je les vis remplir de pierres leurs pirogues, et douze hommes venir à nous pour renouveler le combat, et ils le firent avec tant de vigueur qu’ils étaient presque venus à bout de nous désemparer. Voyant cela, j’imaginai la ruse de jeter à la mer quelques hardes ; ils perdirent du temps à les ramasser, la nuit se fit ; ils abandonnèrent leur poursuite, retournèrent à terre, et nous laissèrent la faculté de réfléchir sur notre triste position. L’homme que je venais de perdre s’appelait John Norton.
Nous faisions voile, en suivant la bande de l’ouest de l’île de Tofô, et je réfléchissais à ce qu’il était plus convenable de faire, lorsque tous se réunirent pour me demander de les ramener vers notre patrie. Je leur dis que nous n’avions aucun secours à espérer jusqu’à l’île de Timor, éloignée de nous de plus de 1200 lieues, où il se trouve un établissement hollandais. Nous entreprîmes donc, dans une barque ouverte, longue seulement de 21 pieds 9 pouces, surchargée et portant 18 hommes, sans aucune carte, et avec le seul secours de la connaissance géographique que ma mémoire pouvait me fournir, nous entreprîmes, dis-je, de traverser cette vaste mer dont la navigation n’est presque pas connue. Je me trouvai fort heureux dans cette position alarmante, de ce que tous mes compagnons d’infortune en étaient moins affectés que moi."

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Cours de natation entre la mère et son petit !

48 jours plus tard, Bligh et ses 17 compagnons arrivaient, certes dans un état pitoyable, maigres et affamés, mais vivants, à destination, après avoir surmonté mille dangers. Bravo tout de même, Mr Bligh, d’avoir réussi ce haut fait de la navigation maritime. Il faut, sur ce point, vous rendre justice. Vous aviez, quoi qu’on en dise, du talent, et du courage, à 35 ans.
Parce que relier Tofua à Timor, cela représente tout de même un voyage de 3 618 milles marins. Sans carte marine. Et 21 pieds 9 pouces pour une barque non pontée ouverte au vent et à la mer, cela ne fait que 6,63 m de longueur. Et 1,93 mètre de largeur. Avec 18 hommes à bord, le franc-bord de la barque n’était que de 20 cm… Seul l’infortuné Norton, tué par les insulaires de Tofua, manquait à l’appel à Timor.
Quels que soient les qualités et les défauts de Bligh, en tant que capitaine, c’était indubitablement, il faut en convenir, un bon marin. Ma conviction personnelle est que l’épreuve de la mutinerie qu’il a subie, après l’avoir certainement suscitée, a dû faire de lui, par la suite, et dès le voyage en chaloupe vers Timor, un chef d’une jolie trempe, qui a forcément dû réfléchir longuement, mais peut-être un peu tard, à l’art difficile de commander les hommes… Quant à Fletcher Christian, je ne suis pas sûr qu’il ait eu en lui toutes les qualités d’un chef, au regard, en particulier, de ce qui se passa ultérieurement à Pitcairn. Un séjour pendant lequel il ne parvint jamais à imposer son autorité sur les mutins, ni à organiser une cohabitation harmonieuse entre les Tahitiens et les marins anglais révoltés. Quelle histoire passionnante !

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Marin, 13 ans, ou Danse avec les baleines.

Et nous, à bord de notre catamaran, marins modestes et inconnus, plus de deux siècles plus tard, nous sommes seulement à dix lieues marines de Tofua, en plein milieu du Pacifique ! Il n’y a pas à tergiverser, nous ne sommes pas là pour cultiver les regrets ! Here we go! Cap sur Tofua ! Il faut retrouver la grotte des marins du Bounty !
Nous quittons les Ha’apai, faisons route au nord-ouest, sur le cône volcanique massif qui nous fait face. En début d’après-midi, nous longeons la côte nord de Tofua à quelques dizaines de mètres. L’œil sur le sondeur, je guette la remontée des fonds qui me confirmera l’existence de la langue rocheuse submergée sur laquelle j’espère pouvoir ancrer. Je n’ai pas vraiment de solution de secours. Quelques minutes plus tard, l’avancée de roches est bien au rendez-vous, là, sous nos coques et, en effectuant plusieurs allées et venues au sondeur, je localise une zone de mouillage correcte par 18/20 mètres de fond. Pas réellement abritée, mais bienvenue. Je positionne un marqueur électronique sur la carte, et nous poursuivons notre route. Je dispose d’une photo aérienne qui montre l’existence de la petite baie dans le nord-ouest de Tofua. Nous longeons la côte à faible distance. J’ai relu les descriptions de Bligh en notant chaque détail technique. La petite anse s’ouvre doucement à notre regard. Le ressac y brise violemment. Nous apercevons immédiatement la tache noire d’une grotte dans la paroi verticale au pied de la falaise. Mon pouls s’accélère, ma conviction se renforce. L’accès au fond de l’anse est tel que le décrit Bligh : pas facile. Même avec un vent de sud-est. Inutile d’imaginer le spectacle par vent d’ouest… L’anse des marins loyalistes du Bounty apparaît à nos yeux. Je ne peux m’empêcher de faire quelques ronds dans l’eau dans la petite baie. J’observe. Et je songe.
Dans cette petite baie inhospitalière, les 18 hommes débarqués de force sur la chaloupe du Bounty avec leur capitaine ont séjourné 5 jours, il y a 221 ans, avant d’entreprendre un incroyable voyage maritime dans l’ouest du Pacifique. Et John Norton, le solide quartier-maître de 36 ans, qui, en bon marin, ne devait pas aimer couper les cordages, a perdu la vie, là, sur ces rochers, frappé à mort par les pierres des insulaires tongiens.
Je note au passage, en lisant l’écran de notre GPS, que le capitaine Bligh ne s’est trompé que d’un peu plus d’une minute angulaire (moins de 2 km) en calculant la latitude de l’anse de Tofua. C’est une très bonne précision, dont la justification provient probablement du fait qu’ayant séjourné plusieurs jours dans ce lieu, il a dû y effectuer plusieurs relevés de la hauteur du soleil au moment de ce que l’on appelle en navigation astronomique la méridienne. Ce relevé, le seul de la journée qui soit indépendant de la mesure précise du temps (l’observateur se contente d’attendre que le disque solaire culmine, en relevant la hauteur angulaire maximale correspondante, avant d’effectuer les calculs de trigonométrie sphérique permettant de déterminer la valeur de la latitude), a dû servir à Bligh à caler, avant son incroyable traversée vers Timor, le peu d’instruments de navigation dont il disposait, y compris la montre de Peckover, le maître-canonnier, qui lui servit jusqu’à ce qu’elle s’arrête, un peu moins d’un mois plus tard…

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Dans le nord-ouest de Tofua, l’anse Norton et la grotte des marins du capitaine Bligh…

Nous jetons l’ancre dans la zone précédemment repérée, et Marin et moi partons en annexe pour visiter l’anse des marins du Bounty. Notre attention est attirée par un souffle de baleine qui vaporise à seulement quelques dizaines de mètres de nous. Nous décidons de nous approcher, et découvrons une baleine à bosse adulte qui nage avec son baleineau. Nous les suivons. Elles n’ont pas l’air effrayées par notre présence discrète. Nous revenons au bateau pour embarquer Barbara et Adélie qui, prévenues par VHF, suivent les animaux aux jumelles depuis quelques minutes. Nous embarquons palmes, masques et tubas, et retrouvons bientôt ces paisibles géants qui croisent dans les eaux calmes sous le vent de Tofua. La mère mesure une petite vingtaine de mètres, 17 à 18, disons, le baleineau 5 à 6 mètres. Plus habituées à manger du krill dans les eaux froides de l’Antarctique, les baleines à bosse remontent sous les tropiques pour la naissance et les premières semaines de vie de leur petit, avant d’entreprendre à nouveau le grand voyage vers les soixantièmes sud. Les baleineaux, pour survivre, doivent vite apprendre à grandir. Devant nous, le jeune animal effectue quelques sauts propres à cette espèce. Il ne s’éloigne jamais de sa mère de plus de quelques mètres, et ce ballet gracieux a quelque chose de magique. Nous approchons très près, moteur coupé, et voyons dans l’eau translucide l’immense corps de la mère, presque vertical, qui pousse du museau le baleineau vers la surface. Un spectacle incroyable, qui se déroule là, à quelques mètres de nous, dans une eau parfaitement translucide. Nous évoluons avec des gestes lents, pour ne pas perturber les animaux, lesquels ne semblent nullement gênés par notre présence. Il m’apparaît évident que la mère, qui observe notre embarcation depuis déjà un moment, a parfaitement assimilé le fait que notre comportement n’est pas le moins du monde agressif. Parfois, nous nous retrouvons juste au-dessus des animaux, et il nous faut nous éloigner un peu. Marin a envie de sauter à l’eau, mais il est retenu par l’appréhension. Je dois rester dans l’annexe pour la manœuvrer. Alors je l’encourage, en lui indiquant que ces animaux, malgré leur taille, ne sont pas naturellement dangereux, et qu’ils font preuve d’une grande précision d’évolution. Quand je lui dis qu’il n’aura peut-être pas deux fois dans sa vie l’occasion de nager à quelques mètres d’une baleine de près de 20 mètres de long, il se décide, et plonge. Il restera plusieurs minutes dans l’eau à proximité des animaux, sans que nous puissions déceler chez eux le moindre mouvement d’inquiétude ou d’agressivité dû à notre présence. Je saute quelques instants à l’eau, et retiendrai de ces quelques secondes passées à proximité d’un géant une forte impression d’humilité. L’œil démesuré de la baleine, surtout, pétille d’intelligence, en m’observant à quelques mètres à peine. Impressionnant. Adélie se lance aussi, mais dès qu’elle est à l’eau, elle prend peur et remonte. Barbara est fascinée, elle met son masque et ses palmes et va observer de plus près le magnifique spectacle.
Une heure après notre rencontre, le soir tombe sur l’île-volcan de Tofua. La silhouette de notre voilier, seul au mouillage dans ces lieux désertés, se détache sur la ligne d’horizon. Il est trop tard pour débarquer ce soir dans l’anse Norton (je l’appelle ainsi désormais).
En début de nuit, le vent passe, avec quelques heures d’avance sur les prévisions, à l’est-sud-est. C’est le début du créneau de vent favorable qui nous a été indiqué il y a quelques jours par le gourou de la météorologie néo-zélandaise Bob Mc Davitt, que nous avons exceptionnellement contacté par e-mail, pour sécuriser notre passage en termes de prévisions météo. Le soleil se lève sur notre mouillage précaire. J’avale rapidement un bol de café, et Marin et moi partons vers l’anse Norton.
Nous repérons les lieux avant de choisir notre point de débarquement, observons le ressac qui agite la petite baie, puis je saute sur les roches. Dans ces lieux isolés, il faut être prudent, Marin reste dans l’annexe à quelque distance du ressac. C’est plus sûr. Je trouve un chemin vers les roches noires où la chaloupe du Bounty devait être amarrée par l’arrière, avec un grappin sur l’avant. Ces mêmes roches sur lesquelles j’imagine facilement les images violentes des derniers instants de la vie du quartier-maître Norton. Et, une cinquantaine de mètres plus loin, je me trouve devant la grotte où séjourna l’équipage du capitaine Bligh. La mer y a déposé quantité de bois flottés, et des gros galets arrachés à la falaise par les tempêtes d’ouest. Je passe là quelques instants, ému, à imaginer les scènes qui s’y sont déroulées.

Cette nuit, au mouillage sur la côte nord de Tofua, j’ai encore dû me lever 5 ou 6 fois. Le vent de sud-est, celui qu’on attendait, a commencé à souffler sur les pentes du volcan. La traction sur la chaîne de l’ancre s’est inversée de 180°, et, toute la nuit, les maillons ont ragué sur les roches du fond, transmettant au davier, et de là, aux oreilles du skipper, la petite chanson du vent nouveau. Le vent est là, la poulie a crié. Il faut y aller. Nous envoyons la toile dans l’ouest de Tofua. En route pour Aotearoa, les vertes prairies de Nouvelle-Zélande. Les baleines sont invisibles, ce matin. Le vent est monté d’un cran, il a fallu prendre 2 ris et des tours de solent. Départ en fanfare, au bon plein, vent apparent 25 nœuds. Idéal pour rincer le pont ! Cap au 207, route directe sur Whangarei…

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