Océan Atlantique

Le (demi-) tour du monde d’Alizé - Première étape : France/Brésil

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Il y a beaucoup de choses incroyables à regarder dans ce monde. Un feu de bois qui brûle, un ciel plein d’étoiles, les vagues qui déferlent sur la plage, les sommets des montagnes enneigées… Mais il n’y en a pas beaucoup d’aussi magiques que celle que j’admire en ce moment.

Une lune, si pleine et si énorme, tellement blanche que son reflet éclaire cet océan noir et mystérieux, et sa lumière le fait scintiller et pétiller jusqu’à mes yeux.

Oui, je suis de quart, on vient de me réveiller, et je regarde ce spectacle les yeux encore endormis. Cela fait quelques jours que nous avons quitté la terre et nous sommes seuls au monde sur le grand bleu de l’Atlantique.

Je pensais revenir sur la mer, mais je le réservais pour plus tard, quand je serais vieille, je disais. Libre et mangeuse de la vie à pleines dents, voyageuse et vagabonde à plein temps, cela faisait bien deux ans que je sillonnais les routes d’Australie et baguenaudais au jour le jour dans mon bus avec les copains, entre festivals et exploration de cette merveilleuse et gigantesque île-continent.

Je pensais d’ailleurs poursuivre cette libre et belle vie en Amérique du Sud, quand mon père me proposa quelque chose.

J’aurais dû me douter qu’il serait farfelu, son projet... Le dernier périple dans lequel mon père m’a entraînée, c’était une dizaine d’années plus tôt – je m’étais retrouvée pendant quatre ans à voguer sur les océans. Mes parents avaient tout vendu, tout quitté de leur vie habituelle de travail et de train-train pour acheter un bateau, sans rien connaître de la voile. Lorsqu’ils m’avaient proposé de les suivre dans leur délirant projet de voyage, je dressais des chevaux chez ma deuxième famille gitane.

Finir cascadeuse à cheval dans des spectacles d’Indiens avec des plumes et des flèches, ou aller sillonner et découvrir le monde dans cet univers totalement inconnu du bateau et de la voile ? L’appel du voyage, de la découverte et de l’aventure était bien plus fort. J’ai vendu mes deux seuls biens, ma voiture et mon cheval, et suis partie avec eux…

Les projets farfelus ne sont-ils pas les meilleurs ?

Raison pour laquelle en tous cas je suis là, dix ans après, de retour sur les océans… à bord de Maitai, notre fier et vaillant catamaran, un Lagoon 450S flambant neuf. Destination Mayotte, petite île pas loin de Madagascar. Mes parents habitent là-bas depuis quelques années, depuis qu’ils sont revenus de leur demi-tour du monde. Ils n’ont pas survécu au retour en métropole, et ont donc décidé de travailler sur cette île. Le projet est lancé : ramener un catamaran à Mayotte et l’exploiter en charter là-bas.

Je rejoins mon père aux Sables d’Olonne le 12 novembre 2018, avec César, mon copain. Lui, il a tout lâché de sa vie parisienne ; sa boîte d’éco-construction est vendue pour suivre sa petite tornade dans cette belle et folle aventure. Il voulait découvrir ce monde nautique auquel il ne connaissait absolument rien. Bien qu’il ait été capitaine deux longues années sur sa grosse péniche parisienne, ce qui lui conférait une expérience maritime hors du commun ; il donnait à manger aux cygnes tout en touillant son café, ha ha ! Bref, César a tout quitté pour apprendre la vie de marin.

On arrive la veille de la livraison du catamaran, pour être avec mon père lorsqu’il découvre la première fois Maitai, son bébé, qu’il attend depuis si longtemps. Mais aussi pour avoir l’honneur de le suivre à la sortie du chantier jusqu’au port. Séquence émotion quand je vois mon père s’approcher pour la première fois de son bateau. Il pose ses deux mains dessus, puis sa tête, et reste ainsi quelques secondes, le temps de réaliser que ça y est, il est là, il a réussi. Maitai, qui signifie « bien » en polynésien, est au rendez-vous, et ils vont faire un bon bout de chemin ensemble, oh que oui ! Une petite larme à l’œil quand il relève la tête et qu’il réalise tout ça. Sinon, ça fait tout drôle, un cata de 45 pieds sur les routes départementales. Heureusement qu’il y a un motard devant, un motard derrière et une camionnette pour encadrer tout ça. Un convoi spécial original et impressionnant à voir, surtout au moment où la plate-forme sur laquelle est posé le bateau s’incline fortement afin de franchir certains ronds-points ou d’éviter un arbre. On a juste l’impression que le bateau va se scratcher dans le décor ou tomber sur l’asphalte… et là, évidemment, le stress du Captain est à son comble !

Une fois le catamaran livré, le but est de le full équiper très vite pour pouvoir partir au plus tôt, en espérant qu’il n’y ait pas de trucs qui nous retardent. On a un gros programme de navigation en perspective ; plus on tarde à partir, plus les océans seront capricieux. César et moi allons chercher toutes les différentes commandes pour aider mon père. Ikea, Décathlon, pêche, bazar… Ça va de la cocotte Langostina aux 86 ensemble masques/tubas/paire de palmes en passant par les compresseurs pour les bouteilles de plongée, la pharmacie de bord professionnelle à 3000 euros (avec une civière rigide conforme aux normes), les hameçons de 12 et les taies d’oreiller. Du grand n’importe quoi ! Mais pensez, c’est une maison flottante que nous équipons, et qui plus est un outil de travail.

Notre départ est fixé le jour de Noël, une belle date pour larguer les amarres ! L’équipage est composé de six personnes. Mes parents, Pascal et Pascale, alias les Pascaux (nom de leur premier bateau, pour l’anecdote), Monique et Cécile, deux très bonnes amies à eux de Mayotte, César, et moi, Alizé, enchantée. Maitai est donc fin prêt avec ses instruments de navigation de dernière technologie qui feraient pâlir nos vieux marins, du matos de cuisine qui aurait permis à Paul Bocuse de nous faire la meilleure ratatouille en plein océan, et un avitaillement si généreux que nous aurions à manger pendant un mois de dérive. Une sortie en mer vite fait pour tester le bateau, et hop, on profite direct de la fenêtre météo sans trop de vent pour nous permettre de traverser le golfe de Gascogne tranquillement.

On quitte donc le port des Sables d’Olonne ce jour de Noël, laissant avec émotion notre famille sur le ponton. Elle nous accompagne en longeant le port jusqu’à la jetée, voyant Maitai s’éloigner sur le grand bleu, nous faisant de grands au revoir. Mes nièces courent pour essayer de nous suivre encore plus loin, ne comprenant pas trop ce qui se passe : où vont leurs grands-parents et leur tante, comme ça, sur ce catamaran ? On se crie des « on se revoit à l’autre bout du moooonde ! Bon voyaaaaage ! On vous aiiiiiiime ! »…

Une drôle et belle sensation que de retrouver la mer après 10 ans. C’était comme si je ne l’avais jamais quittée, comme si rien ne s’était jamais arrêté, comme si j’avais bizarrement toujours été là sur le grand bleu, à naviguer. Un petit regard complice entre mes parents et moi qui veut en dire beaucoup. Eh oui, après dix ans, de retour nous sommes ! We are back on the ocean, ha ha ha ! César est drôlement content, lui aussi. C’est la première fois qu’il navigue de sa vie, et Monsieur commence direct par le golfe de Gascogne en plein hiver ; il ne sait même pas s’il aura le mal de mer ! Je le redoutais avant même notre départ. Je sais que ce n’est vraiment pas cool, le mal de mer, et je n’avais tellement pas envie qu’il l’ait… Car je sais que les prochains mois peuvent être terribles pour lui ; eh oui, que de la nav’, 4 mois en mer, pardi ! Ce n’est pas rien ! Les premiers signes se font sentir, je me suis dit que c’est foutu. Terminés, les jeux de cartes, la cuisine, la lecture, la déconnade. César se couche, inutile et sans doute triste de se dire qu’il ne sera pas bien tout du long. Mais le lendemain, quand je le retrouve à quatre pattes la tête en bas pendant deux heures en train d’éponger et de réparer une fuite dans la salle de bains, je le regarde avec un petit sourire, ouf, je comprends que c’est gagné. Il avait juste besoin d’une nuit d’adaptation. Et à bas le mal de mer !

On relâche à Cascais, très joli petit village portugais pas loin de Lisbonne, pour déposer Cécile et manger la fameuse bacalau. Puis nous repartons direction les Canaries pour y déposer la Mama qui devait malheureusement nous quitter pour rentrer sur Mayotte, les obligations du travail se font ressentir. Nous repartons donc à quatre. Mais aux Canaries, Monique, un petit bout de femme de 65 ans d’une pêche incroyable, nous annonce qu’elle ne nous accompagnerait pas jusqu’à Mayotte. Elle s’est engagée dans ce périple sans bien connaître le monde du bateau et s’est rendu compte, qu’en plus d’avoir le mal de mer, l’eau n’était vraiment pas son élément. Bref, elle ne se sent pas du tout partir avec nous traverser ces deux océans.

Car le plan de nav est le suivant : descendre le golfe de Gascogne, Lisbonne, Canaries, Cap-Vert, traverser l’Atlantique jusqu’au Brésil – à Salvador de Bahia –, puis retraverser l’Atlantique dans l’autre sens pour arriver en Afrique du Sud à Cape Town, passer le cap de Bonne Espérance, puis remonter doucement l’Afrique du Sud jusque Richards Bay pour enfin taper est et traverser l’Indien jusque Mayotte. Halala, vous vous imaginez ce qu’ils ne nous font pas faire, ces pirates ?! Car s’ils n’avaient pas le monopole du golfe d’Aden, il aurait été bien plus préférable, rapide et confortable de l’emprunter, vous vous doutez bien.

M’enfin. On se retrouve donc plus que trois, mon père, César et moi. Et une cabine est libre. Ça me peine un peu de ne nous retrouver que tous les trois sur le bateau avec ce qui nous attend ; et surtout, laisser cette triste et magnifique cabine double inoccupée me fend le cœur. Je négocie avec mon père « el Captain », je peux faire un appel aux potes, yes !

Parce qu’une proposition comme celle-ci n’arrive pas deux fois dans une vie, et aussi parce que la plupart de mes proches sont fous et libres comme moi, beaucoup sont tentés par l’aventure.

Une semaine après, un couple extra, mes deux meilleurs potes d’Australie – on a fait ensemble les côtes Ouest et Est –- débarquent sur le ponton de la marina de Mindelo, au Cap-Vert. Ils venaient de commencer une saison d’hiver à la montagne. L’idée était de mettre un max de sous de côté afin que, l’été prochain, on se fasse un roadtrip en Europe tous ensemble en bus. Elle, Lisa, est cuistot, c’est son métier, et lui, Max, serveur – à ses heures perdues. Dès que je leur ai dit qu’une cabine est disponible et qu’ils peuvent nous rejoindre, se lever le matin pour aller bosser devient pour eux une torture. Imaginer qu’ils pourraient voyager à bord d’un catamaran avec nous plutôt que de travailler pour des patrons indignes les mine. C’était décidé. Ils démissionnent, disent adieu à leur forfait de ski fraîchement payé, mettent trois shorts et deux tee-shirts dans leur sac et nous rejoignent au Cap-Vert. Tant pis pour les sous de côté, ils verront plus tard !

Les retrouvailles sur le ponton sont plutôt fortes en émotions. Sans téléphone ni moyen de se retrouver à la marina, je les guette du bateau copain où nous sommes invités à manger. Pour la petite histoire, ce sont des amis de mon père, un couple avec leur fille résidant à Mayotte. Ils nous ont attendus exprès à Mindelo car ils tenaient à voir mon père afin de le remercier – et aussi de partager l’apéro à bord de leur tout nouveau bateau, Pourquoi pas. Mon père y est en effet pour beaucoup dans le fait qu’ils aient ce bateau et soient aujourd’hui sur le point de transater. Amandine adore le monde du bateau ainsi que la voile, mais son conjoint, Jean-Philippe, est un peu moins emballé. C’est drôle, on voit plus souvent de skippettes qu’on ne pourrait le croire… Du coup, ils n’osaient pas franchir ce fameux pas : acheter le bateau et partir. Mais les nombreuses soirées apéro à Mayotte avec mes parents les ont décidés ; c’est pour cette raison qu’ils nous reçoivent comme des rois. Ils ne regrettent absolument pas d’avoir tout quitté, et remercient grandement mon père de les avoir poussés à faire ce choix. Nous sommes donc sur leur bateau quand je vois deux zoulous arriver vers la marina, une belle nana, grande et blonde avec des dreds et son p’tit Ukulélé, et son mec à côté avec son bob ananas, son short à palmiers et ses lunettes de soleil – on aurait dit qu’il sortait tout droit de Johnny Depp dans Las Vegas Parano. C’est Lisa et Max. Je ne peux m’empêcher d’émettre notre cri de reconnaissance, et un gros « YIIIIHHHHIIAAAAAAAOUUUUUUUUUUUUU » sort de ma bouche et résonne dans toute la marina. Ils reconnaissent le signal et regardent dans ma direction. César, alias Fricotin, et moi sautons du bateau pour aller à leur rencontre en continuant nos yihaou endiablés. On se retrouve sur le même ponton tous les quatre et on finit par tous courir comme des gosses pour se retrouver plus vite encore. Nous voilà tous les quatre, tous serrés et émus de ces retrouvailles. On le sait, on part pour une belle et forte aventure, et elle commence maintenant. Lisa et Max ont tout plaqué pour monter à bord de Maitai et partir direct pour une transatlantique. Ah oui : ils n’ont, ni lui ni elle, jamais fait de bateau de leur vie. C’est alors que mon père me regarde et me glisse : « C’est des guerriers, tes potes. »

Autant vous dire que la soirée est à la hauteur des retrouvailles. On a eu un bon avant-goût de la caïpirinha du Brésil, et celle du Cap-Vert est bien sympa aussi ! On se retrouve à grimper sur les toits d’un des plus gros hôtels de Mindelo, d’où nous avons une super vue sur Maitai, qui a un des mâts les plus grands, wahou ! Puis on rentre à la marina, un petit peu pompettes, finir la fête sur le bateau en voulant y inviter tous les marins voisins…

Mais bon, l’Atlantique nous appelle ! Nous faisons les dernières petites courses, et surtout un dernier gros plein de frais. Le marché de Mindelo est d’ailleurs vraiment super, et nous revenons avec une quantité assez incroyable de fruits et légumes de toutes sortes, que nous passons tous à la javel pour éviter les moindres bêtes sur le bateau, et nous taillons la route !

Ah, l’océan, qu’il est bon de te retrouver ! Beaucoup d’événements sont des « premières fois » pour Max et Lisa. C’est beau et magique de voir leur sourire en regardant la mer et le bateau, qu’ils commençent tout juste à connaître. Ce sourire beau et heureux, avec les yeux pétillants, alors qu’ils découvrent le premier montage de voiles, le premier coucher de soleil, les premières vagues qui te font perdre l’équilibre. Je les regarde et me dis qu’ils ont fait le bon choix de démissionner et quitter leur travail pour venir avec nous. Forcément, comme ils n’avaient jamais navigué, on appréhende un peu de voir s’ils ont le mal de mer. Max est persuadé qu’il ne l’aura pas. Et c’est vrai, il n’a jamais été malade. Lisa, elle, ne sait pas comment elle se sentira ; elle nous dit juste : « L’eau n’est peut-être pas mon élément, mais vous, vous l’êtes, alors youhou ! » Culottée tout de même d’aller tester ça sur une transat, direct. Et plus jamais de mal de mer pour César, plus rien, il a même appris la voile à une vitesse grand V et nous surprend à chaque manœuvre. Halala cette équipe de warriors !

La traversée de l’Atlantique Cap-Vert/Brésil, poussée par les alizés, est belle, simple et on ne peut plus tranquille. On sillonne les mers, et un rythme bien agréable se met en place…

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