Voyage

La Grande Traversée

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Il est 7h30. Le soleil, de son auréole orange, redessine à nouveau la silhouette de Viveros, qui compte parmi les 300 îles des Perlas. Ce jour-ci, 11 mars 2016, Pirates.com s’apprête à traverser le plus bleu, le plus délectable, le plus paisible… c’est évident, l’océan Pacifique ! La météo annonce un vent de 15 nœuds, est -sud-est, la fenêtre est courte, mais suffisante pour essayer de rejoindre au plus vite les Galápagos, où nous pourrons commencer à toucher les alizés de sud-est.

Nous levons l’ancre, excités par l’évènement unique dans lequel nous nous engageons. Le spinnaker est à poste, prêt à être envoyé. Il n’y a pas une ride sur l’eau, nous sortons du mouillage avec prudence au moteur, les cailles sont très nombreuses et ne sont pas toutes indiquées.
La voie libérée, le spi éclate ses couleurs sous le beau soleil matinal de Panama et se gonfle… ou presque ! Il ne doit pas être encore bien réveillé pour s’avachir sur le pont comme cela ! Le traceur indique une vitesse de 1,5 nœud. A ce rythme-là, nous arriverons aux Marquises dans 120 jours… mais non ! Restons optimistes.

C’est une véritable mer d’huile, l’eau est encore verte et très chargée de particules, de plancton et de méduses. Les raies aigles semblent apprécier ces eaux pleines de vie, car nous en croisons des bancs entiers, elles laissent dépasser leurs ailes, facilement visibles sur cette mer si douce.

Jeune photographe en bateau

Les otaries nous disent au revoir en quittant les Galapagos.

Le vent semble vouloir nous jouer des tours. Après avoir dépassé San José, la dernière île des Perlas, nous discernons un semblant d’air à quelques dizaines de mètres derrière nous. Il nous suit, mais ne nous rattrape pas, un poil rageant ! Cela durera une heure, nous décollons de Panama, cette fois, on ne lâchera pas le vent, du moins, nous l’espérons.

12 mars. Nous sommes à 8 nœuds, le vent a repris de son souffle, même un peu trop pour le spinnaker qui se verra retourner dans sa chaussette et laissera sa place à nos deux génois, disposés en ciseaux. La houle est longue, très longue. Nulle question d’appréhender le mal de mer avec ces charmantes vagues qui nous poussent en surfant de temps à autre.
Mais qui dit Pacifique, dit poisson ! Nous le savons bien, c’est dans cet océan que vivent les plus gros poissons, les plus puissants. J’ai donc pris le temps, avant de partir, de préparer ma canne à pêche et d’aiguiser les hameçons de mes plus beaux leurres. Sans surprise, nous verrons la canne plier sous le poids d’un premier thon jaune, puis un deuxième dans le même quart d’heure.

Jeune photographe en bateau

Des bancs entiers de dauphins communs nous escortent en pleine mer.

Les heures s’écoulent, et nous ne voyons pas le temps passer ; qui pourrait penser que l’on peut s’ennuyer, hein ? Mais ce n’est que le début de cette longue route qui nous mène vers les odeurs de tiaré et le retentissement musical du tamouré.
Nous frôlons l’île Malpelo, qui nous fait particulièrement penser à Ste-Hélène, un gros caillou perdu en plein milieu de l’océan. Evidemment, sur une remontée de fonds pareil, nous ne manquons pas à la touche d’un marlin, ou plutôt au coup de rostre qui abîmera sévèrement la tête en résine d’un leurre.
Nous pouvons nous passer de regarder la mer, de commenter la forme des nuages, d’étudier la façon dont tourne le vent, de chercher sans cesse des dauphins ou des baleines.
Des orques pygmées viennent à notre rencontre, une nouvelle espèce que je n’avais pas eu l’occasion d’observer. Ils sont très timides, et nous les perdons de vue dans la minute ; surgissent cette fois-ci des dauphins tachetés. Même chose, ils disparaissent immédiatement. Etonnés, nous scrutons sur 360 degrés. Soudain, à moins d’un mille, un rorqual bleu s’élance telle une fusée dans le ciel. Il semble progresser au ralenti, avant de chuter sur le flanc et de soulever des tonnes d’eau en l’air. Inutile de me demander d’aller chercher l’appareil, me voilà déjà avec le téléobjectif en main, l’œil dans le viseur, prêt à déclencher. Le baleinoptère recommencera deux fois de suite. Un privilège, sachant qu’il ne reste que très peu de baleines bleues dans les mers. Trois espèces en moins de dix minutes, surprenant !
Nous croiserons, plus tard, un dauphin de Risso, ainsi que des globicéphales.

Le vent faiblit à nouveau, et nous renvoyons le spinnaker. Etrangement, le ciel devient de plus en plus bleu. Nous quittons des terres riches en verdure, assez humides, peut-être l’explication est-elle là. Il va de pair avec l’eau, elle est parfaitement cristalline, pure.
Des dauphins tachetés viennent jouer à l’étrave tous les jours, chose que nous ne pourrons jamais nous lasser de regarder et de photographier !

Jeune photographe en bateau

Le soleil se lève, nous traversons les Galapagos de Nord au Sud.

18 mars. Il fait encore nuit, nous sommes déjà à longer l’île la plus au nord des Galápagos, San Cristobal. L’aube approche, nous sommes impatients d’apercevoir les îles de Darwin, dans lesquelles vit une faune d’exception. Des courbes se dessinent, escarpées, de plus en plus acuminées.
Nous tombons à nouveau dans la pétole, le bruit du moteur résonne dans une ambiance matinale saine, naturellement, nous préférerions être à la voile.
Mais ce manque de vent offre au flux liquide dans lequel nous voguons un côté lisse époustouflant ; le soleil, qui arrive timidement, ajoute à ce contexte des reflets de rose, de jaune et de noir intense. Difficile de cerner l’horizon, perdu dans cette aquarelle. Les oiseaux posés sur l’eau semblent léviter.
Nous guettons minutieusement les moindres mouvements en surface, pourrons-nous voir des otaries et des lions de mer ? Une forme nouvelle apparaît, un petit triangle ; nous espérons l’otarie, qui n’en est pas une, c’est en fait une raie Manta sillonnant la surface. La journée s’annonce prometteuse en rencontres !
Vers 7 heures, nous nous éloignons de San Cristobal, après avoir vu de nombreuses otaries et raies Manta, que j’ai tenté de filmer et photographier avec mon drone.
Nous avançons désespérément au moteur, encore, encore, de temps en temps, un semblant de vent vient chatouiller le bout du nez, qui laisse dire : « Ah ! Peut-être que… » Mais en fait, non. Ce n’est pas pour maintenant, le vent ! Allez, Éole, fais un effort ! Nous profitons de traverser les Galápagos de jour pour passer à côté d’une autre île, Isla Gardner. Splendide, ce rocher se dresse parmi des centaines de frégates tournoyantes, de fous à pieds bleus curieux, d’otaries chasseuses et de sternes plongeuses.

Jeune photographe en bateau

Juste en partant des Perlas, les raies mobulas grouillent par centaines.

J’hésite à envoyer le drone pour immortaliser cette splendeur, les oiseaux peuvent devenir de véritables ennemis pour le petit bijou technologique, tout comme la houle qui peut affecter les capteurs du quatre-pales. Mais nous n’y repasserons pas, et cette arche de roche qui trône le long des falaises escarpées, je ne peux pas la laisser passer ! L’ovni envoyé, plus droit à l’erreur. La vue en hauteur est exquise, nous avançons doucement avec le bateau, tandis que je filme les falaises et me fais quelques frayeurs avec des oiseaux un peu trop curieux.
Soudain, un bip aigu retentit, un compte à rebours est lancé, le drone retournera au point GPS de départ dans 10 secondes, seulement, il a démarré à plus d’un mille nautique maintenant. La panique s’installe, j’essaye de le ramener, le décompte s’arrête, je n’ai plus aucun contrôle. Il commence à partir tout seul vers l’escarpement rocailleux, prêt à s’écraser sous nos yeux. Après quelques réglages rapides, je stoppe cet automatisme, et arrive à le ramener tant bien que mal sur le pont. Il sera dispensé de vol pour le moment, le temps de reprendre mes esprits…

Une première étape de passée, les Galápagos disparaissent doucement dans notre sillage, une petite brise s’est levée, peut-être touchons-nous les alizés ?
Malgré ce beau temps et ce léger souffle de vent, agréable, nous restons sur nos gardes, il y a certainement des pêcheurs au large. Et pêcheurs rime souvent avec filets, chose que nous aimerions nous passer de rencontrer en pleine mer.

20 mars. Le vent est retombé, encore une fois. Nous alternons moteur tribord et moteur bâbord pour économiser le gasoil au maximum, nous ne pouvons tenir que 8 jours au moteur avec les 400 litres de fuel. Le ciel se couvre de nuages déconcertants, il est gris, maussade, rien de plus déprimant. L’horizon devient de plus en plus sombre, les grains nous entourent, un air chaud et humide nous tombe dessus, cela n’annonce rien de bon.
Il est 17h00, nous rencontrons un groupe de dauphins communs, très actifs, sautant à plus de trois mètres de hauteur, un spectacle qui vaut bien le détour. Nous les suivons un moment et reprenons, une demi-heure plus tard, notre cap à 250 degrés.

Jeune photographe en bateau

Difficile de cerner l’horizon sur ce calme plat, nous sommes à 1 nœud.

La nuit tombe, et ce qui était à prévoir, arriva. Les première gouttes d’eau douce de notre traversée nous parviennent timidement. Nous essayons de nous laver sur le pont, le débit de la pluie n’est pas assez fort, mais il suffit pour nous rafraîchir un peu, et ramener 80 litres en plus dans les réservoirs d’eau.
La pluie persiste, sans pour autant faire apparaître le vent, toujours absent.
Sombré dans la noirceur, sans lune ni étoile, une lumière apparaît sur l’horizon, évidemment, il faut que ça arrive de nuit, un pêcheur ! Nous dévions notre cap, l’éclat lumineux est maintenant sur tribord, à 4 milles de notre position.
3h00 du matin, je suis réveillé en sursaut par la plaisante phrase : « On s’est pris un filet !!! » Voilà qui va donner du croustillant à la nuit, déjà bien agitée par les grains ! Et hop, en quelques secondes, l’équipage est sur le qui-vive ! Le capitaine enclenche une marche arrière, qui nous sort très lentement du solide cordage dans lequel nous sommes accrochés. J’entends un bruit anormal sur le moteur, un nylon s’est enroulé sur l’arbre d’hélice, nous stoppons rapidement les moteurs, il faut couper. Grâce à un couteau bien aiguisé, tout ce qui passe sous mes yeux va être sectionné, nous n’avons plus le choix. Le moteur bâbord est hors d’usage, nous n’avons plus que le tribord. Des nouvelles lumières apparaissent, nous essayons de les éviter avec encore plus de prudence. Deux heures plus tard, nous nous en reprenons encore un. Cette fois-ci, nous arrêtons immédiatement le moteur. On s’en fiche, on coupe tout, tant mieux pour ces palangrottes qui assassinent des milliers de poissons, de cétacés et de requins. Nos lampes torches s’agitent dans la nuit sombre, nous espérons que les pêcheurs ne nous ont pas vus. Nous éteignons les feux de navigation, et toute autre lumière susceptible d’être perçue par les bateaux de pêche.
Nous attendons que le jour se lève avec impatience, qu’on puisse au moins éviter ces maudites palangres ! Et surtout que l’on puisse dégager le nylon enroulé sur l’hélice.
Enfin, les lueurs du soleil apparaissent, et voilà qu’un petit bateau de pêche d’environ 6 mètres de long vient à toute vitesse vers nous. Insolite dans un pareil contexte, nous ne sommes pas très zen… La barque arrive, deux pêcheurs, ils se collent contre la coque de Pirates.com, et demandent de la nourriture. Ouf, soulagés ! Il y a dans leur embarcation un marlin et un requin pointe blanche du large, avoisinant les 2,5 mètres. Ils repartent rapidement d’où ils venaient.
Avec un moteur de 75 CV à la poupe aussi loin des côtes, nous nous doutons bien qu’il n’est pas seul, et qu’il y a un bateau-mère quelque part, ce qui ne nous rassure pas du tout.

Jeune photographe en bateau

Nous passons le temps avec les livres d’aventures et de voyage.

Le capitaine s’apprête à plonger pour dégager le nylon de l’arbre d’hélice, pas super tranquille après avoir vu le beau pélagique dans la barcasse ce matin.
Le nuisible n’est plus, et nous pouvons reprendre notre chemin tranquillement.
Mais la journée est pleine de bateaux de pêche, il s’agit d’une campagne venant de Colombie, nous supposons pour les ailerons de requins, ce que nous n’apprécions pas du tout. Nous voyons les nageoires dépasser des barques au loin.
Et nous sortons enfin de cette zone à risque, en nous prenant toutefois une troisième palangre, mais notre équipe de choc est maintenant rodée, et en deux ou trois mouvements, nous avons tout coupé et nous sommes libérés.

22 mars. Le temps est devenu très mauvais, les grains s’enchaînent, et soudainement, le vent tourne au nord-est, nous sommes au près. Où est-il, le portant ? Ce n’est pas ce que nous avions prévu ! Dix heures de près plus tard, le vent vire lentement et se range, pas comme la mer, devenue vraiment mauvaise.
Tout est trempé, plus de draps secs, de serviettes, ce qui nous fait toujours penser à Renaud… « J’ai dormi dans des draps mouillé, ça m’a coûté des sous, c’est la plaisance, c’est le pied ! »

Quelques jours plus tard, nous retrouvons le vent de S-E, mais la mer ne semble pas vouloir se calmer, le courant semble s’être inversé.
Quand le cliquetis de ma canne s’active, le moulinet part dans une course frénétique à pleine puissance. Impossible de freiner le poisson qui vient de prendre l’appât, il déroule le fil presque jusqu’au bout, 800 mètres plus loin, il se calme, et je commence à le remonter. Au bout de 20 minutes de combat, il repart une deuxième fois – ce que l’on appelle un « rush » – en plongeant. Nous sommes à peu près sûrs que c’est un thon, ça leur est propre, dès qu’ils mordent, ils plongent. En 30 secondes, il reprend tout le fil que j’ai pu remonter en 20 minutes !
Le combat dure une heure, et une silhouette apparaît enfin ; première phrase, généralement la même : « Il est énorme !! » Mais cette fois, il est vraiment très gros. Le thon jaune, avoisinant les 100 kg, ne se laisse pas approcher de la coque du bateau et ne veut pas remonter en surface. Sous le poids démesuré de l’albacore, la canne en fibre cède, j’attrape le fil, qui rague sur le côté de la coque, et à son tour cédera aussi. Nous nous regardons sans dire un mot, le capitaine parle en premier : « C’est pas ma faute, hein ! »

Jeune photographe en bateau

Chaque jour, le coucher de soleil est différent.

La mer est enfin calmée, la houle vient plus au portant. Nous surfons à plus de 13 nœuds par moments, laissant marquer l’accélération dans notre sillage.
Une ombre sort soudain d’une vague, un visiteur solitaire vient nous voir, à une trentaine de mètres à l’arrière bâbord de Pirates.com. Le guide de tous les mammifères marins du monde en main, il m’est impossible d’identifier l’espèce.
La tête blanche, pointue, un aileron dorsal centré et très haut, une robe noire et brune et des zones blanches sur la partie ventrale, environ 3,5 mètres. Aucun souffle visible, et très timide… Nous sommes persuadés d’avoir découvert une nouvelle espèce. Je me renseignerai une fois à terre.

Nous avançons sur du bleu Pacifique comme nous le connaissons, la barre des 1000 milles restants est dépassée, le compte à rebours a commencé.
Le spi se ballotte dans un vent de 15 nœuds quand, soudainement, un bruit de déchirement nous surprend. Notre bon vieux spi… vient de rendre l’âme, sans aucune raison, le vent lui arrache le cœur.
Une opération aura lieu, et c’est le hamac qui lui offrira ses artères pour le réparer ! Deux jours de salle de réanimation, et il revit ! Les chirurgiens ont bien fait leur boulot, rien à redire !

Il est 17h00, nous ne sommes plus qu’a 35 milles, au loin de nos yeux avisés, Fatu-Hiva dévoile ses deux caps nord et sud. L’émotion est là.
Comme toujours, nous avons le chic pour arriver de nuit ! Nous entrons dans la baie de Hanavave, connue aussi sous le nom de baie des Vierges, à 2h00 du matin. Je ne dors pas de la nuit, au petit matin, un paysage comme nous en avons rarement vu apparaît, sans aucun doute, nous sommes dans le plus beau mouillage que nous ayons jamais fait.

Jeune photographe en bateau

Nos géniaux compagnons des mers nous offrent toujours un spectacle incroyable.

Jonathan, le photographe

Jonathan est un marin, mais aussi un photographe de talent (il vient de gagner le prestigieux prix du Young Wildlife Photographer of the Year). Pour découvrir son travail, rendez-vous sur son Facebook :
www.facebook.com/JonathanJagotPhotography

Jeune photographe en bateau

Rencontre avec les raies manta sillonnant la surface huilée des eaux. Magique !

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