Multicoque

Docteur Belmont –Mister Lagoon

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Sans doute ne le remarquerez-vous pas promener sa silhouette bonhomme sur les pontons des salons nautiques aux quatre coins de la planète. La barbe soigneusement taillée, chemise et pantalon de lin, chaussures subtilement décalées, il y a du Philippe Starck en lui. Fred Morvan, créateur des Salons du Multicoque et qui l’a connu à ses débuts, dit de lui que c’est "la force tranquille". C’est aussi un curieux de tout ce qui se fait, sans a priori, sans jugement, avec l’ouverture d’esprit et l’humilité des meilleurs.
Flashback. En 1996, Bénéteau, qui vient de reprendre son plus gros concurrent historique Jeanneau, trouve avec le bébé une petite filiale nommée JTA, pour Jeanneau Techniques avancées. Le trimaran Pierre 1er de Florence Arthaud, le RMO de Laurent Bourgnon, les voiliers France 2 et France 3 de Marc Pajot pour l’America’s Cup à San Diego, c’est eux. Les trimarans du film Water World encore eux. D’ailleurs, au moment de la reprise, Bruno Belmont est à Hawaï pour le tournage de la mégaproduction holywoodienne. Du fond du cockpit, il barre pour le compte de Kevin Costner, qui, en bon acteur, ne fait que suivre le mouvement. Il est promptement rappelé en France, où la direction générale et cartésienne de Bénéteau goûte peu le compte d’exploitation peu reluisant de la filiale nantaise. Mais à côté des bêtes de course ou du cirque évoqués ci-dessus, sortent du même site les Lagoon. Une petite production, trois par an en moyenne, mais de jolis catamarans. Nous sommes cependant très loin des critères d’industrialisation et de rentabilité en vigueur chez le nouveau propriétaire. Heureusement, des deux côtés de la table, il y a des hommes, et beaucoup d’intelligence. Celle de François Chalain d’abord, qui, malgré l’échec du Blue II, a compris que le catamaran avait un avenir. Celui qui est déjà aux commandes, Bruno Cathelinais, approuve aussi. Bruno Belmont est reparti d’une page blanche et leur propose un projet en rupture avec les concurrents de l’époque. Symbole de cette audace, les fameux hublots verticaux. La logique qui a mené à ce choix est pourtant imparable : meilleure vue vers l’extérieur, agrandissement de l’espace intérieur et pas d’effet de serre menant soit à une chaleur insupportable, soit à devoir les occulter. Sans compter qu’en l’absence de formes complexes ils sont moins chers à fabriquer ! Mais à un moment donné, il faut bien avoir l’accord de la grande patronne. La scène se passe en 1997. "Ce sera un immense succès ou un échec cuisant", dit madame Roux en découvrant les lignes du Lagoon 410. Sa première intuition sera la bonne ! Au grand soulagement de Bruno, qui en est l’initiateur.
C’est le tournant de sa vie. Avant, il y a eu l’école d’architecture navale de Southampton, puis la construction du trimaran Apricot, le One Ton d’Andrieu. Le 2 janvier 1989, il s’en souvient comme si c’était hier, il rentre chez JTA. Il fait le devis de Pierre 1er puis le construit. La construction, sa vraie passion. Mais comme les équipes sont réduites et que c’est un bosseur, il réalise parallèlement les études plomberie et électricité des Lagoon. Pour répondre au cahier des charges qu’il s’est imposé pour le nouveau catamaran, il fait appel à ses congénères de Southampton, Marc Van Peteghem et son chef de projet Marc Dognin. Ils deviendront le trio créatif indissociable de la marque. Ils font tout ensemble. Une amitié indéfectible, un jeu intellectuel vertueux qui veut que rien n’est interdit, rien n’est figé, tout est possible. Pour l’architecte, Bruno est "un visionnaire". Avec un sens "du marché" et des "attentes clients" incroyable. Une dose d’intuition, beaucoup de bon sens, et une empathie profonde pour les utilisateurs des catamarans qu’il crée. Mettre l’homme au centre du processus, voilà ce qu’a apporté Bruno Belmont à la plaisance. Comment les gens vivent sur leur bateau et comment leur rendre la vie plus facile, plus belle. Le catamaran étant une plate-forme bien plus vaste qu’un monocoque, l’ergonomie doit y régner en maîtresse, dedans comme dehors. Le carré sera… carré et non plus rond. Toutes les manœuvres reviendront au poste de barre pour qu’elles soient encore plus faciles à réaliser qu’en monocoque. Il se souvient, presque ému, de l’été où, assis sur le roof du catamaran sur lequel il navigue, il comprend qu’il faut y créer un nouveau lieu de vie. Un peu à l’écart, on y profite d’une vue à 360 degrés. "Wahou !" et tellement, soudainement, évident dans son esprit. Ce sera le fameux flybridge initié sur le 440. Comme souvent, son idée paraît extrême. Elle sera, comme beaucoup et par beaucoup, décriée car elle "casse les codes". En quelques saisons, elle devient la norme. Des idées a priori iconoclastes comme celle-là, il en aura plein : les grands vitraux de coque, les island beds, le cockpit avant… Bruno donne les "objectifs marketing", les deux Marc les intègrent techniquement au bateau, après moult allers-retours qui permettent à l’idée de se développer, d’évoluer, de prendre tout son sens, voire parfois d’en trouver d’autres.
A ce talent créatif, Bruno ajoute une vraie logique d’entrepreneur. Elle l’a mené à la responsabilité de la stratégie voile de tout le groupe Bénéteau et de la conception marketing des nouveaux produits voile. S’il fallait un signe de reconnaissance, cela en est un. Fort. On sent bien l’humilité de l’homme derrière son discours plutôt "corporate". Mais, quand Yves Lyon-Caen, président du conseil de surveillance du Groupe, vient le saluer pendant notre interview, toute l’affection et tout le respect qu’il a pour celui qui a initié l’histoire d’une de ses marques les plus rentables sont évidents. Quand le processus industriel de Bénéteau se met en route pour Lagoon, ce dernier a bien eu quelques semaines de vertige. Mais ils mettent le paquet sur les USA, qui représentent vite 50 % des ventes, absorbant par là même une bonne part de la production. Même mouvement stratégique réussi lors du rapprochement avec CNB, qui permettra aux deux petits poucets de peser un peu plus au sein du Groupe. En cinq ans, profitant du boom de la plaisance, Lagoon devient le leader. L’équipe est rapidement sous-dimensionnée, mais Bruno sait s’entourer. Yann Masselot les rejoint dès 2002. Plus récemment, Martina Torrini et Massimo Gino ont rejoint le trio créatif initial pour former un quintet. "La créativité, c’est l’expérience que tu ressors", dit Bruno Belmont. Alors, plus il y a d’expériences autour de la table, plus il y a de créativité. De quoi continuer à tester, comme ils le font actuellement sur le marché du catamaran à moteurs. Continuer à évoluer surtout : matériaux plus légers, gréements plus faciles, zones de vie à bord plus variées, plus attrayantes, les sujets de réflexion à venir sont nombreux. Alors, bonne nouvelle, nous n’avons pas fini d’être surpris, choqués, étonnés puis habitués à ses choix, qui deviendront forcément un jour la norme ! Bruno sait juste ce qui vous sera indispensable demain. Avant vous ! Etonnant, non ?

Rencontre Docteur Belmont

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