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Le (demi) tour du monde d’Alizé - Troisième étape : Tristan Da Cunha/Mayotte

Alizé, César, Lisa et Max accompagnent leur Captain – le père d’Alizé – pour une belle aventure : il s’agit de convoyer Maitai, un Lagoon 450 SporTop, des Sables-d’Olonne à Mayotte. Cinq mois de mer, d’aventures, et surtout de fous rires – avec Alizé à bord, impossible de s’ennuyer !


Maitai, après son demi-tour du monde, est exploité en day charter à Mayotte.

12 mars et fin de la deuxième dépression dans la face. Je peux vous assurer que ça a dépoté, encore une fois ! Je revois encore mon père avec son pot de graines ; il les prenait une par une et les mâchait sans réfléchir, stressé à bloc car on venait de passer tous les deux la nuit sans dormir avec du 45/50 nœuds de vent établi et une houle avec des creux de 8 à 10 mètres. Pour ne rien arranger, un grain énorme est venu s’ajouter au tableau au lever du jour. Quand on a vu ce truc avancer vers nous, alors qu’on se tapait déjà un gros coup de vent, autant vous dire que l’on ne savait pas du tout à quoi s’attendre. Que pouvait-il nous amener, ce foutu grain ? 70 nœuds, 80 ? Une fine pluie a commencé à tomber et le grain mystérieux était toujours visible au loin. Avec mon père, après cette longue nuit blanche agitée à veiller sur Maitai, on se regardait avec une belle complicité ; on attendait le verdict et la sanction du temps, sans pouvoir rien faire… puis bizarrement, le vent a semblé se calmer et baisser, un brouillard s’est levé et la houle a diminué, petit à petit… L’océan paraissait retrouver son calme et laisser en arrière sa mer déchaînée. Ouf !

Des plats de grands chefs !

Ça y est, la tempête est passée. Apparemment, c’est ce qu’on appelle la bascule, le calme après la tempête. Quel soulagement ! Bien que ce soit une des choses les plus belles et les plus impressionnantes qu’il m’ait été donné de voir et de vivre (certes, une tempête avec 10 mètres de houle, des vents de 50 nœuds établis et des rafales à 70/80, ce n’est pas tous les jours qu’on voit ça). On s’en souviendra, de cette nav, dans tous les sens du terme ! Je ne ressasserai pas cette dépression en détail, il me semble déjà avoir bien décrit la première que nous avions eue avant d’arriver à Tristan da Cunha, une semaine avant.


L’Atlantique Sud a réservé une belle tempête à Alizé et son équipage : 10 mètres de houle, vents de 50 nœuds établis et rafales à 70/80 !

Je préférerais parler de trucs un peu plus funky. Parlons de la bouffe en bateau, tiens ! Car elle, elle se portait toujours bien, ha ha ! Le jour même de la fin de cette deuxième dépression (eh oui, on était tellement motivés de pêcher qu’on remettait les cannes en place dès que le vent baissait un peu !), César nous remontait un gros thon de 25 kilos à lui tout seul. En deux temps trois mouvements, le poisson était nettoyé, découpé et déposé délicatement dans nos assiettes. Et c’était parti pour les sashimis à volonté ! Rien de tel pour se réconcilier avec la vie et la mer après deux jours de dépression, hé hé ! Un brin de citron, un soupçon d’huile d’olive, un tournement de moulin à poivre, une pincée de fleur de sel, et hop, le tour était joué pour faire trembler nos papilles et faire de ce mets un repas digne de Bocuse. Quel délice ! Ça faisait longtemps… Le lendemain, Lisa nous faisait des rillettes avec le reste de thon. Orgasme papillaire numéro 2. Max, comme à son habitude, nous faisait le pain. Et moi, j’inventais une tarte pizza « j’y fourre-tout ». Pas besoin de vous préciser que cette fine recette était à base de n’importe quels ingrédients ou restes en perdition à bord du catamaran. Eh oui, sur un bateau, il est très important de gérer ses stocks avec le temps et la maturation des vivres, pour ne rien perdre et gâcher.

Et qui dit bien manger dit bien boire ; il fallait bien nous détendre un peu après toutes ces intempéries. On a sorti le rouge et le rhum, et passé un après-midi jeux et rigolades sur un océan tout calme : un moment magique !

En approche de l’Afrique

Le temps passait vite. On devait être le 16 mars lorsque nous avons réalisé qu’il nous restait quatre jours de mer avant de découvrir le continent africain. Quatre jours seulement après quasiment un mois en mer ! C’est peut-être fou à dire, mais je n’étais pas prête. Pourtant, combien de fois ai-je rêvé d’enfin arriver à terre, de quitter ce bateau et de retrouver ma liberté ? Et pourtant, à l’évidence, retrouver la terre et la vie « normale » après tout ce temps et mes longues méditations en mer me faisait un peu peur.

Le rituel père/fille après une tempête et une nuit blanche : Ricard et saucisson au petit matin, puis repos dans le carré.

L’arrivée à Cape Town restera la plus folle. On est arrivés dans un brouillard dense comme celui de la forêt amazonienne, on n’y voyait pas à 10 mètres – pour un atterrage, c’est plus que folklo ! Si nous n’avions pas eu notre pote le GPS, on se serait scratchés vingt fois sur les rochers. On n’aurait pas vu la terre se rapprocher. Troublant pour une arrivée : nous nous imaginions la voir de loin, déguster cette vision d’un continent se rapprochant doucement, un peu comme toute escale en voilier après un mois de combat en mer. Eh non, là, nous ne pouvions justement qu’imaginer la terre, bien que parfois, par chance, la brume disparaissait l’instant d’une minute et dégageait une vue sublime et mystérieuse de l’Afrique, toujours plus proche. Les baleines à bosse, les otaries, les fous, les dauphins et d’autres formes de vie encore sont tout de même venus souhaiter la bienvenue à Maitai, fier d’être arrivé jusque-là.

Un mois d’escale à Cape Town

Tous les quatre à l’avant, surexcités mais concentrés, on criait pour rassurer le Captain à la barre. On espérait bien lui signifier que la voie était libre, mais en fait, on ne savait pas… Très loin, on voyait une chose étrange, indescriptible, apparaissant pour disparaître aussitôt au gré des volutes de cette brume maléfique. Plus on se rapprochait, plus cela devenait gros et glauque… Et tout à coup, à moins de 10 mètres, a surgi du néant une digue – c’était en fait la digue de l’entrée du port de la marina Victoria, à Cape Town. Maudit brouillard !


Maitai en approche des côtes sud-africaines – déjà 7 512 milles depuis les Sables-d’Olonne !

La joie et le sourire, ancrés sur le visage de chacun de nous, étaient beaux à voir. La tension est retombée pour faire place à la joie ; on se marrait comme des gamins. Maitai a franchi les deux ponts levants de la majestueuse marina, le Captain a suivi les conseils de l’agent afin de savoir où s’amarrer, et hop, on a débarqué : nous mettions enfin un pied à terre et en plus sur le continent africain, dans la magnifique Cape Town. Yihaaaa ! Ça valait bien un gros câlin général, les yeux pétillants : on l’avait fait, on était là ! J’ai même surpris mon père en train d’embrasser le ponton tellement il était content… Oui, il n’y avait maintenant plus beaucoup de route jusqu’à la terre promise – Mayotte !

Contre vents et courants

On a passé quasiment un mois à Cape Town, surtout à cause du SAV du bateau. Maitai avait besoin de réparer pas mal de petites choses après ces trois mois en mer quasi non-stop – qui plus est assortis d’une navigation parfois sportive – eh oui, on a frôlé les 40° Sud, quand même !

Et puis l’équipage avait besoin de petites réparations lui aussi. Il nous fallait un peu de divertissements après tout ce long temps en mer à se marcher dessus non-stop. On a laissé le Captain sur son multicoque et on a loué des bécanes pour sillonner les belles routes d’Afrique du Sud – au programme également : un petit festival sur la route et une location d’une baraque de ouf vue sur mer (au cas où on n’en aurait pas eu assez, ha ha !).

Tourisme en Afrique du Sud : le cap de Bonne-Espérance et le Lion’s Head, un pic rocheux à 669 mètres au-dessus de Cape Town.

Le 15 avril, nous avons largué les amarres et commencé la remontée vers Mayotte. Notre premier objectif : une escale à Richards Bay. Avec 4 nœuds de courant de face, le cap de Bonne-Espérance ne s’est pas laissé passer facilement. Un véritable combat s’est mis en place, mais on a tenu bon ou presque – finalement, on a décidé de faire escale dans une petite marina pour passer la nuit, car se battre contre le vent et le courant en longeant les côtes africaines n’était pas le plus agréable. On arriverait à Richards Bay le lendemain, tant pis.

En finir avec la mayonnaise du saildrive…

Ah, la marina de Richard’s Bay, le Zululand Yacht Club… on s’en souviendra ! On est restés quasiment trois semaines. C’était vraiment la dernière marina où l’on pouvait réparer Maitai. On avait un gros problème à régler : de l’eau s’infiltrait au niveau de l’hélice, on avait de l’eau de mer dans ’huile d’un des deux saildrives, de la mayonnaise quoi...


Sortie d’eau de Maitai à Richard’s Bay afin de réparer un joint de saildrive et de caréner.

Ça, c’était pas cool du tout ! Il nous fallait malheureusement sortir Maitai au sec. Une épreuve pas des moins stressantes pour le Captain, c’est-à-dire voir son catamaran tiré par un petit tracteur puis calé avec quelques bouts de bois. Je dois avouer que même moi, je ne faisais pas la maligne. Heureusement, tout s’est passé à peu près bien. Malgré les difficultés et les échanges parfois longuets pour une opération de SAV comme celle-ci, Maitai a fini par retourner à l’eau, prêt à partir enfin. Nous, les jeunes, on a pris quelques jours de vacances loin de tout ça, pour souffler un petit peu, et surtout pour aller visiter le fameux safari de Hluhluwe. On est revenus plus frais que jamais et surtout parés pour LA dernière et tant attendue navigation. Moment fort que celui de larguer les amarres de cette belle marina Zululand, cette terre d’Afrique où nous avions fait de si belles rencontres. Ils étaient d’ailleurs tous au ponton, nos amis, à nous faire de grands coucous pour nous dire au revoir. Nous les regardions, les yeux pétillants, pensant à ce que nous laissions, mais gardant en tête notre objectif final, Mayotte !

Un équipage en or

Mine de rien, cela faisait cinq mois que nous étions H24 tous les cinq et pratiquement tout le temps ensemble – le tout sur un voilier, la plupart du temps en navigation. On réalisait quelque chose de rare et pas si simple : la vie n’était pas toujours facile à bord. Plus le temps passait et plus on se rendait compte de ce que représentait cette mission : amener Maitai à Mayotte en partant des Sables-d’Olonne. Et avec trois moussaillons n’ayant jamais jamais navigué, ohé ohé… On avait déjà traversé des moments durs, et deux fois le même océan aussi. Et je peux vous dire qu’en mer, on a le temps de penser, on se retrouve face à soi-même, sans échappatoire. On évolue en faisant face à ses défauts, dans une permanente remise en question. Cela ne fait pas de mal en tant qu’être humain, il faut passer par là et on en ressort forcément grandi. Disons que la mer accélère juste les choses. Quelle équipe ! Le Captain et ses p’tites fourmis… On se connaissait mieux que jamais auparavant, pour le meilleur, et parfois le pire – mais c’était beau. On se soudait et on avançait ensemble, en se donnant beaucoup d’amour et de compassion, malgré les difficultés et l’envie pressante d’arriver. Max et Lisa étaient des pépites sur lesquelles jamais je n’aurais pu penser me reposer à ce point. Mon père, malgré ses responsabilités, son stress du bateau et ses quatre jeunes fous à bord, prenait sur lui comme jamais – il a été magique. César, enfin, s’est révélé une force tranquille, surprenante et merveilleuse face à la tornade que je pouvais être. Il nous restait deux semaines de navigation pour arriver à Mayotte et on allait tout faire pour les rendre les plus belles du monde !


De gauche à droite, pris en photo par le Captain : Alizé, Max, César et Lisa.

Mayotte, terre promise…

17 mai 2019… L’anniversaire de notre Captain, mon babou. Et il n’est pas né ce jour-là pour rien : le lendemain, nous sommes arrivés à Mayotte – et ça, c’était du cadeau ! Du coup, on ne lui a pas préparé grand-chose, mis à part une soufflée de bougie sur une bonne vieille crème pralinée Mont Blanc – ces boîtes de crème dessert nous étaient chères au milieu de l’océan Indien, je vous le garantis !

Mayotte, notre terre promise ! Enfin, nous arrivions à toi ! J’ai regardé cette belle île approcher, assise à ma place favorite, une des pointes avant de Maitai, et tous les souvenirs de ces cinq derniers mois me sont revenus, des larmes coulaient doucement de mes yeux. Tant de choses vécues, tellement de moments forts, des engueulades, des pleurs, des rires…

Purée, quel combat ! Combien de fois nous avons refait le monde avec toutes nos grandes discussions sur le bimini ? Et nous étions là aujourd’hui, tous les cinq, toujours unis.

Et ça, c’était magnifique. Je me surprenais à tourner la tête pour regarder derrière moi, depuis ma pointe avant, et Lisa était là, assise sur le roof. Je plongeais dans ses yeux tout bleus, pas besoin de mots pour comprendre dans nos regards humides tout ce que l’on ressentait alors. On s’est serrés fort dans les bras. Nous étions arrivés !

Un petit bateau de pêche avançait doucement vers nous, au loin… Plus il se rapprochait, plus on pouvait discerner des petites silhouettes qui ne ressemblaient pas trop à des marins. C’étaient Monique, Cécile et ma mère – elles avaient toutes les trois fait le début de la navigation avec nous jusqu’aux Canaries – qui venaient nous accueillir ! Je pouvais entendre ma mère crier de joie. Evidemment, on s’est retrouvés tous les cinq sur le trampoline de Maitai pour hurler nous aussi ! Tellement hâte de mouiller l’ancre et de les serrer dans nos bras !


Arrivée sous voile à Mayotte.

Mon père avait prévu l’arrivée à 8h ; nous étions exactement au rendezvous – nous, le gros Maitai, et la petite coque de noix – à Passe Bateau, un des plus beaux mouillages de Mayotte. Ça, c’est la classe ! Le mouillage a à peine eu le temps de toucher le fond que l’on a sauté à l’eau tous les cinq comme des fous pour rejoindre les femmes. Ma mère en a fait autant ; elle s’est retrouvée dans les bras de mon père en moins de deux, puis dans tous les nôtres aussi – nous les avons rejoints pour un câlin général d’arrivée émouvant. Pas besoin de vous décrire la joie et l’intensité de ces heureuses retrouvailles.

Maitai était attendu comme un héros à Mayotte. La mama avait eu le temps de faire un bon coup de com’ depuis ces cinq mois, alors toute l’île nous attendait impatiemment. Pour vous dire, le premier soir, on est allés à une fête (évidemment, pardi !) et les gens venaient nous voir en mode « mais c’est vous qui venez d’arriver avec le beau cata, l’équipage de Maitai ? Depuis la France ? Wahoooo ! ». Eh oui, c’était nous, ha ha !

Pas le temps de chômer ni de cuver notre gueule de bois : le lendemain matin, on s’est retrouvés avec les journalistes, amis et reporters pour une remontée de l’île jusqu’à Mamoudzou, suivie d’une belle réception gustative et animée au ponton avec tout le monde. Mission accomplie : Maitai était livré à bon bord, entre de bonnes mains, on pouvait laisser le capitaine. Je l’avais dit à ma mère : « J’amènerai Papa jusqu’au bout, coûte que coûte, ne t’inquiète pas. » En fait, il n’y en a pas un qui a amené un autre, on s’est tous amenés, tous les cinq, sans jamais rien lâcher !

Je rêvais de les avoir juste tous les quatre, mon babou, César, Max, Lisa, pour les serrer fort dans mes bras une dernière fois, pour les remercier et leur dire que je les aime si fort du fond du cœur, pour avoir vécu cette merveilleuse et inoubliable aventure, malgré tout et jusqu’au bout. Je crois que c’est fait, maintenant… On se retrouve dans quelques années, pour les prochaines aventures de Maitai, OK ?


Première sortie charter de Maitai pour le Captain.

 

 

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