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Brisbane / Darwin - La route des tropiques (2/2)

Dans Multicoques Mag n°205, notre correspondant australien Kevin Green nous a fait découvrir la première partie de la route qui mène de Sydney à Brisbane ; nous reprenons la mer avec lui pour nous aventurer plus au nord. Au programme, le tropique du Capricorne, des eaux tièdes et la Grande Barrière de corail !



A 170 milles au nord de Cairns, Lizard Island dispose d’une station balnéaire renommée et d’un mouillage très apprécié. L’île est approvisionnée grâce à une barge de ravitaillement en provenance du continent.
Les Whitsunday Islanders offrent un terrain de jeu parfait pour la croisière ; l’archipel accueille également la régate la plus prestigieuse d’Australie, la Hamilton Island Race Week, fin août.

La grande ville de Brisbane, au nord-est de l’Australie, est un bon endroit pour préparer votre voyage autour de la partie tropicale de cette vaste île, l’une des régions de navigation les plus reculées au monde. Ce périple sera idéalement réalisé en deux parties : la côte est, puis la côte nord. Appelée le « Top End », cette côte nord s’étend sur 1 000 milles entre l’océan Pacifique et l’océan Indien. Le voyage vous mènera entre les deux seules villes d’une région deux fois plus petite que l’Europe, pourtant peu peuplée et grouillante d’animaux sauvages – certains d’entre eux pourraient être tentés de vous dévorer... Ce voyage doit être effectué pendant l’hiver australien (avril à septembre) afin d’éviter la saison des cyclones et d’exploiter les vents dominants du sud puis de l’est.

L’aéroport international de Brisbane fait de cette escale un lieu bien pratique pour les changements d’équipage – par exemple, pour ceux qui quittent le bord après avoir effectué la première étape depuis Sydney. Au-delà de Brisbane et de la baie abritée de Moreton – un point de départ parfaitement abrité –, se trouvent des centaines d’îles et la fameuse Grande Barrière de corail, sans aucun doute l’un des lieux de croisière les plus vierges au monde. Les cartes papier et les guides de croisière seront lus attentivement, à la fois pour votre sécurité et pour vous aider à explorer. Compte tenu de la quantité de corail à venir, il est conseillé d’embarquer plusieurs ancres et lignes de mouillage de rechange, en gardant à l’esprit qu’il est souvent trop dangereux de plonger à cause des requins et des crocodiles...

La première étape de ce voyage se déroule le long de la région de la Sunshine Coast, composée de longues plages et de spots de surf dans le parc national The Great Sandy. A environ 45 milles au nord se trouvent la principale marina « multihull friendly » et la ville de Mooloolaba, un port parfait pour explorer la région. Au-delà, une autre journée de navigation vous mène au plus grand banc de sable au monde, Fraser Island, avec un passage intérieur gardé par le tristement célèbre Wide Bay Bar. Des semaines peuvent être passées ici, à explorer les parcs nationaux et les installations à terre, y compris les restaurants et les yacht clubs.


Cap plein nord pour notre Seawind 1250, à l’approche de Lizard Island

Naviguer vers les récifs

Au nord de Fraser Island, la navigation devient plus complexe en raison des nombreux récifs coralliens. Si les prévisions météorologiques sont clémentes, il est possible de profiter de mouillages exceptionnels. Les grandes villes équipées de grandes marinas se trouvent ici, comme Bundaberg, qui abrite la distillerie de rhum la plus célèbre d’Australie. La côte est découpée par une myriade de canaux, d’échancrures et d’îles - telles que la baie de Keppel et l’île Curtis, des destinations de croisière populaires. Cependant, pour les voyageurs au long cours, ce sont les îles Whitsunday qui dicteront le cap. Cette croisière dans cet archipel – réputé dans le monde entier – est appelée ici « 100 milles magiques ». Une découverte qui comprend évidemment une escale à la prestigieuse île Hamilton, théâtre de la fameuse Hamilton Island Race Week, disputée à la fin du mois d’août. Côté continent, la ville d’Airlie Beach propose un abri contre les cyclones... et des supermarchés.

Il y a quelque temps, au départ d’Airlie Beach au mois d’août, je me souviens de m’être dit : « Wow, nous avons 3 000 milles devant nous jusqu’à Darwin sans contact humain ou presque ! »

Notre itinéraire insulaire a conduit notre catamaran, un Seawind 1250, à travers les innombrables canaux de la Grande Barrière de corail. Nous avons fait escale dans certaines des îles et baies intéressantes rendues célèbres par les premiers explorateurs, notamment Cook, Torres et le controversé capitaine Bligh. L’exploration française était principalement concentrée au sud-ouest de l’Australie. Parmi la demi-douzaine d’expéditions majeures, celle de Nicolas Baudain de 1800 à 1804 fut la plus réussie. L’héritage du navigateur est bien présent – des lieux et des animaux portent son nom.


Mouillage à Hinchinbrook Island, où nous sommes entrés sur le territoire des crocodiles. Ces prédateurs sont sans doute parmi les plus meurtriers d’Australie tropicale (un ou deux morts par an). Amphibies, ils sont capables d’accélérer jusqu’à 30 km/h sur le sol.

Magnetic Island

Après une nuit étoilée et une navigation facile, le sommet de Magnetic Island est apparu à l’horizon comme un cornet de crème glacée renversé peu après le lever du soleil, à 6 heures. A l’heure où Horseshoe Bay commençait à se réchauffer, nous avons jeté l’ancre sur du sable blanc avant de débarquer en annexe jusqu’à des magasins pour des rafraîchissements. Lors de visites précédentes, j’avais erré le long des sentiers de la nature sauvage, rencontrant des échidnés à nez court, des wallabies des rochers surpris de me découvrir me prélassant seul dans des criques de sable isolées. Nos quelques heures à terre et nos baignades dans des eaux à 25 degrés étaient un pur délice – les méduses mortelles de la région ne sont présentes qu’en été. Après une autre navigation de nuit, l’aube a révélé les montagnes vertes de la jungle de l’île de Hinchinbrook, sans aucun signe d’habitation humaine à part un grand panneau sur la plage avertissant de la présence de crocodiles d’eau salée. Les « salés » sont l’un de nos prédateurs les plus meurtriers. Ils sont particulièrement dangereux, car ils sont capables de se déplacer sur terre à plus de 30 km/h, d’évoluer dans l’eau comme des torpilles et même de sauter à plusieurs mètres de haut dans les airs. Plus tard dans l’après-midi, nous avons navigué vers le nord-est pour une plongée en apnée dans la Grande Barrière de corail intérieure. Auparavant, nous nous sommes faufilés lentement parmi les hautes têtes de corail appelées ici « bomeys », avant de mouiller. J’ai pu nager pendant une heure parmi les coraux-cerveau et coraux corne de cerf, rencontrant des poissons clowns colorés, des poissons-perroquets et autres raies majestueuses. Nous avons ensuite profité de la brise de l’après-midi qui se renforce afin d’accélérer vers le nord, prêts pour une navigation de nuit de 70 milles jusqu’à l’île Fitzroy, suivie d’une courte escale à Cairns, la grande ville la plus au nord de la côte est et toute proche de la Grande Barrière de corail. 


James Cook a escaladé ce sommet de Lizard Island en 1770 afin de trouver un passage à même de d’assurer la sortie de son navire.

Sur les traces de James Cook

Esquivant les armadas de bateaux-promenade qui imposent un rythme infernal, nous nous sommes dirigés vers le nord pour dégager notre horizon. Le vent établi à 20 nœuds nous a amenés à prendre un ris dans notre grand-voile lattée alors que nous filions à près de 10 nœuds pour l’étape de 170 milles vers l’un des rares endroits où le capitaine Cook a débarqué lors de son voyage de 1770, Lizard Island. A la tombée de la nuit, seules quelques lumières ont scintillé à Cooktown, le petit hameau où Cook a échoué son HMS Endeavour suite à sa collision presque fatale avec le corail. A cette latitude, le corail borde en effet la côte – une navigation attentive est donc essentielle. Contrairement à Cook, qui devait compter sur un sextant et une version de la célèbre horloge de John Harrison pour la longitude, nous avons suivi les waypoints de notre traceur, longeant la bordure du récif intérieur. Le chenal qui serpente vers le nord se rétrécit nettement ; j’ai été surpris lord de mes veilles nocturnes de croiser des grands navires – cargos chargés de minerai ou crevettiers. Nous avons rallié Lizard Island le lendemain – son magnifique lagon scintillait sous le soleil de fin d’après-midi. Lizard est un mouillage populaire pour les plaisanciers de la côte est : 17 autres bateaux y étaient ancrés. Cook est venu ici le même mois en 1770. Il était contrarié après avoir passé des mois à réparer l’Endeavour et surtout désireux de trouver un moyen de sortir de ce « récif infernal ». Il a donc gravi le sommet haut de 359 m qui porte aujourd’hui son nom – Cooks Look. Sa récompense, comme la nôtre, à l’issue de ces deux heures d’ascension à travers des buissons denses et des rochers, était une vue d’ensemble du plan d’eau et du corail. A l’est, au-delà d’un îlot de bancs de sable, s’étendait une mer turquoise clair, trahissant la présence du corail affleurant, mais il y avait des trous bleu foncé. C’est par ici – Cook Passage – que le navigateur est parvenu à s’échapper vers la mer de Corail. Nous ne l’avons pas suivi, car la route côtière était la plus rapide pour notre parcours autour du point le plus au nord de l’Australie ; la mince masse continentale du cap York pousse les marins à 70 milles seulement au sud de l’Indonésie et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. 

Nous sommes au cap York, le point situé le plus près de l’équateur de l’Australie (S 10° 41’ 60’’, E 142° 31’ 0,0012’’). Mission accomplie pour le skipper L. Royce et son second, auteur de cet article !
Les lunettes de vision nocturne permettent à Kevin de repérer l’entrée des mouillages... et les crocodiles.

Attaque de requin 

A l’aube d’un beau matin clair, nous avons longé une chaîne d’îles de bancs de sable, à la recherche d’un mouillage abrité pour pratiquer du snorkeling. Nous avons jeté notre dévolu sur l’île n° 8 du parc national Sandbar – un nom pour le moins peu évocateur. Au menu, une masse de corail parsemée de végétation rare et de plages immaculées. En marchant prudemment pour ne pas déranger les oiseaux, nous avons observé les acrobaties des fous et des sternes. Mais notre baignade a été gâchée par l’apparition soudaine d’un grand requin tigre, lequel a poursuivi mon coéquipier dans le corail peu profond. Quand j’ai pris la mesure du danger, je l’ai secouru grâce au dinghy. Plus de peur que de mal... Nous avons repris la mer pour la dernière étape de notre partie de la côte est du voyage avant notre virage vers l’ouest. Nous nous sommes frayé un chemin à travers le détroit d’Endeavour, un canal intérieur du détroit de Torres, en profitant du courant de marée favorable pour enrouler le cap York. Nous avons longé des criques bordées de palmiers et un hameau solitaire avant de mouiller sur le sable, juste après le cap. A terre, nous avons rencontré des conducteurs de 4x4 épuisés qui avaient roulé 1 000 km pour atteindre le point situé le plus au nord de l’Australie. Notre dernière virée à terre dans la région a été dédiée aux îles Horne et Thursday toutes proches, avant la traversée de trois jours du golfe de Carpentaria. A Horne, nous nous sommes promenés parmi la communauté autochtone, et avons parcouru la rue principale poussiéreuse jusqu’à un hôtel ; nous y avons commandé au bar un repas composé de poisson frais de Barramunda et de bières bien fraîches. La terrasse était encerclée d’un grillage en acier de 2 mètres de hauteur, histoire d’éviter que des clients ne se fassent dévorer par les crocodiles, alors nous nous sommes détendus avec quelques bières supplémentaires. Située sur le passage vers l’ouest, l’île solitaire de Booby était notre dernier point de repère avant notre traversée de 300 milles. Au cours de cette navigation, seuls quelques navires allant vers le sud ont été rencontrés alors que les journées sont restées ensoleillées et suffisamment ventées pour nous permettre de progresser sous voile. La nuit, une pleine lune dominait le ciel étoilé et j’ai utilisé l’application Sky View pour identifier toutes les étoiles et même les satellites. Ainsi, en gardant notre cap parallèle à la constellation de la Croix du Sud, nous nous sommes dirigés vers l’ouest, traversant des hectares de frai de corail orange, activé par la pleine lune. Débarquer du poisson sur nos deux lignes de traîne était excitant – nous avons capturé un maquereau espagnol de 16 kg, notre plus grosse prise.


Un équipage heureux d’avoir capturé un maquereau espagnol de 16 kg sur un leurre tracté ; nous avons également pu nous régaler de thon rouge.

Territoire du Nord

Nous avons relâché dans la baie abritée de Gove. Le site est dominé par son immense usine de traitement de la bauxite, mais abrite également le Gove Yacht Club récemment rouvert. En quittant le mouillage, nous avons slalomé entre des dizaines de bateaux armés pour la grande croisière qui avaient hiverné ici – ils se dirigeraient probable- ment vers l’est à l’arrivée de la saison des pluies d’octobre.

La dernière étape de notre voyage vers Darwin s’est déroulée principalement au large de la mer d’Arafura, une fois nous être frayé un chemin à travers les eaux peu profondes de Gugari Rip, entre les îles Wessel. Un passage étroit de 500 m seulement permet de « couper le fromage », mais les courants de marée sont ici très puissants. Sur le rivage, le bush sauvage et les parois de grès s’illu- minaient du soleil éclatant, tandis que les wallabies des rochers couraient se cacher sous les pandanus, plante typique de la région. Une scène étonnante et très tropicale – la même a dû étonner les premiers explorateurs voilà 250 ans. Cette nature vierge est une terre contrôlée par les autochtones, la chasse n’est donc pas autorisée et les îles basses sont un paradis pour la vie sous-marine. Après le mouillage, nous avons glissé à bord de notre dinghy sur des eaux cristallines parmi les mangroves, où de petits crocodiles se cachaient. Un peu plus haut, les bébés requins prenaient le soleil sur les hauts- fonds sablonneux. Ailleurs, de grandes ombres se déplaçaient sous notre annexe dans les parties les plus profondes de la baie – des raies manta de deux mètres d’envergure « volaient » tranquillement...

A l’issue de deux jours de navigation tranquilles vers l’ouest assortis de vents légers, nous avons rencontré le dernier obstacle majeur avant Darwin – la péninsule de Coburg et Port Essington, où les premiers colons britanniques avaient tenté d’établir un canton. Ce projet n’a pu aboutir en raison de l’inaccessibilité de cette rivière sans vent, aussi, le canton de Darwin a été créé. Pour notre part, cette difficulté s’est traduite par la menace d’un gros crocodile – j’étais dans l’annexe armé d’une simple hache –, qui heureusement ne m’a pas attaqué. Encore deux journées de navigation bercées par une brise tropicale, et notre catamaran a rejoint Darwin. A l’approche de cette ville de 130 000 habitants, nous pouvions presque deviner les senteurs épicées de la vie urbaine. Mais la cité dispensait en réalité une faible lueur, un simple point lumineux sur cette côte sauvage...


Arrivée à l’aube à Darwin, la seule grande agglomération sur la côte nord et isolée de l’Australie. Les marnages de près de 8 mètres obligent les marinas à se doter d’écluses, mais l’accueil est sympathique, notamment au yacht club.

  

 

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