Multicoque

Faut-il avoir peur des orques ?

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VIDEO :
Interaction avec les orques
L'expérience du catamaran Piment Rouge

Au mois de janvier dernier, un catamaran qui traversait le détroit de Gibraltar s’est fait aborder par un groupe d’orques. Les épaulards, selon un mode opératoire devenu habituel, s’en sont rapidement pris aux safrans après une période d’observation. Quelques dizaines de minutes plus tard et après de nombreux chocs, les deux safrans ont fini par céder sous les coups et morsures infligés. L’équipage, qui filmait depuis son bord, a même vu les orques jouer avec les safrans qu’elles venaient d’arracher. Le multicoque a pu rejoindre le Maroc au moteur. Un peu plus tôt, en novembre, un monocoque au largue du Portugal a déploré la rupture de la mèche de son safran et de l’étambot ; à cause d’une voie d’eau importante, le voilier a coulé. L’équipage est parvenu à prendre place sans trop de difficultés dans le radeau de survie car les épaulards se sont éloignés sitôt le safran détaché. Un autre navire sur zone a rapidement porté assistance.

Des scientifiques perplexes


Ces deux exemples récents rappellent des dizaines d’autres faits et observations. Oui, depuis trois ans, au large de l’Espagne, du Portugal et même de la France, des orques s’intéressent aux safrans des bateaux de moins de 25 mètres, et même parfois les percutent, voire les mordent et les arrachent. Dans un premier temps, ces agissements ont laissé les scientifiques perplexes. Mais revenons d’abord aux tout premiers signalements. Ce comportement perturbateur a été observé pour la première fois juste après les confinements imposés en Europe et les interdictions de navigation lorsque certains juvéniles ont commencé à interagir principalement avec des voiliers monocoques, mais il y a aussi eu quelques cas avec des bateaux de pêche, des RIB (embarcations semi-rigides) et des catamarans. Evidemment, ce timing sème le doute : le retour des bateaux en mer a-t-il été le déclencheur de ce nouveau comportement ?

Jusqu’à 180 rencontres par an

Les orques ont donc touché, poussé et même fait pivoter les bateaux, ce qui, dans certains cas, a entraîné des dommages sur les gouvernails. Au cours de l’été 2020, de plus en plus de rencontres ont été signalées. En septembre, les autorités espagnoles ont pris la décision d’interdire les voiliers de moins de 50 pieds entre les eaux du détroit de Gibraltar et le nord-ouest de l’Espagne (Galice), y compris la côte le long du Portugal continental. Cette situation de blocage n’a fort heureusement pas duré. Pour mieux comprendre le comportement des épaulards, le ministère espagnol de l’Environnement a lancé une enquête sur les rencontres : « L’objectif étant de faire un suivi détaillé des cas d’interaction des orques avec les voiliers afin de minimiser les impacts sur l’espèce et d’assurer la sécurité des bateaux », a-t-il indiqué dans un communiqué annonçant l’enquête en octobre. De plus, un projet pilote est lancé dans le but de tenter de comprendre les causes, et de réduire les épisodes d’interaction entre orques et voiliers. Si une cinquantaine d’événements a été répertoriée en 2020, il semblerait qu’environ cent quatre-vingts rencontres entre bateaux et orques aient été recensées en 2021, et autant en 2022, soulignant la persistance de ce comportement inédit dans le temps. Cette situation inscrite dans la durée confirme le besoin d’actions spécifiques basées sur la coordination internationale entre les administrations, les marins et les scientifiques pour éviter tout dommage futur aux personnes, aux épaulards et aux bateaux. C’est dans ce but que le groupe de travail des orques de l’Atlantique a été créé ; le GTOA a donc pour objectif d’assurer la conservation et la gestion d’une sous-population d’épaulards en voie d’extinction (voir ci-dessous «Les orques du détroit de Gibraltar») entre le nord de la péninsule ibérique et le détroit de Gibraltar. Il a mis en place un site Internet www.orcaiberica.org favorisant le recueil des informations, l’échange entre les différents intervenants et l’information des usagers de la mer (plaisanciers et pêcheurs) en temps réel. Le GTOA dispense également des conseils comportementaux dans le but de faire face à ces interactions.

Pourquoi interaction et non attaque ?


Les victimes elles-mêmes ont relaté, les premières, sur les réseaux sociaux et dans la presse ce qu’elles ont ressenti comme une attaque. On peut aisément comprendre le sentiment de ces plaisanciers, effrayés par des animaux qui peuvent mesurer plus de 8 mètres et peser 8 tonnes. Evidemment, au cours de ces récits, les conséquences financières des dégâts occasionnés ont été évoquées. Les scientifiques, chercheurs et responsables administratifs se sont rapidement intéressés à la question. Ruth Esteban – une chercheuse titulaire d’un doctorat en sciences marines, travaillant au musée des Baleines de Madère et membre de l’European Ceatean Society – a déclaré que le meilleur que les spécialistes puissent faire est de participer à minimiser les dommages aux personnes et aux bateaux, en donnant des conseils aux marins sur la manière de réagir lorsqu’ils se trouvent dans ces situations (voir « Check sécurité»). Ruth a également précisé, sur la base des premiers témoignages, que ces interactions se limitaient à un groupe d’individus résidant aux abords du détroit de Gibraltar (aucun autre cas n’a été répertorié ailleurs dans le monde). Ces épaulards voyagent le long des côtes espagnoles, portugaises et jusqu’en Bretagne pour suivre les proies qu’ils chassent. Cette sous-population en voie de disparition dépend fortement pour sa propre subsistance d’une espèce tout aussi menacée, le thon rouge de l’Atlantique. Les orques sont observés soit en train de pourchasser le thon jusqu’à ce qu’il s’épuise, soit saisissant directement sur les lignes les thons capturés par des bateaux de pêche à la palangre. Un comportement audacieux qui pourrait être causé par l’appauvrissement des ressources. Le GTOA essaie d’ailleurs de déterminer si la famille d’orques qui nous intéresse, dénommée groupe Gladis, est en manque de thon et qu’elle cherche d’autres moyens pour se nourrir. Dès lors, les hypothèses concernant les motivations des orques ont tout d’abord privilégié un signal de survie visant les responsables de ce dépeuplement des thons. Cette interprétation n’est pas aussi farfelue qu’elle en a l’air ; les épaulards disposent d’un cerveau particulièrement développé et leur intelligence est à peu près équivalente à celle des chimpanzés. Reste que la majorité des bateaux concernés sont des voiliers et non des pêcheurs. Certains pensent aussi à un message visant à réprimander l’utilisation des foils de nos voiliers de course les plus récents, qui parfois tapent des cétacés à (très) grande vitesse. Mais le phénomène est localisé et provient d’orques jeunes et immatures, a priori incapables de se venger d’un historique non vécu. Ruth Esteban explique qu’à la suite des premiers visionnages photos, il semblerait qu’au moins un adulte soit présent lors des interactions avec les voiliers. Il s’agirait d’une femelle ; enseigne-t-elle aux plus jeunes ? Encore une fois, ce n’est pas clair. Il est également possible que ce qui pourrait être qualifié d’attaque ne soit finalement pas un acte d’agression. Les mammifères géants sont des créatures qui aiment jouer ; certains scientifiques pensent qu’ils s’approchent des bateaux par curiosité ou par jeu. Pour Ruth, « le mot « attaque » est trop fort, et, sans qu’on en ait la preuve, il se pourrait que ces orques s’amusent ». Eric Demay, cétologue installé en Bretagne et fondateur du groupement TURSIOPS d’étude et de protection des dauphins et des cétacés, est du même avis : « Il ne s’agit pas selon moi d’attaques véritables car, si ces orques avaient vraiment voulu attaquer ces bateaux dans le but de les détruire, ils n’auraient eu aucun mal à le faire ! Il existe des exemples ou des orgues ont complètement défoncé un bateau, quitte à se blesser en sautant dessus. Il faut savoir qu’un épaulard est capable de s’en prendre à une baleine bien plus grosse que ces bateaux, et de gagner son combat. Dans les cas présents, les orques ne font pas preuve d’une véritable agressivité », analyse ce spécialiste. Selon lui toujours, « il s’agirait tout juste de tentatives d’effarouchement des voiliers ou d’intimidation, dans le cas où ils chercheraient à protéger leur progéniture. Mais ce sont souvent de jeunes orques, et ce en toutes saisons, qui interviennent. Ces interactions seraient donc peut-être des entraînements liés à l’enseignement de la chasse ou simplement un jeu, sans chercher à faire du mal à l’homme ». Ces comportements sont tout de même surprenants, l’orque étant considérée comme un animal sociable et curieux, a priori peu dangereux pour les humains. En l’absence de preuves de réelle agressivité, le terme « interaction » a donc été retenu pour qualifier ces agissements. D’ailleurs, nombreux sont les plaisanciers concernés qui n’ont pas relevé de comportement agressif. Mais le simple jeu sous-marin d’un animal de plusieurs tonnes peut vite générer d’importantes avaries sur une embarcation, voire mettre en danger ses occupants.

Des remontées de statistiques essentielles


Dans un premier temps, les autorités maritimes recommandaient, en cas de rencontre avec les orques, d’éteindre le moteur et d’immobiliser le safran, décourageant ainsi les mammifères d’interagir avec les structures mobiles immergées. Ce conseil s’est avéré bon, mais pas forcément suffisant ; la puissance de l’orque est telle qu’aucun système de barre ne peut résister si elle s’y intéresse de trop près… Le protocole a évolué depuis : on recommande désormais de laisser la barre libre de toute emprise humaine ou mécanique. Autre option, la marche arrière lente. Mais le constat reste à peu près le même : en cas de « contact », les mèches de safran sont tordues, au mieux, les mécanismes de transmission sont faussés. Face à des dommages potentiellement importants, certains marins déterminés à défendre leur embarcation ont été jusqu’à faire usage d’une arme à feu ; une orque a en effet été retrouvée avec une balle dans la tête. Devenue sourde, elle était incapable de survivre. Un tel comportement représente une énorme prise de risque si le groupe d’orques venait à attaquer le navire pour de vrai…
Dès juillet 2020, le GTOA a commencé un travail d’étude en collectant toutes les informations possibles sur ces interactions et sur les habitudes des cétacés, afin d’élaborer une réaction bien éclairée. Un questionnaire précis a été rempli par les skippers concernés. Un premier rapport fait référence à tous les événements relevés jusqu’à mars 2021 et, quelques mois plus tard, les premières bases d’une étude scientifique sont présentées lors d’un séminaire en ligne. On apprend que tous les bateaux de 6 à 25 mètres sont concernés – la moyenne s’établit à un peu plus de 12 mètres. Les navires, qu’ils soient en bois, en composite, en acier ou en aluminium, attirent tout autant les orques. La couleur d’antifouling n’a pas plus d’importance que le fait d’immerger une, deux ou trois coques. Idem pour la vitesse du bateau : nulle ou supérieure à 10 nœuds, cela ne semble rien changer, tout comme l’état de la mer. Précisons que les orques peuvent nager à plus de vingt-cinq nœuds ; un bateau de course, dont les appendices étaient filmés par une caméra afin de repérer les algues éventuelles, s’est fait « grignoter » les safrans en direct... On relève également le cas d’un puissant semi-rigide qui s’est fait chahuter par deux orques à pleine vitesse.
Sur cette première période, on constate que les voiliers représentent la grande majorité des bateaux interceptés. Plus de la moitié de ces voiliers abordés ont fini par subir une avarie. Les bateaux à moteur et les semi-rigides s’en sortent mieux, sans doute parce que leur safran est plus petit – voire absent. Cette répartition constatée correspond tout simplement à la proportion des différents types de bateaux naviguant sur le plan d’eau fréquenté par les orques du groupe Gladis.
Sur le nombre total d’interactions, les avaries graves (safran déchiqueté ou arraché nécessitant un remorquage) comptent pour un quart. Les avaries peu graves (sans dégât matériel important) concernent environ la moitié des rencontres. Paula Mendez-Fernandeza, une des chercheuses du GTOA, tient une explication : « Quand les orques ne trouvent pas de résistance, elles peuvent vite se lasser et s’éloigner. » Nous n’avons pas le détail des interactions de 2022, mais, selon les sources qui nous ont aidés à construire cette enquête, il y en a eu autant qu’en 2021, ce qui tendrait à dire que le nombre d’incidents se stabilise autour de 180 par an. Une autre information particulièrement intéressante émane de la dernière Transat 6,50 ; pour leur première étape, les 90 concurrents se sont élancés des Sables-d’Olonne à Santa Cruz de la Palma (îles Canaries) le 27 septembre 2021, et ont traversé, au large de La Corogne (Espagne,) une zone investie alors par les orques qui nous intéressent. Quatre concurrents ont été interceptés, mais seul un d’entre eux a subi des avaries qui l’ont contraint à une escale à terre pour réparer. Grossièrement, 1 % de la flotte a subi des dégâts importants – un ordre de grandeur que nous allons tenter d’étayer et de valider un peu plus. Pour connaître le réel impact sur l’ensemble des bateaux qui naviguent dans cette zone, nous avons posé la question à Jimmy Cornell, qui recense, tous les cinq ans, les mouvements de bateaux de plaisance dans le monde et édite ses résultats dans ses ouvrages, comme le dernier en date – 200,000 Miles – A Life of Adventure. Jimmy se sert des points de passage comme les canaux, détroits et autres escales obligées pour répertorier le trafic. Il nous précise qu’il n’existe pas de telles statistiques dans les administrations, et il interroge les autorités portuaires pour élaborer ses estimations. L’auteur estime que l’ensemble des bateaux de plaisance passant par l’ouest de l’Espagne et du Portugal – le plus souvent pour aller ou revenir de Madère, des Açores ou des Canaries – s’élève à 1 500 par an (dont 1 200 en voyage autour de l’Atlantique). Son enquête mène Jimmy de la même façon à établir le trafic sortant et entrant en Méditerranée à une fourchette comprise entre 1 000 et 1 500 bateaux. A cela, nous pouvons ajouter entre 600 et 1 100 bateaux portugais et espagnols, incluant les navires de pêche qui ont été recensés, par le GTOA, comme pouvant naviguer en côtier. On obtient donc un trafic vraisemblable d’environ 3 600 unités qui naviguent chaque année dans la zone investie par le groupe Gladis. Avec un peu moins de 180 bateaux abordés, on relève 5 % d’interactions sur l’ensemble du trafic, les avaries graves concernant moins de 1 % de la flotte totale.
Les naufrages, quant à eux, ne représentent que 0,03 % de la flotte, puisqu’il n’y en a eu deux, un en 2021 et un en 2022. Sur la même période, il y eu aussi deux victimes chez les orques. Voilà des chiffres à même de relativiser un effet médiatique important, abondamment amplifié par le terme « attaque », qui laisse supposer une plus grande fréquence et gravité de ces interactions qu’elles ne le sont en réalité. Mais parlez-en aux intéressés, cela reste encore beaucoup trop pour ne pas chercher des solutions à ce problème… C’est ce à quoi s’est employé le GTOA en recommandant des actions qui ont apporté un peu de sécurité, mais ne représentent pas encore une solution pérenne. Les statistiques ont en effet démontré que les bateaux respectant le protocole de sécurité – mise à l’arrêt et barre libre – sont autant touchés que ceux continuant à naviguer. Par contre, ils ont moins de risques (10 % en moins) de subir une avarie grave.

La nécessité d’une réponse universelle

Afin de mieux comprendre le comportement de ces orques et pourquoi le gouvernail des bateaux les intéresse, nous avons rencontré Isabelle Brasseur, spécialiste du comportement des delphinidés. « Il s’agit certainement au départ d’une expérience faite par une jeune orque, attirée par une pièce mobile comme le safran, analyse-t-elle. Dès lors que l’expérience se révèle positive et qu’une satisfaction en découle, l’animal est tenté de recommencer et d’en faire profiter les autres membres du groupe et, si l’adhésion est commune, d’augmenter la fréquence de ces expériences. Les delphinidés ont des compétences cognitives très fortes. Ils font preuve de capacités d’imitation, de créativité et transmission. Ils sont capables d’apprendre, mais aussi de désapprendre. » Ainsi, il y a quelques années, une population particulière d’orques avait pris l’habitude de placer les otaries tuées sur leur museau, puis cette « mode » a disparu. Des approches de bateaux ont été signalées dans les années 1970, mais ce comportement ne s’était pas perpétué. L’apprentissage des jeunes orques est primordial, et les femelles peuvent choisir de ne pas décourager leur petit si elles jugent que c’est bénéfique et utile pour la cohésion du groupe. Le butin d’une chasse est systématiquement partagé, alors pourquoi un bout de safran ne le serait-il pas ? Isabelle insiste sur la nécessité de signaler tout ce qui se passe en rapport avec les orques. Toutes ces informations sont utiles afin que les scientifiques bâtissent un plan d’action commun. La cohérence de la réponse et la linéarité de sa mise en pratique sont de la plus haute importance, car les orques peuvent réagir de manière contradictoire et inattendue. Par exemple, l’utilisation de pingers (répulsifs acoustiques) qui émettent des fréquences désagréables peut se solder par un mauvais résultat – en plus de la pollution sonore subie et du risque de repousser les orques en dehors des zones où ils parviennent encore à se nourrir : les cétacés sont capables de s’habituer à la signature du bateau, et même d’être attirés par cet émetteur ! De même, il vaut mieux ne pas laisser traîner le dinghy derrière le bateau, on a déjà vu des orques le retourner pour s’amuser. « Adopter le comportement le plus neutre possible pour ne pas offrir de satisfaction aux orques est le comportement le plus sûr pour éviter toute propagation de nouvelles habitudes », conclut Isabelle.

La stratégie de l’évitement

Alors, que faire de plus ? En cas de rencontre, nos chances d’en sortir sans dommage matériel reste d’une sur deux… Le raisonnement le plus simple voudrait que l’on fasse grossir le chiffre des 95 % de navigateurs qui n’ont pas fait de rencontre en élaborant une stratégie d’évitement de la zone où se trouvent les orques à l’instant t. Pour cela, il faudrait que nous communiquions aussi efficacement que les membres du groupe Gladis… Le compte Facebook « Orca Attack Reports », forts de 26 000 membres, a dédié ses pages à la communication sur ce thème. Le GTOA, toujours lui, recense le positionnement et la date des interactions. L’analyse de ces observations a apporté de précieuses indications sur le mouvement des orques et leur typologie. Sur la cinquantaine d’orques ibériques recensées entre Gibraltar et la Galice, seules 14, formant un ou deux clans, semblent être impliquées dans les interactions avec les bateaux. Les scientifiques les ont identifiées – c’est la raison pour laquelle il est important de les photographier et de donner leur positionnement – et ils leur ont donné à chacune un nom. Les individus du groupe Gladis sont donc suivis au gré des observations et des informations reçues. Sur le site du GTOA, une carte des risques d’interactions est remise à jour périodiquement. La réapparition en janvier dernier des orques dans le détroit de Gibraltar avait été annoncée. Il y a aussi une question de saisonnalité qu’il faut désormais connaître avant de se lancer dans une navigation dans la région Espagne/Portugal : les orques suivent leurs proies, qui elles aussi se déplacent. Les orques de Gladis adorent, on l’a écrit plus haut, le thon rouge, qui se reproduit en Méditerranée l’hiver avant de repartir vers l’Atlantique. Les orques les attendent près de Gibraltar, puis dans le golfe de Cadix de janvier à juin. Puis, les eaux se réchauffant, les thons remontent le long des côtes du Portugal et de l’Espagne en juin et juillet, et même cet été jusque dans le golfe de Gascogne. Les orques suivent leur « garde-manger » et ont tendance à séjourner au large de la Corogne et du Portugal jusqu’en automne. Elles partent après plus au large et ne reviennent dans le détroit qu’au début de l’année suivante. Laurent Marion de l’école « Escale Formation Technique », qui est un des premiers pôles pour plaisanciers candidats au voyage, n’hésite pas à recommander d’adapter le parcours de navigation en longeant les côtes marocaines l’hiver ou en évitant la Corogne à la fin de l’été. L’autre solution pour descendre vers les Canaries depuis la Méditerranée est d’appareiller à l’automne, ou alors de passer bien au large pour éviter les zones les plus problématiques si l’on vient du nord de l’Europe. Des alertes radio sur le canal 16 VHF ont été mises en place pour signaler la présence d’orques. Le GTOA collabore au projet Friendship-Orcas. CEMMA qui permettra, entre autres, de faire profiter au plus vite les plaisanciers des avancées des scientifiques. Au cours de ce printemps, une nouvelle plate-forme Web sera opérationnelle et une application mobile test sera lancée. Soyons clairs, les scientifiques ne pensent pas que les agissements des orques vont s’arrêter tout d’un coup par miracle. Une habitude a été prise, et l’objectif est d’éviter que le phénomène ne se propage. Tout le travail réalisé par le GTOA est déterminant pour la suite des événements, et il est important de suivre, de manière coordonnée, les recommandations de l’organisme.

Tout savoir sur : Les orques du détroit de Gibraltar


L’orque – ou épaulard – est une espèce de mammifère marin du sous-ordre des cétacés à dents, les odontocètes, et plus précisément de la famille des delphinidés, dont elle est le plus grand membre. Elle vit dans les régions arctiques et antarctiques jusqu’aux mers tropicales. Son régime alimentaire est très diversifié, bien que les populations se spécialisent souvent dans des types particuliers de proies. Certaines se nourrissent de poissons, tandis que d’autres chassent les mammifères marins y compris de grandes baleines (généralement des baleineaux). Les orques sont considérées comme des superprédateurs. Les anglophones les surnomment « baleines tueuses » (killer whales), ce qui réfère plutôt à tueuses de baleines. Les orques sont particulièrement sociables, certaines populations sont composées de plusieurs familles matrilinéaires qui sont parmi les plus stables de toutes les espèces animales. Les techniques de chasse sophistiquées et les comportements vocaux, qui sont souvent spécifiques à un groupe particulier et sont transmis à travers les générations, ont été décrits par les scientifiques comme des manifestations culturelles. L’espérance de vie d’une orque est estimée à plus de cinquante ans, et les femelles donnent naissance à cinq ou six bébés au cours de leur existence, dont les trois quarts n’atteignent pas la maturité. On distingue plusieurs écotypes d’orques, qui peuvent être considérés comme des sous-espèces, voire des espèces différentes. Les orques nomades, constamment en déplacement et silencieuses, consomment presque exclusivement des mammifères marins. Les orques de haute mer se nourrissent principalement de requins et vivent en groupe.
Enfin, les orques résidentes qui vivent dans les eaux côtières se nourrissent le plus souvent de poisson. Elles vivent en groupe de cinq à cinquante individus et vocalisent sans cesse pour communiquer avec un répertoire varié et riche. Elles utilisent fréquemment l’écholocalisation, qui consiste à émettre des petits sons semblables à des clics, et ensuite écoutent leur écho, ce qui leur permet de détecter les proies et de se repérer en eaux troubles. Elles sont donc particulièrement sensibles aux nuisances sonores. Le statut de conservation des épaulards selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est « données déficientes », c’est-à-dire qu’il n’existe pas assez de données en ce qui concerne la population globale des orques pour savoir si cette espèce est en danger. Pour Isabelle Brasseur, il n’y a aucun doute sur le fait que certaines sous-populations locales sont menacées ou même déjà en danger… notamment à cause de la disparition ou de la perturbation de leur habitat, de la pollution ou du manque de nourriture. C’est le cas des épaulards du détroit de Gibraltar, lesquels sont considérés (sur la base d’études de données de photo-identification, d’ADN mitochondrial, de marqueurs génétiques microsatellites, de rapports d’isotopes stables et de charges de contaminants) comme distincts des autres sous-populations de l’Atlantique Nord-Est. Ce groupe d’une cinquantaine d’individus est formé de cinq clans familiaux, avec un faible nombre de matures. Cette population se nourrit de thon rouge. Or le besoin annuel avoisine les 14 tonnes pour les plus grands et 4 ou 5 pour les petits. Même si les taux de survie des adultes ont été estimés à des niveaux faisant partie des populations stables, un faible renouvellement à long terme suggère un déclin futur assez proche – à moins que les conditions ne s’améliorent. Pour ces raisons, cette sous-population d’épaulards a été cataloguée comme vulnérable par le ministère espagnol de l’Environnement en 2011, qui a ensuite publié un plan de conservation en 2017. Elle a été depuis évaluée comme étant en danger critique d’extinction par la liste rouge de l’UICN en 2019.

Check sécurité : Que faire en cas de rencontre avec un ou plusieurs orques ?


■ Arrêtez le bateau (amenez les voiles), éteignez le pilote automatique, laissez la barre lâche (si les conditions de mer et l’emplacement le permettent)
■ Contactez les autorités (téléphone 112 ou VHF canal 16)
■ Eloignez vos mains de la barre et restez à l’écart de toute partie du bateau qui pourrait tomber ou tourner brusquement
■ Ne vous présentez pas physiquement face à l’orque, ne criez pas, ne lancez pas d’objets et n’essayez pas de la toucher avec quoi que ce soit
■ Si vous avez un appareil photo ou un smartphone, essayez de prendre des photos, en particulier des nageoires dorsales – cela facilitera l’identification ultérieure. E-mail de contact : gt.orcas.ibericas@gmail.com
■ Vérifiez que le gouvernail tourne et ne fonctionne qu’APRÈS que la pression ou les coups ont cessé
■ En cas de panne, demander un remorquage
Ce protocole rassemble les premiers conseils en cas d’interaction. A cela, on peut ajouter de nouvelles techniques qui s’avèrent efficaces :
■ Dans le petit temps, mettre en marche arrière très lente (2-3 nœuds)
■ Les plaisanciers portugais utilisent une longue barre de métal qu’ils plongent pour partie dans l’eau ; depuis le pont, ils frappent cette barre avec un marteau, émettant vraisemblablement des vibrations ou des fréquences qui repoussent les animaux.

Le mode opératoire d’abordage des bateaux débute par une première période d’observation, suivie par des secousses et mordillements exercés sur les safrans. L’interaction dure 20 à 50 minutes en moyenne.
Le mode opératoire d’abordage des bateaux débute par une première période d’observation, suivie par des secousses et mordillements exercés sur les safrans. L’interaction dure 20 à 50 minutes en moyenne.
Une paire de safrans après une rencontre avec les orques… le catamaran de 59 pieds a pu continuer à faire route. Deux nouvelles pelles ont pu être renvoyées en 48 heures –  c’est l’avantage de disposer d’un modèle de grande série encore en production. Dans certains cas, comme pour  ce monocoque de 47 pieds, la pelle est arrachée.
Une paire de safrans après une rencontre avec les orques… le catamaran de 59 pieds a pu continuer à faire route. Deux nouvelles pelles ont pu être renvoyées en 48 heures – c’est l’avantage de disposer d’un modèle de grande série encore en production. Dans certains cas, comme pour ce monocoque de 47 pieds, la pelle est arrachée.
Les orques s’en prennent aussi à l’aluminium ; ici, les deux nouveaux  safrans d’un monocoque de 45 pieds sont prêts à être expédiés.
Les orques s’en prennent aussi à l’aluminium ; ici, les deux nouveaux safrans d’un monocoque de 45 pieds sont prêts à être expédiés.
L’association Live Together est partie à trois reprises avec une équipe de scientifiques du CNRS à bord d’un Lagoon 450 pour comprendre les effets de la pollution sonore sur les cétacés. Un magnifique documentaire est tiré de ces voyages d’étude.
L’association Live Together est partie à trois reprises avec une équipe de scientifiques du CNRS à bord d’un Lagoon 450 pour comprendre les effets de la pollution sonore sur les cétacés. Un magnifique documentaire est tiré de ces voyages d’étude.
Les orques du détroit de Gibraltar forment un groupe sédentaire qui se nourrit essentiellement de thon. Elles suivent donc leurs proies tout au long de l’année depuis le détroit jusqu’au golfe de Gascogne. Sans grande surprise, les zones concernées par les interactions avec les orques correspondent à leurs déplacements.
Les orques du détroit de Gibraltar forment un groupe sédentaire qui se nourrit essentiellement de thon. Elles suivent donc leurs proies tout au long de l’année depuis le détroit jusqu’au golfe de Gascogne. Sans grande surprise, les zones concernées par les interactions avec les orques correspondent à leurs déplacements.
Les rencontres avec les orques ont rapidement été relayées par les médias.  De leur côté, les scientifiques ont créé le GTOA (groupe de travail des  orques de l’Atlantique) pour essayer d’analyser et de comprendre ce nouveau comportement afin de mettre en place un plan d’action.
Les rencontres avec les orques ont rapidement été relayées par les médias. De leur côté, les scientifiques ont créé le GTOA (groupe de travail des orques de l’Atlantique) pour essayer d’analyser et de comprendre ce nouveau comportement afin de mettre en place un plan d’action.
Toutes sortes de données, y compris le pavillon des navires, ont été relevées afin de mieux comprendre quels bateaux sont concernés, et de tenter de trouver des explications à ce comportement disruptif.
Toutes sortes de données, y compris le pavillon des navires, ont été relevées afin de mieux comprendre quels bateaux sont concernés, et de tenter de trouver des explications à ce comportement disruptif.
Lors de leur passage du cap Finistère fin septembre 2021, 4 des 90 participants de la Transat 6,50 ont eu une interaction avec les orques. Un seul a dû s’arrêter pour réparations.
Lors de leur passage du cap Finistère fin septembre 2021, 4 des 90 participants de la Transat 6,50 ont eu une interaction avec les orques. Un seul a dû s’arrêter pour réparations.
Une carte des risques de rencontres est  éditée sur le site orcaiberica.org dans l’onglet recommandations. Elle est mise à jour en permanence, mais sa précision dépend des informations fournies par les plaisanciers sur zone et les autorités. Sur cette saisie datée du 21 février, on constate que les orques Gladis ont été relevées près de Sines, et que le détroit n’est pas considéré comme sûr. En revanche, le nord de la péninsule est sans danger.
Une carte des risques de rencontres est éditée sur le site orcaiberica.org dans l’onglet recommandations. Elle est mise à jour en permanence, mais sa précision dépend des informations fournies par les plaisanciers sur zone et les autorités. Sur cette saisie datée du 21 février, on constate que les orques Gladis ont été relevées près de Sines, et que le détroit n’est pas considéré comme sûr. En revanche, le nord de la péninsule est sans danger.
La carte de visite de GT Orca Atlántica.
La carte de visite de GT Orca Atlántica.
Le sous-groupe qui interagit avec les bateaux compte  14 individus, dont une majorité de juvéniles. Ils ont été baptisés Gladis pour les référencer, et chacun possède désormais son nom.
Le sous-groupe qui interagit avec les bateaux compte 14 individus, dont une majorité de juvéniles. Ils ont été baptisés Gladis pour les référencer, et chacun possède désormais son nom.
En cas de rencontre avec les orques, il est utile de les photographier et de transmettre sans délai vos images : les scientifiques les reconnaissent, et peuvent ainsi étayer leurs données – ici, Gladis Negra, une des 14 orques du groupe.
En cas de rencontre avec les orques, il est utile de les photographier et de transmettre sans délai vos images : les scientifiques les reconnaissent, et peuvent ainsi étayer leurs données – ici, Gladis Negra, une des 14 orques du groupe.

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