‹ Retour Pacifique

Maupiti, joyau polynésien préservé…

Créez une alerte e-mail sur le thème "Pacifique"

Maupiti est la dernière des îles Sous-le-Vent à être desservie par des liaisons maritimes et aériennes régulières avec ses voisines de l’est, Bora Bora et Raiatea. Oh, il n’y a pas un avion tous les jours, seulement 2 ou 3 par semaine. Et le Maupiti Express, la vedette à passagers qui fait la liaison avec Bora et Raiatea, effectue aussi une rotation tous les 2 ou 3 jours. Quand la passe est praticable, bien sûr ! Dans le cas contraire, elle reste à quai. Plus à l’ouest encore, on touche aux confins occidentaux de la Polynésie française, avec Mopelia, et les petits atolls perdus de Bellinghausen et Scilly, inhabités. Maupiti est un joyau, une île haute (380 m) posée au milieu d’un lagon aux couleurs enchantées. Un lagon d’une étincelante beauté. Maupiti, joyau au format miniature, vit au rythme des vélos et des scooters qui circulent paisiblement sur l’unique petite route circulaire de l’île, au centre du lagon. Sur les motus alentour, les Polynésiens cultivent la pastèque, et ont aménagé depuis peu quelques pensions de famille pour touristes futés (je vous recommande, une fois dans votre vie, de venir passer une semaine à la pension Rose des Iles, ou encore à la pension Maupiti Village, sur le motu Tiapaa, proche de la passe…).
Ici, pas d’hôtels, la population n’en a pas voulu. Malgré le petit aéroport, un des plus folkloriques du monde. Le petit village, délicieusement fleuri, s’étale tout en longueur au pied d’une impressionnante falaise de basalte de 230 mètres de hauteur, souvenir de l’origine volcanique de l’île. Oubliés, les bungalows sur pilotis de Bora Bora ! Absents, les jet-skis ! Tant pis pour le shopping ! Pas de boutiques de perles ici… ni de pirogues bondées de touristes ! Et, bien sûr, les raies Manta sont restées, ici, dans le lagon de Maupiti. Alors nous irons les observer et nager avec elles… Quelle sagesse ont eu les habitants de Maupiti ! Ils ont su préserver leur cadre de vie, et leur façon, si charmante, de laisser s’égrener les jours, paisiblement. En refusant l’argent, ils ont dit non au stress, à la consommation, à la dégradation de leur environnement. Et ils ont gardé le bonheur de vivre simplement. Ils tirent leur subsistance de la culture de quelques légumes sur les motus de la ceinture lagunaire, de la cueillette des fruits, de la pêche des mahi-mahis (daurades coryphènes) par les poti-mararas locaux, ou plus simplement de la capture des poissons du lagon, vivaneaux, perroquets, carangues. Pas de ciguatera à Maupiti, le paradis n’est pas pollué par les toxines ! Quelle bonne idée nous avons eue de ne pas écouter ceux qui nous disaient : « Maupiti, oubliez, la passe est trop dangereuse ! » Mais… attention tout de même ! La passe de Maupiti est dangereuse, c’est vrai. Elle a sale réputation, et c’est justifié. Trop dangereuse ? Ce peut être le cas, selon les conditions, et disons-le aussi, selon l’expérience des marins qui tentent le passage. Une seule solution : bien étudier le problème, avant de prendre ses responsabilités. Chacun sait que, pour gagner le paradis, il faut passer par le purgatoire. Maupiti a son purgatoire (la passe), seul moyen d’accéder au paradis (le lagon). Elle a à son actif, cette passe, en plusieurs décennies, un certain nombre d’âmes reprises par les déferlantes et le récif, pour le compte du Ciel. Lesquelles se comptent en dizaines… !!! Pas de manuia (chance, en polynésien) pour le Manuia, en 1963 : 15 morts d’un coup… Plus de chance pour l’Aremiti, plus récemment, qui transportait près de 300 passagers. Le grand catamaran en aluminium, fortement motorisé, s’est raté dans la passe, et les déferlantes l’ont fait monter bien au sec sur le récif. Heureusement, tout le monde a pu débarquer à pied sur le motu…

Chronique autour du monde : Maupiti, Polynésie

On y est presque...

A bord de Jangada, j’aime certes l’aventure, mais aussi, dans l’esprit d’aventure, et sans jamais renoncer à lui, l’art de faire fonctionner mes modestes neurones. Pour élaborer ma propre idée, mon propre jugement, avec l’éclairage de ma propre expérience. Et finalement décider, en suffisante connaissance de causes et d’effets. Réflexion avec les bonnes informations, qu’il faut savoir aller collecter aux bonnes sources, puis analyse du risque, et des conditions à réunir pour le réduire à un niveau très acceptable, c’est-à-dire minime. Développement de la stratégie d’approche, et de la configuration technique nécessaire, puis décision. Un cocktail qui aide à franchir pas mal d’obstacles, aussi bien en moto dans le désert du Sahara qu’en Antarctique en navigation au milieu des glaces. Ou bien en approche de la passe de Maupiti…
Une passe qui inquiète la plupart des voiliers de voyage, que nous apercevrons ultérieurement, depuis le mouillage intérieur, passer le plus souvent à quelques milles au large, en route vers Palmerston, ou Rarotonga. J’ai commencé, il y a quelques jours, à l’occasion d’une virée en annexe à Uturoa (Raiatea) depuis Tahaa, par aller discuter avec le patron du Maupiti Express, le spécialiste de la passe. Entre marins de la marine marchande, le courant est vite passé, et Théodore, papier-crayon en main, m’a expliqué le bazar. Quinze minutes plus tard, en quittant sa passerelle de navigation, j’en savais plus sur la passe de Maupiti qu’en lisant tous les guides nautiques anglo-saxons du Pacifique, que je n’ai d’ailleurs pas à bord !

Chronique autour du monde : Maupiti, Polynésie

A nous 15 jours de rêve au paradis !

L’unique passe de Maupiti est située au sud de l’atoll, et elle a le profil adéquat pour se montrer assez souvent méchante. D’abord, elle est unique, ce qui veut dire que toute l’eau sortant du lagon devra passer par elle. Ensuite, elle est étroite, guère plus d’une cinquantaine de mètres utiles, en largeur. Et puis, elle a trouvé le moyen de se loger, depuis des millénaires, entre deux motus, le motu Tiapaa à droite en entrant, et le motu Pitihahei à gauche, qui forment, à tous deux, un splendide entonnoir ! Mais encore. La passe est bien balisée, certes, mais, sans doute pour des raisons de facilité d’installation ou de préservation dans le temps de sa tourelle en béton contre le travail de sape des vagues déferlantes, la balise verte, de tribord, a été curieusement placée trop loin sur la droite, dans un recoin du récif. Ainsi, le marin insuffisamment attentif, qui s’écarterait un tant soit peu de l’alignement d’entrée, sensible et précis, lui, pour simplement concentrer sa gouverne sur le milieu théorique du chenal, à mi-chemin entre la balise verte et la balise rouge, a toutes les chances de se mettre sur le récif à droite du chenal, car celui-ci s’avance allègrement de plusieurs dizaines de mètres vers le milieu de la passe, largement à l’intérieur de la balise verte. Et sensiblement en avant de celle-ci… Disons-le, il ne s’agit pas là d’une idée très lumineuse de la part de notre Service des Phares et Balises. Cette petite échancrure dans le corail est naturellement exposée de plein fouet aux grandes houles venues du Pacifique Sud, de la région des îles Australes, où sévissent les dépressions remontées des confins des quarantièmes… Et quand la houle de secteur sud s’en mêle, alors là, la passe de Maupiti, c’est pas joli joli… Mieux vaut alors effectivement passer son chemin si on se trouve à l’extérieur, ou bien être en règle avec le Bon Dieu, si l’on décide de tenter le franchissement, ce qui, il faut l’annoncer clairement, constitue dans ce cas une énorme erreur. Et si l’on est à l’intérieur du lagon, il convient de goûter encore un peu le bonheur de s’y trouver, d’attendre sagement que le grand bazar se soit complètement calmé, que la houle ait disparu, et que le vent ait tourné. Avant de tenter, prudemment, une sortie, après un repérage de rigueur, à pied, depuis les motus.
Par houle de sud-est à sud-ouest, la passe de Maupiti est un maëlstrom dantesque : il y règne un courant sortant qui peut dépasser 10 nœuds, et qui, lorsqu’il rencontre dans le goulet des creux de houle venus du large d’une hauteur ne serait-ce que de 3 à 4 mètres, provoque un ahurissant déferlement des vagues, auquel rien ne résiste. Nous avons pu aller observer un tel phénomène pendant notre escale de près de deux semaines à Maupiti, et vraiment, je ne souhaite à personne de se retrouver là-dedans ! Mais la principale raison de cette mauvaise réputation de la passe de Maupiti est ailleurs. Elle est de nature hydrologique.

Lorsqu’une dépression fait hurler les vents d’ouest loin dans le Pacifique Sud, la houle remonte vers les tropiques, à une vitesse de l’ordre d’une trentaine de nœuds. Lorsque cette houle rencontre l’anneau corallien de Maupiti, elle se transforme en déferlantes qui ne cessent d’assaillir le platier, lequel présente un profil très bas, dans le sud-ouest de l’atoll. C’est pour cette raison qu’aucun motu n’a pu résister à l’assaut de la mer dans cette partie de l’anneau corallien. Ce qui auto-entretient naturellement le phénomène. Dès lors, chaque train de houle de secteur sud à sud-ouest déverse à l’intérieur du lagon, par-dessus le platier et le grand banc de sable qui lui est adossé, une énorme quantité d’eau de mer, qui fait monter sensiblement le niveau de l’eau dans le lagon (nous avons constaté plus d’1 mètre de surcote dans ce cas). Et, bien sûr, cette énorme masse de centaine de milliers de tonnes d’eau entrée dans le lagon ne connaît naturellement qu’une sortie pour regagner le large : l’unique passe de Maupiti ! Dans ces cas-là, croyez-moi, mieux vaut ne pas aller traîner du côté de l’entonnoir. Cela revient à prendre un billet aller simple pour le paradis des marins, mais en passant d’abord par l’enfer... Car le courant ainsi créé par la surcote du niveau dans le lagon repart affronter aussitôt la même houle du large, celle-là même qui l’a créé, mais dans la passe, cette fois. Il accentue alors la pente des vagues, les creuse inexorablement, et provoque leur redoutable déferlement dans un bruit de tonnerre assourdissant, et incessant. L’endroit devient alors cataclysmique. La machine hydraulique infernale de Maupiti est en marche, en circuit fermé, si l’on peut dire, jusqu’à ce que la houle se calme, que le maraamu (vent de sud-est prépondérant) hale un peu plus le nord et que le lagon se vide… Dernier détail : la marée, qui génère son propre courant, malgré un faible marnage, moins d’1 mètre. Fréquemment 3 à 5 nœuds sont constatés, même quand le temps est calme, et il vient se combiner avec les autres phénomènes. Voilà posée l’équation de l’entrée dans le (et de la sortie du) lagon de Maupiti.

Chronique autour du monde : Maupiti, Polynésie

Le village de Maupiti, niché au bord du lagon.

Opération passe de Maupiti

Il convient de se présenter exclusivement le matin, peu après le lever du jour, moment où le courant de marée sortant est le plus faible, avec une mer présentant le moins possible de houle de secteur sud, un vent ayant si possible une composante légèrement nord dans son est, faible si possible, et ceci en ayant pris soin de laisser s’écouler 2 à 3 jours depuis la dernière « machine hydraulique infernale » supposée à Maupiti. Il faut savoir que tous les critères favorables au franchissement de la passe doivent être réunis en même temps ! Si un seul d’entre eux devait être non conforme, cela suffirait à relancer la machine infernale de ce splendide lagon. Damned !
Le 4 août au soir, Barbara sort métamorphosée de son séjour luxueux au spa de l’hôtel Saint-Régis Bora Bora, cadeau du captain pour ses 40 ans. On ne l’a pas vue de l’après-midi. Elle a été très occupée, entre le massage classique au monoï, les soins de visage à la crème de gingembre, le hammam surchauffé, le jacuzzi, le sauna, le thé à la bergamote servi dans l’argenterie, et j’en oublie sûrement…
La belle ré-embarque détendue sur son catamaran (qui a beaucoup moins d’étoiles que le Saint-Régis), et j’en profite pour lui annoncer la bonne nouvelle : nous appareillons sur le champ pour le mouillage de Vaitape (là, ça va encore), et à 03h30 demain matin, on lève l’ancre pour Maupiti (là, ça va moins bien) !

- Ma chérie, j’ai regardé le problème sous tous les angles cet après-midi, a priori, les conditions sont toutes réunies. C’est le moment de tenter le coup ! Selon l’idée que je me suis faite, c’est maintenant ou jamais ! Si, malgré tout, l’entrée s’avère trop dangereuse, on continuera sur Mopelia. Dans le cas contraire, nous aurons gagné un séjour de 15 jours dans l’un des plus beaux lagons du monde !

Dans les rouages relationnels du bord, nul doute qu’il faut savoir présenter les choses… A ce niveau, l’exercice se révélera d’ailleurs de moins en moins facile pour moi au fur et à mesure que notre sillage s’allongera autour du monde. L’expérience de mon joli lieutenant s’étoffera, bien sûr, au fil du temps, et sa faculté à décrypter mes petites ruses stratégiques les rendra de moins en moins efficaces… Mais Barbara ne remettra jamais un seul instant en cause la confiance totale qu’elle a en moi (c’est elle qui le dit ! je ne me permettrai pas autrement…) à bord d’un bateau, elle se contentera de savoir rapidement « traduire en clair » les informations parfois légèrement filtrées que je transmets à mon petit équipage. Et de localiser encore plus rapidement à travers mon petit discours l’existence d’un risque, ou d’un danger… Alchimie mystérieuse des couples. La nuit est presque tombée sur Bora Bora, les moteurs tournent déjà, et Marin a commencé à relever l’ancre. Ça simplifie, en l’écourtant, la tentative de complainte du lieutenant… Nous naviguons de nuit dans le lagon de Bora pour gagner le mouillage du village : il nous faut d’une part retirer dès ce soir des « francs Pacifique » au distributeur de la Socredo (Maupiti ne connaît pas les distributeurs, il n’y a aucune banque là-bas), et d’autre part je préfère être mouillé en face de la passe de Bora Bora, pour suivre facilement l’alignement lumineux de sortie vers 03h30 demain matin, de nuit donc. C’est qu’il nous faut impérativement nous présenter à l’heure optimale devant la passe de Maupiti ! A l’heure dite, je lève l’ancre seul et franchit la passe dans l’obscurité. Le petit monde de Jangada émergera doucement, quelques heures plus tard. Le soleil brille dans un ciel azur, l’élégante silhouette de Bora Bora se détache sur l’horizon dans le sillage, la falaise de Maupiti n’est plus qu’à quelques milles.

Chronique autour du monde : Maupiti, Polynésie

Au détour de la petite route circulaire de l'île…

J’accélère la prise du petit déjeuner, je tiens à ce que tout le monde soit prêt pour le briefing du captain avant le franchissement de la passe. Je réunis mon petit équipage, j’explique tout ce que je sais de l’endroit, je zoome la carte sur l’ordinateur, montre le positionnement dangereux de la balise tribord, pointe les alignements. Puis je distribue les rôles et les consignes. Nous verrouillons toutes les ouvertures de coque, vérifions le rangement des bouts (pas le moment de s’en prendre un dans une hélice, une erreur classique qui peut être dramatique…), le saisissage de l’annexe et du kayak sur les bossoirs. J’effectue une ronde de sécurité dans chacune des salles des machines, vérifie la propreté des filtres à eau de mer. Je contrôle aussi le système de barre manuel. Enfin, je demande à Marin de s’ajuster le harnais Petzl utilisé pour s’assurer dans la mâture, pour le cas où il faudrait monter pour me guider depuis les barres de flèche, une fois la passe franchie : le lagon est farci de « patates », et les profondeurs y sont faibles. Nous sommes maintenant à un demi-mille au sud de la passe. Je fais enfiler à chacun sa brassière de sauvetage, bien serrée : évidemment, cela n’étant jamais arrivé auparavant, depuis notre départ de La Rochelle, la consigne crée inévitablement du stress ! D’autant que je demande aussi à chacun de chausser ses « méduses », vous savez, ces sandales de plage en plastique transparent d’une élégance avérée, mais tellement utiles pour… marcher sur le corail du platier (et éviter la piqûre des poissons-pierre dans les lagons) !!! Moyennement à l’aise, mais l’amorce d’un sourire au coin des lèvres, je suis bien obligé de répondre à Adélie, qui proteste en me demandant pourquoi on doit enfiler ses méduses, que ce sera plus commode si on doit débarquer sur le récif, au milieu des déferlantes !!! Je m’empresse d’ajouter à haute voix qu’il n’y a pas à s’inquiéter, que nous allons approcher très lentement, en prenant le temps d’observer longuement la passe, et que si je perçois un danger réel, nous renoncerons tout simplement à entrer. Nous approchons à faible vitesse, avec un bateau impeccablement rangé, reconnaissons les deux alignements d’entrée, les deux balises latérales, et nous positionnons pile poil dans l’axe de la passe. J’observe, pendant 4 à 5 minutes, le courant, qui ne me paraît guère supérieur à 2 ou 3 nœuds. Je cherche à détecter ce petit courant latéral, vicelard, dont m’a parlé le patron du Maupiti Express : il vient du lagon, mais transversalement à la passe, de derrière le motu Tiapaa, et déporte vers le récif sous le vent les skippers imprudents qui serrent trop à gauche… J’ai confiance, en moi et dans mon bateau, comme c’est souvent le cas lorsque j’estime avoir suffisamment étudié une situation pour ne pas pouvoir me laisser surprendre, et j’ai « imprimé » chaque détail de la carte dans mon esprit. Il fait grand beau, mais la passe reste impressionnante, parce que les grosses déferlantes (de 4 à 5 mètres de hauteur) brisent immédiatement en abord du chenal… Très près du passage. Soyons honnête, le bruit du fracas des vagues sur le récif et le brouillard d’eau de mer vaporisée par l’écrasement des rouleaux sur le platier n’engendrent guère la sérénité… En pareil cas, j’ai l’habitude de commenter d’une voix forte ce que je vois, et ce que je fais aux commandes, en direct, avec calme, et en conservant toujours une bonne dose d’humour. Cela évite les questions, et chacun sait ce qui se passe et s’en trouve rassuré. Après 10 à 12 minutes d’observation attentive, je sens bien les choses, et j’annonce : « Ça le fait comme prévu, conditions exceptionnelles, chacun son poste, on y va ! »

Moteurs à 1800 tr/min, c’est parti ! Jangada prend de l’erre, et s’engage dans le bazar. On se fait secouer un peu, certes, mais notre catamaran gagne du terrain contre le courant sortant. Barbara égrène la profondeur au sondeur toutes les 5 secondes. Adélie assure le relais vocal au milieu du bateau, et Marin, à l’avant, solidement cramponné au câble de martingale, indique ce qu’il voit. J’aperçois, sur le motu Pitihahei tout proche, à bâbord, un Polynésien qui observe, du seuil de son faré, l’entrée de Jangada dans la passe. Il a dû en voir, lui, des tentatives pas forcément très catholiques, et d’autres carrément ratées ! Nous restons très précisément sur l’alignement, je fais grimper les moteurs à 2000 tr/min, nous passons le travers de la balise verte, puis, en l’espace de quelques dizaines de mètres, l’étroitesse de la passe crée un calme soudain, presque inattendu… Jangada a franchi le plus dur de la passe, sans encombre. Il ne reste plus qu’à remonter le chenal, pour sortir de l’entonnoir. Je diminue progressivement la vitesse des moteurs, nous entrons doucement dans le lagon de Maupiti… Nos yeux sont assaillis de toutes les nuances de bleu. Comme d’habitude quand on réussit son coup, je détends dès que possible la tension encore palpable de l’équipage en criant : « Adélie, tu peux enlever ta brassière et tes méduses ! Et popo (bravo) à tout l’équipage, double ration de tafia ce soir !!! »
Barbara se détend lentement, amorce à peine un sourire. Je la connais, ma femme. Elle n’aime pas le danger en mer. Nous naviguons désormais dans un écrin, et gagnons notre mouillage devant le village. J’apprendrai ultérieurement, pendant notre séjour à Maupiti, que, pour les locaux, lorsqu’un voilier franchit la passe avec facilité, c’est qu’il est le bienvenu dans leur île… Une croyance à laquelle les habitants de Maupiti semblent attacher encore une certaine importance. Je me souviendrai alors que notre ami Robinson m’a, à un moment donné d’une de nos premières conversations, posé la question, en roulant les r de sa belle voix polynésienne : « Olivier, c’était comment, la passe, quand tu es entré ? »
Plus tard, nous irons jeter l’ancre à côté du motu Pitihahei. Là s’écouleront bien des jours heureux…

Chronique autour du monde : Maupiti, Polynésie

Résultat de notre pêche au clair de lune avec Robinson…

Partagez cet article