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Libellule, voile et montagne en Antarctique

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Cinq semaines ont été nécessaires pour convoyer Libellule entre la Nouvelle-Zélande et la Terre de Feu, au cœur des "quarantièmes rugissants". A Ushuaia, l’équipage "français", composé d’Yves German, Sylvain Martineau et Pauline Roques-Pentoy, a été complété par l’arrivée des "Suisses", Philipp Cottier et ses amis alpinistes, qui espéraient bien mettre à leur actif quelques sommets antarctiques encore vierges de toute trace humaine. Nous étions donc 7 à bord. Après avoir franchi le passage de Drake, entre Amérique du Sud et Antarctique, début janvier, la première escale fut sur l’île Déception. A notre arrivée sur le Continent Blanc, les températures qui en Patagonie étaient encore relativement douces sont alors rapidement tombées, elles ne remonteraient désormais que rarement au-dessus de 5°C, descendant jusqu’à -10° C au niveau de la mer, et -20°C en montagne. Dès cette première rencontre avec l’Antarctique, les alpinistes ont chaussé leurs skis, pour une rando avec peaux de phoques. Sur un versant de l’île, opposé au mouillage, se trouve une communauté de manchots à jugulaire, estimée à 40.000 individus, nous nous en sommes approchés à distance raisonnable, quand une délégation de quelques manchots s’est détachée du groupe, s’est rapprochée de nous, à quelques mètres, et par des cris assez surprenants ont semblé s’adresser à nous, discutant entre eux, à la façon d’extraterrestres rencontrant pour la première fois des habitants de la planète Terre. Cette procédure s’est ensuite répétée lors de chaque rencontre avec une colonie de manchots, surtout plus au sud.
Nous y avons passé 24 heures, avant de repartir en direction de la péninsule, à la recherche d’un lieu qui nous permettrait de mettre pied à terre, et d’attaquer nos premiers sommets vierges. Nous avons ainsi doublé le cap Kjellman, puis plus au sud la péninsule de Whittle jusqu’au cap Andreas. La terre ne se laisse pas approcher facilement en Antarctique, partout ce ne sont que parois rocheuses, blanches et noires, ou des glaciers gigantesques qui produisent d'énormes séracs et icebergs aussi gros qu’une maison, comme le ferait une gigantesque machine à fabriquer de la glace… Nous avons finalement mouillé dans une petite baie au sud de l’île de la Trinité, où nous avons dû nous battre contre de nombreux growlers, ces petits icebergs à la dérive, appelés bourguignons, et qui venaient frapper la coque. Ce sera ensuite une constante tout au long de notre séjour. Au mouillage, en plus de l’ancre, nous avons souvent utilisé tout ou partie des 4 glènes d’aussières de 100 mètres chacune embarquées avant le départ. C’est dans cette baie que pour la première fois nous avons ressenti cette sensation particulière de grand, de gigantesque, qu’il s’agisse des rochers, de la banquise, des glaciers, ou encore de la vue sur l'océan Antarctique. Il n’y a guère que les manchots qui soient petits, doux, et affectueux. C’est de là que nous avons organisé notre première expédition terrestre, en conditions réelles. La première cime a été assez modeste, puisqu’il s’agissait du sommet de l’île de la Trinité, à… 540 mètres, histoire de s’échauffer pour les sommets à venir.

Libellule en Antarctique

Visite à nos amis les manchots. Une délégation va bientôt venir nous demander ce que nous faisons là…

Après cette première escale, Libellule est venu mouiller juste au sud du cap Andréas, où nous avons lancé notre première expédition de quatre jours sur la glace, vers le Langley Peak. Nous nous sentions alors plutôt bien préparés, en nourriture comme en matériel, un peu tendus aussi, mais impatients d’y aller pour de vrai ! Nous avons passé les trois jours suivants à escalader trois sommets qui n’avaient probablement jamais été conquis ! Au terme de deux tentatives, nous avons atteint le sommet de celui que nous avons baptisé "Pic Sans nom N°1", haut de 824 m. Il nous aura ensuite fallu pas moins de deux tentatives pour gravir à ski le Langley Peak, qui culmine à 977 m. Puis, dans la matinée du troisième jour, les conditions météo se sont améliorées, elles nous ont permis de conquérir un sommet plus technique, que nous avons baptisé le "Mont Libellule", haut de 982 mètres. De là-haut, la vue sur le Wright Ice Piémont et le Detroit Plateau était vraiment incroyable. Il faut préciser que les ascensions en Antarctique, même modestes, sont assez techniques, avec de nombreuses crevasses, sans compter les risques de séracs, d’avalanche, et de chute à l’eau pendant l’accostage du bateau à terre.
Le retour à ski en tractant nos pulkas fut très agréable, et en dépit du fait que notre zone de débarquement était encombrée de petits blocs de glace, nous avons regagné le bateau en sécurité, brûlés par le soleil mais heureux. La douche, une bière Quilmes et un gros plat de savoureuses lasagnes nous ont offert la délicieuse impression d’être au paradis. Cette nuit-là, nous avons dormi comme des anges…

Libellule a ensuite embouqué le passage Graham et le détroit de Gerlache. Nous y avons aperçu un troupeau d’une quinzaine d’orques, dont plusieurs jeunes spécimens, ainsi que des baleines à bosse nageant en couples. Puis notre catamaran a repris sa progression vers le sud. Nous sommes arrivés dans la soirée à Paradise Harbour, où nous avons rapidement été invités à la station scientifique chilienne. L’accueil par les 16 occupants fut chaleureux, ils nous ont fait visiter leurs installations, et même leur petit bar. A l’issue d’une courte nuit, nous nous sommes fait déposer en annexe à proximité du mont Banck, haut de 710 m, qui se trouve sur la rive sud du canal Ferguson. Près de deux heures et demie d’ascension ont été nécessaires, avant de chausser nos crampons et de venir à bout des derniers 100 mètres particulièrement raides. La descente à ski fut un vrai régal, et les trois gros phoques de Weddell se faisant dorer au soleil étaient toujours là quand nous avons retrouvé notre point de débarquement, où Yves nous a récupérés dans l’annexe. Nous avons alors passé la nuit au mouillage devant Port Lockroy.

Libellule en Antarctique

Le catamaran de 50 pieds semble tout à coup bien petit dans cet univers de gigantisme...

Cercle polaire antarctique

Nous sommes repartis vers Rambler Islands afin d’y attendre les vents d’est annoncés, avec l’espoir de trouver des points pour débarquer aux alentours, car mettre pied à terre nous est apparu de plus en plus compliqué. La dernière période de beau temps remontait alors à 13 jours, avec seulement quelques rares périodes d’ensoleillement. Il a neigé, et le pont du bateau est devenu très glissant. Sylvain a même construit un bonhomme de neige sur l'arrière du bateau. Libellule a alors franchi le cercle polaire antarctique, situé au 66° 33.73 S. Bien que le temps ait été très mauvais, nous avons vécu un moment assez excitant, dûment célébré. Libellule doit probablement être le premier catamaran à avoir traversé les deux cercles polaires. Nous avons passé les deux journées suivantes à explorer la côte entre les latitudes 66° 30’ S et 65° 30’ S, à la recherche de points de débarquement, sans succès. Ou bien il y avait trop de glace à proximité de la côte, ou bien la topographie des lieux ne s’y prêtait pas. Il est également arrivé que les sommets envisagés se soient avérés trop techniques, ou même trop dangereux. Nous avons finalement abandonné l’idée de conquérir de nouveaux sommets vierges.
Chaque fois que quelques rares rayons de soleil sortaient, tout nous semblait alors tellement différent, et incroyablement beau. La vision des icebergs lumineux, dans une eau turquoise, devant les glaciers blancs, restera gravée dans nos mémoires. Quand le beau temps est revenu pour de bon, nous avons remonté la côte et passé trois jours sur le glacier Hotine, dans le détroit de Lemaire, pour tenter d’escalader le mont Le Matin, qui culmine à 2450 m. Son nom se rapporte au journal Le Matin, qui était l'un des principaux sponsors de l'expédition de Jean-Baptiste Charcot, de 1903 à 1905. Nous avons tiré nos pulkas sur près de 11 kilomètres vers le glacier et avons installé le camp de base à 800 m d'altitude. Le lendemain matin, nous avons grimpé la crête SW du mont Le Matin, d'abord avec les crampons puis avec les skis. Le sommet a été atteint après 8 heures d’escalade, il n’avait jusqu’à présent été conquis qu’à deux reprises. La vue était magnifique, et le retour à ski fut l’occasion d’une décharge d’adrénaline pure.

Libellule en Antarctique

Visite impromptue de baleines venues jouer avec les coques de notre catamaran alors que nous approchions du détroit de Lemaire.

Baleines de Minke et plongée antarctique

Quand nous approchions du détroit de Lemaire, plusieurs baleines de Minke nous ont accompagnés en nageant sous le bateau. Alors que d’autres restaient à côté de nous, l’une d’elles s’est mise entre nos coques pour nous regarder, ce fut là assurément une expérience des plus émouvantes. Sur l’île de Petermann, la présence d’une colonie de manchots, associée à des conditions plutôt calmes, ont fait germer en nous l’idée d’une plongée, et ce, bien que la visibilité ne soit pas extraordinaire, inférieure à 4 mètres. Toujours est-il que Philipp et Conrad ont enfilé leurs combinaisons épaisses mais mouillées avant de plonger dans les eaux glacées, en ayant pris soin de s’équiper d’un long bâton afin de repousser d’éventuels phoques léopards un peu trop entreprenants. Plusieurs manchots nageaient sous nous à grande vitesse. Après environ 25 minutes, le froid devenant insupportable, nous avons dû nous résoudre à rejoindre (rapidement !) le bateau. Après avoir retiré les combinaisons, nous avons pris une "longue" douche chaude pour dégeler nos extrémités gelées. Nous nous souviendrons de cette plongée toute notre vie.

Libellule en Antarctique

L'une des raisons de ce voyage en Antarctique : escalader des montagnes encore vierges comme celle-ci, que nous avons baptisée "Mont Libellule".

Saturday night in Vernadesky et retour vers le cap Horn

Nous nous sommes ensuite rendus dans une station de recherche ukrainienne, Vernadsky, une base qui auparavant était britannique et s’appelait Faraday. Elle est occupée par 12 personnes, 7 scientifiques et 5 techniciens. Ils ont construit un sauna et ont bien voulu que nous l’utilisions. Nous avons bien sûr sauté sur l'occasion pour nous réchauffer, après avoir enduré des températures de congélation pendant des semaines, tant à bord de Libellule où le chauffage était tombé en panne, que dans nos camps d'altitude.
C'est alors qu'est venu le temps de regarder sérieusement du côté des prévisions météo, en attente d’une fenêtre adéquate pour remonter vers le cap Horn. Il a plu une journée entière, nous en avons profité pour aller mouiller dans le seul vrai bon mouillage en Antarctique, l’île de l’Enterprise, où l’on s’amarre le long d’une grosse et vieille épave. Nous y avons bien dormi, sans devoir assurer un quart de nuit pour les glaces. Puis la fenêtre météo attendue est arrivée, pas extraordinaire mais possible, nous étions un peu tendus à l’idée de voir comment le passage de Drake nous traiterait. Les prévisions annonçaient alors un mélange de vents d’est, de nord, d’ouest et de nord-ouest, de 10 à 30 nœuds, et une houle de 2 à 4 mètres. Il nous faudrait nous faufiler entre deux dépressions, et si les choses tournaient mal, alors on pourrait très bien se retrouver quelque part du côté des Malouines…
Alors nous sommes partis, et vous vous demandez sûrement comment était le Drake cette fois-ci ? Drake lake ou Drake shake ? Il ne fut finalement pas trop mal, mais assez violent tout de même, avec des vents jusqu'à 35 nœuds et des vagues jusqu'à 4 m – juste assez pour nous rendre malades. Au sixième jour, le cap Horn, légendaire et impressionnant, a surgi de l’horizon, et pour la première fois depuis 5 semaines et 2000 milles, nous avons vu des terres sans glace. Cent milles plus loin, nous entrions dans les eaux plus calmes qui conduisent à Ushuaia.
Cette croisière en Antarctique fut un grand voyage, nous y reviendrons sûrement un jour !

Libellule en Antarctique

En Antarctique, la météo est rarement au beau : il faut faire avec, et la navigation devient alors... compliquée !

Autorisations

Tous les navires qui se rendent en Antarctique doivent demander une autorisation délivrée par le pays de son skipper ou de son pavillon. Faut-il le rappeler : il faut être complètement autonome en carburant ou autre ravitaillement. Il importe d’être parfaitement fourni en pièces de rechange et outils. Les bases scientifiques ne sont pas là pour dépanner les plaisanciers. A terre, il convient de ne laisser aucune trace de sa visite. Pensez toujours à l’adage : "Apporté, remporté". La zone limite du traité sur l’Antarctique s’applique au sud du 60° S, rien ne doit alors être rejeté, les pompes automatiques doivent être désactivées. Les déchets biodégradables ne pourront être rejetés à la mer qu’au nord du 60° S. Certaines zones sont interdites aux visiteurs. Tout feu est prohibé, idem pour les armes, les explosifs, la chasse et la pêche. Libellule bat pavillon suisse, un pays qui a ratifié le traité mais pas encore le Protocole sur la Protection de l’Environnement. Aussi Philipp a-t-il préféré se mettre en règle avec les deux principales nations qui revendiquent la péninsule antarctique, le Chili et l’Argentine, en faisant une sortie à Ushuaia (Argentine) puis à Puerto Williams (Chili)…
www.iaato.org

Libellule en Antarctique

66° 33' Sud : Libellule est-il le premier catamaran de série à passer le cercle polaire antarctique ?

Rappel

Une telle navigation en catamaran de croisière n’est pas à la portée du premier venu. Cette croisière extrême a été entreprise par un skipper et un équipage très expérimentés, après d’autres navigations sous les hautes latitudes, parmi lesquelles le Groenland, et le passage du Nord-Ouest. Le catamaran (un Salina 48) a été particulièrement bien préparé, avec notamment 7 couches de Kevlar® aux étraves et 3 autres à la flottaison, et un renforcement général complet.

Libellule en Antarctique

Retour vers le nord : le cap Horn signe le retour vers la civilisation…

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