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Spécial anniversaire… Un an de voyage !

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Sous un soleil ardent, dans une lumière bleutée éclatante, comme sustenté au-dessus des eaux turquoise du lagon de Bora-Bora, notre catamaran tire doucement sur sa chaîne enfouie dans le sable de corail. Le souffle léger et constant de l’alizé semble inépuisable. Au loin, dans l’ouest, j’aperçois les reliefs tourmentés de Maupiti. Je ne vais pas le cacher : je suis heureux. Certes, dans un voyage comme le nôtre, l’aptitude au bonheur participe beaucoup… au bonheur. Au fond, c’est comme dans la vraie vie, non ? Mais lorsqu’on voyage au long cours, les repères sont plus diffus, la relativité moins évidente. Si l’on n’y prenait garde, on finirait un jour par ne plus voir les cocotiers, et tout ce qui va avec…
Nous sommes le 4 août. Il y a un an jour pour jour, nous franchissions en sortie les 2 tours du Vieux Port de La Rochelle. Cap au large ! Avec un objectif simple, mais ambitieux : faire le tour du monde à la voile ! Un an déjà ! Le tiers de notre voyage autour de la planète. Happy birthday ! Et manuia ! (à la vôtre ! en polynésien)
J’ai passé pour ce spécial anniversaire quelques heures à faire des calculs, et des statistiques. Pas toujours très fun, mais instructif.

Chronique autour du monde : un an aprèes

Un an de voyage, joyeux anniversaire aux parents…

Le soleil se lève sur le lagon de Bora-Bora, et je me lève avec lui. Je vis plus proche de la nature depuis que nous sommes partis. A la table à cartes, j’appuie sur la touche Display du GPS, pour y lire la distance parcourue depuis les tours rochelaises : 14 229 milles marins. A raison de 1 852 mètres par mille nautique, cela correspond à 26 352 kilomètres parcourus à la surface des océans. A vol d’oiseau (pour les romantiques) et selon l’arc de grand cercle (ou orthodromie, pour les marins), notre voilier se trouve ce matin à quelque 15 783 kilomètres de notre point de départ. Oui, nous sommes loin, mais pas encore à l’antiméridien de notre port de départ, lequel est également, à quelques minutes de longitude près, celui de Greenwich (méridien origine). Notre longitude est aujourd’hui de 151° 45’ Ouest. Il nous reste donc environ 28° 15’ de longitude à parcourir vers l’ouest pour parvenir à la longitude de 180° Ouest, qui deviendra aussitôt, et au même instant, la longitude de 180° Est. Compte tenu de l’itinéraire que nous devrions suivre pour rejoindre la Nouvelle-Zélande, nous devrions franchir le méridien 180° entre l’archipel des Tonga et celui des Fidji. On pourra dire alors que nous sommes parvenus aux antipodes de la France, et que nous avons accompli la moitié du tour du monde en longitude : à partir de ce moment-là en effet, chaque minute de longitude franchie vers l’ouest nous rapprochera de notre port de départ, alors qu’aujourd’hui chaque mille marin parcouru vers l’ouest nous en éloigne encore… Un peu plus tard, mais toujours avant la Nouvelle-Zélande, nous vivrons quelque chose d’un peu particulier : nous franchirons la ligne internationale (conventionnelle) de changement de date. A force de faire voile comme Magellan (mais plus modestement bien sûr) toujours plus vers l’ouest, nous allons bien finir par nous retrouver à l’est ! Depuis que nous sommes dans les îles de la Société, notre fuseau horaire est décalé de – 10 unités par rapport à celui de Greenwich, et le chronomètre de la table à cartes (je ne porte plus de montre depuis des mois…) est réglé, lui, à – 12 par rapport à l’heure de la métropole. Vous imaginez bien que, comme une journée n’excède pas 24 heures, on ne va peut-être pas essayer vainement, le moment venu, d’adopter, comme heure locale, – 13, mais plutôt + 11 ! Et le franchissement vers l’ouest, par notre voilier, de la ligne de changement de date va nous priver, d’un point de vue calendaire, d’une journée dans notre vie !!! On ne sait pas encore laquelle ! Bon, tout ça, c’est pour la théorie et le symbole, car le fait de rentrer à notre port de départ via l’Afrique du Sud et le cap de Bonne-Espérance, puis l’Atlantique sud (Sainte-Hélène, Ascension), et enfin les îles du Cap-Vert et les Açores, va nous faire boucler notre boucle au sud de l’archipel cap-verdien (nous y recouperons en effet notre route aller vers les rochers de Saint-Paul et le Brésil, au départ de la Casamance) et, par la même occasion, nous faire repasser largement en longitudes ouest… Mais c’est encore loin tout ça, et il y a pas mal de milles à parcourir d’ici là...

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... et aux enfants de "Jangada" !

Des chiffres et des milles…

Je me suis plongé dans des calculs savants, et j’en ai déduit qu’en moyenne, il convenait de rajouter 3,25 % à la distance orthodromique directe (la plus courte, celle par l’arc de grand cercle, comme on dit dans la marine) entre 2 points que nous souhaitions relier par la mer pour obtenir la distance réelle parcourue à la surface de l’océan par notre voilier, compte tenu des écarts de route, et du goût du capitaine pour les sillages propres et nets. A vous de trouver votre propre coefficient correcteur ! J’ai ensuite calculé, en fonction de l’itinéraire projeté, la distance réelle à parcourir entre chacune des prochaines escales prévues, puis la distance totale, par océan tout d’abord, puis globalement. Voilà ce que donnent les chiffres…
En Atlantique, entre le 4 août et le 28 mars de l’année suivante (nous avons franchi le canal de Panama, long de 48 milles, les 29 et 30 mars), nous avons parcouru 8 710 milles marins. L’océan Pacifique va représenter quelque chose comme 11 401 milles marins, entre la sortie du canal de Panama et le détroit de Torrès, situé entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée. L’océan Indien, quant à lui, totalise 8 675 milles marins entre le détroit de Torrès et le cap des Aiguilles, l’extrémité sud de l’Afrique du Sud. Et pour accomplir la dernière partie du tour du monde, la remontée de l’Atlantique, sud puis nord, entre le cap des Aiguilles et les deux tours du Vieux Port de La Rochelle, il faudra encore avaler quelque 6 714 milles marins. Notre circumnavigation, si nous en venons à bout, représente donc une distance totale d’environ 35 548 milles marins (note : en réalité, le loch de Jangada totalisera finalement 36 541 milles lors de son retour à La Rochelle), soit 65 835 kilomètres.
A Bora-Bora, aujourd’hui, nous avons donc couvert environ 40 % de la distance projetée de notre voyage. J’ai compilé par ailleurs les informations du journal de bord, et cela m’a permis d’établir avec précision la répartition du temps que nous avons respectivement passé en mer, au mouillage, ou à quai (ou en chantier, à terre). En une année de voyage en voilier, nous avons ainsi passé 24,77 % du temps en mer contre 71,80 % au mouillage sur ancre, et seulement 3,43 % à quai ou en chantier. Et encore faut-il relativiser ces derniers 3,43 % : si on enlève le temps passé en chantier à Trinidad (5 jours), et le temps (4 jours) pendant lequel nous avons laissé le bateau au ponton à Jacaré (Brésil) pour aller à Olinda et à Salvador de Bahia en bus, il ne reste pratiquement plus rien dans cette colonne. Nous ne sommes pratiquement jamais à quai, jamais dans les marinas ! On est tellement mieux au mouillage ! Et c’est gratuit... On en conclut, en simplifiant à peine, que nous qui sommes fréquemment catalogués par les voiliers de rencontre de "bateau rapide qui par ailleurs ne traîne pas en escale" (un tour du monde en 3 ans, c’est plutôt rapide, en effet, encore que nous n’ayons jamais eu l’impression de speeder), nous passons moins d’un quart du temps en mer, pour près de trois quarts du temps au mouillage. Une bonne indication pour le choix et la conception d’un voilier de voyage ! D’autant que, pour la plupart des voiliers naviguant au long cours, moins rapides que nous aussi bien sur l’eau que dans leur circumnavigation, la répartition précédente se rapproche plutôt généralement de 20 % du temps en mer pour 80 % du temps au mouillage.

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A 10 nœuds, avec le vent sur l'avant du travers, le catamaran trace sa route à travers les océans.

Question mouillage, justement, j’en ai répertorié … 152 en une année ! Mieux vaut avoir correctement acquis la technique du choix du mouillage et celle de sa mise en œuvre, dans toutes les conditions possibles : c’est capital pour la sécurité, et la tranquillité de l’équipage. Il est également impératif de partir avec du bon matériel à ce niveau. J’ai préféré remplacer le guindeau d’origine de notre catamaran par un neuf (Lofrans 24 V 1500 W, volontairement un peu surdimensionné) avant le départ, et j’ai embarqué 100 mètres de chaîne de 10 mm galvanisée, chaîne que je retourne tous les 6 mois pour que l’usure ne soit pas concentrée. Nous ne mouillons jamais moins de 40 à 50 mètres de chaîne, même par 3 mètres d’eau. En Polynésie, certains mouillages exigent de jeter l’ancre par 35 mètres de fond… Et, naturellement, nous n’utilisons jamais – au grand jamais – de cordage textile pour le mouillage principal (les coraux sont très coupants). Sauf à retrouver son bateau sur le récif… Nous n’avons jamais eu besoin d’empenneler ou d’affourcher, et je n’ai utilisé que deux fois une ancre secondaire légère (en aluminium, Fortress) comme "ancre de détroit", pour tenter de stabiliser le bateau dans le courant des bolongs reculés du Siné Saloum.
En ce qui concerne les moteurs de propulsion (2 x 50 CV Volvo), je relève 645 heures à bâbord, et 678 heures à tribord (la cabine de ma vahiné est à bâbord, tiens tiens… merci au capitaine). En manœuvre, les deux moteurs fonctionnent ensemble, mais au large, c’est différent. Par vent faible ou nul, conditions de mer calme, ou lorsque la vitesse sous voile descend en-dessous de 4 nœuds, j’utilise souvent un seul moteur à régime modéré qui déhale le bateau à faible vitesse, en consommant peu. Et j’en profite pour faire fonctionner le dessalinisateur (production d’eau douce). Qui ne saurait, au contraire de ce qui est souvent inscrit dans les notices des fabricants, fonctionner en courant continu sur les batteries de service sans les vider rapidement ! En une année, nous avons consommé 3 982 litres de gas-oil, avec une consommation horaire moyenne de 3 litres par heure et par moteur. Le régime moteur n’est que très rarement sollicité au-delà de 1 500 tours/minute. Nous avons souté là où le combustible était le moins cher : Santa Cruz de Tenerife, Trinidad, Panama, avec un complément de sécurité aux Galapagos avant les 3 000 milles de la traversée vers les Gambier, et enfin à Tahiti, où le gas-oil est détaxé pour les yachts de passage.
Enfin le gaz, l’énergie de la cuisine ! L’installation du bord comprend 2 grosses bouteilles de 13 kg, le meilleur système en voyage au long cours (les demi-bouteilles de 6 kg et autres Camping-Gaz sont à proscrire, car il est difficile ou même impossible de les recharger ou de les échanger). Nous en avons consommé 6 en un an, soit une tous les 2 mois à quelques jours près, avec une belle régularité. Et la maîtresse de maison, aidée de ses deux acolytes (les enfants, pas le capitaine, nul en cuisine, mais capable de bouffer du riz tous les jours pendant des lunes…), qui aiment bien mettre la main à la pâte, ne se prive pas de nous concocter fréquemment ses spécialités : gratins, pizzas, tartes, gâteaux… Et, dès que nous sommes loin d’une boulangerie, pain recette "Jangada" bien sûr ! Si l’on veut en déduire une moyenne de consommation mensuelle de gaz, on peut retenir le chiffre de 1,62 kg de gaz/mois/personne. Voilà pour les chiffres !

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Les pointages Argos sur la traversée Casamance-Brésil. En un an, nous ne sommes restés qu'un quart du temps en mer…

Depuis le lagon de Bora-Bora, mon regard se porte souvent désormais vers l’ouest : j’aperçois sur la ligne d’horizon la silhouette anguleuse et tourmentée de Maupiti, à une petite trentaine de milles de notre position actuelle. Contrairement à la plupart des voiliers en voyage qui renoncent par avance à entrer dans le lagon de Maupiti, dont la passe est à juste titre réputée dangereuse, nous allons, nous, y faire escale. C’est décidé. Impossible de rater Maupiti. (NDLR : vous découvrirez cette escale dans le prochain numéro de Multicoques Mag)
Puis notre route nous emmènera vers la Nouvelle-Zélande en passant par Mopelia, l’archipel des Cook, et l’atoll de Suvarov (l’île du "Robinson des mers du Sud", Tom Neale (Editions Arthaud), un ermite néo-zélandais qui y vécut près de trois décennies, en autarcie quasi totale, avant de mourir d’un cancer, à Rarotonga, fin 1977). De là, cap au sud-ouest, à près de 500 milles, vers une curiosité corallienne du Pacifique, le reef de Beveridge, perdu à 135 milles dans le SE de Niue Island. L’anneau corallien, dont rien n’émerge à part une minuscule langue de sable, a eu la bonne idée (mais c’est souvent une nécessité hydraulique !) de laisser dans son ouest une minuscule passe, étroite et peu profonde, qui permet, dans de bonnes conditions, de pénétrer à l’intérieur. Peut-être aurons-nous ainsi la chance de jeter l’ancre au milieu de… la mer ! Puis l’île de Niue, où il sera temps de se ravitailler (le riz-poisson menaçant à tous les repas, petit déjeuner compris !), avant les Tonga, et les Fidji. A Suva (Fidji), nous chausserons les starting-blocks météorologiques, histoire de tenter d’éviter, sur les 1 100 milles nautiques du parcours Suva-Whangarei (NZ), de se ramasser sur la tronche un bon vieux coup de vent de sud-ouest venu du Grand Sud… Allez, je vais prendre mon fichier Grib (vent, houle) sur le site américain de la NOAA, histoire de commencer à imaginer le bon moment pour franchir la passe de Maupiti. Trop d’hôtels dans le lagon ici, trop de touristes, la Perle du Pacifique a perdu de son charme. Mais… que c’est beau, tout de même, Bora-Bora…

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Une bonne préparation, la clef d’un voyage sans histoire…

Quelques aspects techniques à considérer…

1 - Un plan de pont particulièrement sûr, avec passavant, hiloire de coque, pontage plat et rambarde inox rigide. Sécurité absolue !

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2 - L’open space le plus utilisé à bord : le cockpit extérieur, totalement abrité du vent, des embruns et de la pluie par un hard-top avec retours latéraux. Je n’ai enfilé bottes et cirés que 2 ou 3 fois pendant notre tour du monde !

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3 - La table à cartes de Jangada, refaite avant le départ, avec ses 2 ordinateurs Durabook (logiciels de navigation et télécommunications en double), l’un restant à bord et n’étant jamais connecté à Internet, l’autre pouvant descendre à terre.

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4 - A la seule exception des allures de près, la retenue de bôme est TOUJOURS à poste en navigation, capelée au taquet d’amarrage milieu et mise sous tension au winch d’écoute de grand-voile. Simple et efficace. Empannage avec avaries ? Connais pas…

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5 - Le groupe électrogène portable 2000 W, une solution économique, light et performante, aussi bien pour faire fonctionner le rice-cooker que le vide-cave inox à gros débit en cas de voie d’eau (ou bien une tronçonneuse à disque pour couper les haubans en cas de démâtage). Fonctionnalités bricolage et travaux, charge des batteries par temps couvert durable, mais surtout sécurité.

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6 - L’arrière de Jangada, très fonctionnel en voyage. Sa conception nous a permis de toujours laisser l’annexe et son moteur hors-bord (3,40 m RIB, 15 CV) à poste en mer. Géométrie intégrant le stockage des défenses, avec multiples ancrages de saisissage. Mais un cata haut sur l’eau…

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7 - Les jupes arrière, greffées en strip-planking sur les coques d’origine, mesuraient 1,20 m de long et offraient une interface permanente particulièrement commode avec la mer.

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8 - Une annexe bien préparée et bien protégée est primordiale. Grappin, 5 m de chaîne, 20 m de bout plombé. Bidon étanche, rallonge de commande et sondeur électronique à main.

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