Pacifique

Nouvelle-Calédonie

Créez une alerte e-mail sur le thème "Pacifique"

Depuis des années, je rêvais de découvrir la Nouvelle-Calédonie. Je l’avoue, un peu moins aujourd’hui. Peut-être ne fallait-il pas y poser le pied 5 jours après un séjour de 5 mois en Nouvelle-Zélande ? C’est peut-être cela, l’erreur ? Le point de vue du navigateur de passage est forcément subjectif. Personne n’est obligé de le partager. Mais à bord de notre catamaran, ce fût le nôtre. On vous le livre.
Habiter Nouméa suggère souvent de se tourner vers la mer à l’approche du week-end. L’immense lagon calédonien ne manque pas d’attrait. Effleurer, survoler l’eau translucide et ses formations coralliennes à bord d’un trimaran habitable doit être un must. Les environs de Nouméa sont truffés d’îlots qui constituent autant de destinations agréables de fin de semaine. Sainte-Marie, Canard, Maître, Signal, Larégnère, Pandanus et bien d’autres... La plupart de ces îlots coralliens sont protégés, mais également aménagés a minima pour recevoir la visite dominicale des plaisanciers. Nous aurons ainsi l’occasion de faire partie, à deux reprises, d’un petit convoi nautique sympathique vers Larégnère, puis Pandanus, avec au programme barbecue sur la plage et jeux aquatiques.

Chronique Nouvelle Caledonie

Paysage de la côte est, à Hienghène, cœur du pays kanak… Jangada est arrivé en Nouvelle-Calédonie !

Bien entendu, nous allons visiter l’incontournable centre culturel Jean-Marie Tjibaou, à Tina, à quelques kilomètres à l’est de Nouméa. Ici, première petite parenthèse ouverte par le navigateur de passage… Ce lieu qui se voudrait le symbole de la réconciliation entre le monde mélanésien et le monde occidental ne m’a pas vraiment convaincu, disons, sauf en ce qui concerne son architecture extérieure, vraiment originale. Sa création a certainement contribué à apaiser les esprits après ce qu’on appelle ici "les évènements", qui ont opposé "Caldoches" et "Kanaks" dans les années 1980. Mais, autant le dire clairement, pour nous qui venons de séjourner 5 mois au "pays du long nuage blanc" (où la culture maorie a été globalement intégrée harmonieusement à celle des Occidentaux), et qui débarquons en Nouvelle-Calédonie avec un regard neuf, le constat du contentieux qui perdure sur le Caillou entre les deux principales communautés, et la pérennité de l’extrémisme au moins apparent de certaines revendications indépendantistes, malgré l’abondance presque choquante de l’argent métropolitain déversé sur ce petit territoire depuis le début des années 1990 (a fortiori si l’on fait la comparaison avec le niveau de vie des archipels voisins, Vanuatu, par exemple), apparaît surtout comme celui d’un archaïsme dépassé dans les rouages culturels et sociaux locaux. Un constat très décevant de notre passage en Nouvelle-Calédonie, comme un dialogue dissonant dans lequel chacun aurait oublié qu’il est de toute façon un immigré sur le Caillou. Les avatars de l’Histoire désormais ancienne devraient plutôt inciter les locaux à se tourner d’urgence vers leur destin désormais commun, nous semble-t-il. Le nickel n’est déjà plus une manne, et l’avenir économique de l'île n’est pas forcément limpide. Notre pays a l’art des blocages, même à l’autre bout du monde…

Chronique Nouvelle Caledonie

Un multicoque local de travail original. Philippe Echelle, essayeur en chef du magazine, doit probablement connaître son histoire !

Un petit tour sur le Caillou…

Pendant quelques jours, nous avons sillonné la Nouvelle-Calédonie, de l’extrême nord à l’extrême sud, de la côte ouest à la côte est, pour avoir une meilleure idée de l’intérieur de l’île. Avec nous, un minimum de matériel de camping et de pique-nique, et tous les soirs, nous plantions la tente. La Nouvelle-Calédonie est longiligne, 400 km de long pour une cinquantaine de large, avec deux sommets à un peu plus de 1 600 mètres. La côte orientale, tendance kanak, ventilée par l’alizé, bien arrosée, plonge dans la mer et s’habille d’une végétation luxuriante. La côte ouest, tendance caldoche, très ensoleillée, descend doucement vers le lagon calédonien, plus généreux sur ce versant. Les massifs montagneux sont riches en fer, mais surtout en nickel, dont la Nouvelle-Calédonie possède environ 20 % des réserves mondiales. Exploitées à ciel ouvert, ce qui défigure parfois sérieusement le paysage.
Nous apercevrons quelques nautous, de plus rares cagous huppés, qui ne volent plus, des colibris. Les cerfs Rusa, nombreux, vivent dans la brousse de l’intérieur. A l’extrême nord du vaisseau calédonien, le grand lagon nord abrite les îles Bélep et plus loin encore les récifs d’Entrecasteaux. Merveille de la nature, le lagon calédonien, qui fait face à la Grande Barrière de corail australienne, abrite une multitude d’espèces marines, des baleines à bosse aux dugongs, des requins aux tortues, des dauphins aux fameux serpents amphibies tricots rayés jaune ou bleu (parmi une quinzaine d’espèces de serpents marins présentes dans le lagon !), sans compter la multitude d’oiseaux (sternes, noddis, pétrels…), et plus de 4 000 espèces de crustacés, 2 000 espèces de mollusques et autant de poissons, et encore quelque 300 espèces de coraux… Belle biodiversité !
Notre parcours sur le Caillou nous fera quitter Nouméa vers le nord, passer par Dumbéa, Païta, La Tontouta, Bouloupari, La Foa, Sarraméa, Farino, Moindou, Bourail. Nous rejoindrons la côte est par la "traversière" de Houaïlou, puis passerons à Ponérihouen, Poindimié, Touho, Hienghène, cœur du pays kanak, Pouébo, Ouégoa, et l’extrême nord Poum et Poingam (où Marin se fera salement piquer par une raie sur la plage de Nennon…), Koumac, Kaala-Gomen, Voh, Koné, Poimbout, Poya, puis Bourail à nouveau vers le sud cette fois, et Nouméa. Nous repartirons avec un ami et son 4x4 Ford Ranger pour 2 jours dans le sud calédonien, Le Mont-Dore, les lacs, Yaté, une traversée en pirogue vers l’îlot Nuu, la baie de Goro, et la route sinueuse de Prony qui nous fera, en haut d’une côte, tomber nez à nez avec l’énorme complexe minier de Goro Nickel, une nouvelle usine construite par le géant minier brésilien Vale. Une bonne idée du Caillou, avant notre départ vers le cCanal de la Havannah et les îles Loyauté…

Chronique Nouvelle Caledonie

Le centre culturel Jean-Marie Tjibaou, à Tina, un bel édifice…

Escales aux îles Loyauté…

Dans l’après-midi du 2 mai, nous quittons la baie de l’Orphelinat, et sortons de la Petite Rade. Le vent est nul et nous nous déhalons doucement avec un moteur, sur l’eau calme du lagon. Nous jetons l’ancre dans une anse du canal Woodin pour y passer une nuit paisible. A l’aube, nous remettons en route et sortons du lagon par la Havannah. Un léger vent de sud-sud-est nous permet de faire route sur un bord vers l’île de Maré, la plus au sud et la moins fréquentée des îles Loyauté, celle qui est restée la plus authentique. Nous parvenons de nuit devant la petite baie de Tadine, où se trouve le petit port local, une simple jetée de quelques dizaines de mètres de long, qui abrite un petit quai. Seuls quelques lampadaires municipaux balisent la route côtière. Nous approchons lentement, la cartographie électronique est décalée, et l’usage du projecteur à main de rigueur. Nous jetons l’ancre à l’ouvert du petit port ; un léger ressac et le bruit des vagues qui viennent briser sur le rivage de corail mort nous accompagneront dans la nuit. Splendide plage de Wabao au sud, hameaux perdus de Medu et d’Eni, petit bourg de La Roche, et centre culturel Yeiwene Yeiwene, où a lieu un petit festival local. Là, autre parenthèse ouverte par le navigateur de passage… Après le discours du grand chef de La Roche (selon la coutume), nous avons entendu pendant une demi-heure dans la bouche d’une égérie locale un invraisemblable discours qui m’a semblé d’un autre âge, dans lequel l’"Etat colonial" était accusé de tous les maux, alors que la culture kanak était, elle, portée au pinacle. Pourquoi ne pas mettre en valeur la culture kanak, en effet, mais peut-être sans pour autant oublier qu’aux îles Loyauté, l’état colonial en question déverse aussi pas mal d’argent, sans que la population locale apparaisse abrutie par le travail ? Je m’amuserai toujours, pendant ce voyage, à constater à cet égard l’énorme différence d’approche dans la gestion des poussières d’empires, entre les Anglais (beaucoup plus pragmatiques, économes, et comptables des finances publiques du Royaume) et nous, Français, qui avons, désespérément, l’argent du contribuable facile. Fermons la parenthèse.

Chronique Nouvelle Caledonie

Une belle visite à terre du petit équipage dans le parc provincial des Grandes Fougères.

L’île de Maré me rappelle l’île de Niue. Même genre de configuration géologique, île de corail mort, même genre de végétation dense, mais pas luxuriante. La vie semble s’y écouler avec tranquillité. Cependant, notre deuxième nuit au mouillage de Tadine nous réserve un… mauvais souvenir. Alors que le vent était jusque-là stable au sud-est à 15 nœuds, une ligne de grains s’abat sur nous vers le milieu de la nuit. Je commence à ne connaître que trop bien ce type de scénario, relativement fréquent dans l’ouest du Pacifique, et inauguré non sans quelque dommage aux Tonga, il y a quelques mois. Le vent grimpe soudainement à 30/40 nœuds, rafales à 50, en tournant de plusieurs dizaines de degrés. D’un mouillage protégé sous le vent de l’île, nous nous retrouvons en l’espace de quelques instants dans un piège, dans l’obscurité, pris dans un vent rageur et sous une pluie torrentielle. Au vent de la côte désormais exposée aux rafales et à la mer qui déferle. J’allonge la chaîne de 50 à 80 mètres, mais ne peux faire plus dans l’immédiat. Cela améliore l’angle de traction du mouillage, mais cela nous rapproche aussi des patates de corail que nous avons reconnues avec Marin, ce matin, en arrivant. Sans rien voir de précis, je devine que les premières ne sont plus qu’à une quinzaine de mètres des tableaux arrière… Une situation jamais agréable. Je réveille tout le monde, on enfile les cirés, on répartit les lampes frontales. Je démarre les moteurs, qu’on n’entend même pas ronronner tant le fracas du vent et de la mer qui explose sur la côte toute proche est fort. J’hésite à larguer le reste du mouillage (20 mètres de chaîne encore) en coupant l’étalingure d’un coup de couteau, pour prendre le large. L’ancre a l’air de tenir bon, et je sais la chaîne solide, pour l’avoir vue à maintes reprises largement sollicitée. Mais je sais aussi que si ça commence à déraper, je n’ai que quelques petites secondes pour réagir avec toute la puissance des moteurs, larguer le mouillage et appareiller dans la nuit en furie. Une situation dangereuse. C’est ce genre de scénario – pris subitement au piège à proximité immédiate de la côte et du corail, de nuit, dans un grain tropical puissant ayant provoqué un changement radical dans la direction du vent – qui se révèlera le plus grand danger pour notre sécurité et celle de notre bateau pendant notre voyage. Au large, nous n’avons jamais été en danger, le risque d’abordage étant le premier qui me vient à l’esprit. Sur notre catamaran, le risque de chute à la mer est quasiment inexistant, tant l’agencement du bateau est sécurisant à ce niveau. Le plus fort du grain durera une heure, suffisamment pour laisser un mauvais souvenir dans ma mémoire. Puis la pluie prendra le dessus sur le vent, un moment que j’apprécie toujours, parce qu’il signifie pour le Captain, qui a connu l’anxiété, que la partie est gagnée. Mais le vent mettra plusieurs heures à revenir au sud-est, et je m’installerai sommairement dans le carré pour le reste de cette mauvaise nuit…

Chronique Nouvelle Caledonie

Case kanak en province nord, côte est du "Caillou".

De Maré à Lifou

Nous effectuerons le trajet de Maré à Lifou la nuit suivante, poussés par une petite brise portante sous un ciel étoilé. Je ne dormirai pas beaucoup non plus, car quelques îlots bas et inhabités se trouvent sur la route, et le radar de Jangada ne marche plus depuis des lunes. Je n’ai pas réussi à le faire réparer en Nouvelle-Zélande, il aurait fallu amener le bateau à Auckland… J’ai alors songé à le faire réparer à Nouméa, mais pas moyen non plus… Alors je me méfie de l’imprécision de la cartographie électronique, et vais passer une partie de la nuit à scruter des yeux dans l’obscurité la position et le déplacement relatif de la masse sombre de ces îlots non éclairés, qui défilent à quelques dixièmes de milles par le travers. Au lever du jour, nous entrons dans la baie profonde de Wé, à Lifou, la plus grande île des Loyauté, qui abrite la plus petite marina que j’aie jamais vue. Initialement, nous n’avions évidemment pas l’intention d’entrer dans la marina de Wé, un concept (celui d’entrer dans une marina !) qui nous est devenu lointain voire étranger depuis notre départ de France. Mais il se trouve que mouiller à Wé n’est guère facile, le platier corallien déborde la côte partout, et la houle entre dans la baie. Alors je me décide à remonter le petit chenal et à entrer très lentement dans la micro-marina. Virage à droite serré, regards matinaux étonnés.

Chronique Nouvelle Caledonie

Paysage du sud calédonien… Magnifique !

A Wé, la largeur de Jangada semble déplacée. Pourtant, nous avançons, sans autre but que de découvrir cette minuscule marina, jusqu’au fond de l’abri, et là, le miracle, pas même attendu, se produit ! L’équipement, géré par les Mélanésiens locaux, n’a pas de directeur depuis presque 2 ans. Le dernier à avoir officié ici a succombé quelques heures après une opération de sauvetage d’un voilier en difficulté, à laquelle il avait participé. Depuis quelques jours, un nouveau responsable a été nommé, qui, fraîchement débarqué, doit progressivement reprendre les choses en main. Le voilà qui s’active à notre approche sur le petit ponton de la capitainerie, et sans que nous lui demandions quoi que ce soit, il se met en tête de faire déplacer un autre catamaran pour nous offrir la place d’honneur, au quai d’honneur. Incroyable ! J’apprécie. Il faut dire que Jangada est certainement l’un des plus grands voiliers qui soient jamais entrés dans la marina de Wé ! Un peu inquiet, je lui demande combien cela va nous coûter, en lui précisant que nous ne sommes là que pour quelques heures, 24 au maximum, selon l’intérêt que nous aurons à visiter le village de Wé, capitale de Lifou et des îles Loyauté. Il me fait comprendre qu’il vient d’arriver, et que le temps de reprendre les choses et les tarifs en main, le séjour sera gratuit pour Jangada ! Jolie surprise. Je me dis en moi-même que, comme quoi, il ne faut pas trop médire sur la gestion des outils provinciaux par la mouvance locale : elle peut parfois présenter de bons côtés ! Nous allons ainsi profiter de cet amarrage inespéré en eaux calmes, sous un soleil de plomb, avec eau douce et électricité à volonté le long du bord ! L’un des premiers à nous prendre les amarres sera William, le directeur du seul hôtel de Wé, le Drehu Village. Passionné de voile, il connaît déjà Jangada et son voyage par Multicoques Magazine, qu’il lit assidûment ! Il nous étonne en nous appelant tous par notre prénom, alors que nous ne l’avons jamais rencontré ! En plaisantant, je fais observer aux enfants médusés qu’ils doivent commencer à se préparer à affronter une notoriété internationale… Plus tard, nous irons profiter de la connexion Internet de l’hôtel, et William nous racontera la vie dans les îles Loyauté autour d’une Number One dégoulinante de fraîcheur. Nous ne garderons pas un souvenir impérissable du village de Wé, tout en longueur, malgré la préparation de la soirée "Bingo", chère aux insulaires. Fin d’une petite escale imprévue au quai de la marina de Wé, d’où Jangada ressortira lavé à l’eau douce, lessivé et rincé abondamment, comme le linge mis à sécher dans le gréement. La météo est favorable pour faire route sur le sud de l’archipel des Vanuatu, à quelque 150 milles de là, sur un bord, au près bon plein dans l’alizé modéré. En route pour Port-Resolution, sur l’île de Tanna, au pied du volcan Yasur. Drôle d’impression que de rebrousser chemin en longitude, pour quelques degrés, en faisant route à l’est dans le Pacifique, cap sur Panama, alors que nous sommes désormais, depuis notre appareillage de Nouvelle-Zélande, sur le chemin du retour vers la France. Mais l’archipel du Vanuatu semble valoir le détour, et plus tard, nous ferons route vers celui des Louisiades, en Papouasie Nouvelle-Guinée, alors… A hisser la grand-voile lattée au guindeau, et cap à l’est !
Dans le sillage, des impressions contrastées…

Chronique Nouvelle Caledonie

Si la faune est incroyable, surtout sous la mer, la flore est aussi exceptionnelle, comme cette plante endémique de la région de Prony…

Partagez cet article