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Multicoques match : Croisière hors piste - Nord contre sud

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Nous choisissons le Sud, par Paul et Anne Buttin

Paul et Anne semblent mener une vie de famille normale ; ils dissimulent sous cette couverture sociale des tempéraments d’aventuriers solidement trempés. Après avoir construit un monocoque en acier et largué les amarres en famille, ils ont été propriétaires du Val 38’ Elle (Newick), se sont brillamment lancés dans la restauration profonde du prao Godiva (encore un Newick !) et naviguent aujourd’hui alternativement sur leur trimaran Stripling 28’ (Kelsall) ou le monocoque qu’ils ont conservés. Ils explorent depuis des décennies l’archipel grec sans jamais se lasser. Ces nouveaux argonautes ont-ils découvert la toison d’or ?

Notre première navigation vers la Grèce remonte à 1972. Jeune équipage d'étudiants sur le bateau familial, nous avions déjà pris la mesure des enjeux : la lumière, le meltem, le vin résiné et l'ouzo ! Une balade atlantique de 4 ans en famille dans les années 80, d'abord vers le sud, puis le nord, nous avait convaincu définitivement : mer chaude, petites étapes et soleil constitueraient les projets des années à venir. Nous laisserons dorénavant le chauffage du carré, l'hivernage sur le Saint-Laurent, les îles de la Madeleine, Saint-Pierre et Miquelon dans le registre des bons et lointains souvenirs. Au retour d'un hiver en mer Rouge en 1988, nous avons (via Chypre) pris nos habitudes dans cette mer gréco-turque. C'est tout petit, la mer Egée, on n’est pas dans le Pacifique ! 2 jours sous voile dans n'importe quelle direction et on arrive sur la côte, mais les zones de navigation sont bien différenciées : le Dodécanèse, les Sporades W et E, les Cyclades, les golfes côtiers, chacune possède son caractère propre et sa météo particulière. L'accès facile à une prévision météo depuis le bord grâce à une bonne couverture téléphonique permet d’envisager sereinement le programme des jours à venir. Des îles partout, grandes, petites, hautes, basses, boisées ou pelées, vous découvrirez "la vôtre" en évitant le louvoyage si vous exploitez ces précieuses informations. Au fond de presque tous les mouillages, il y a une petite chapelle au dôme bleu, une maison blanchie à la chaux, parfois un village, un quai, une épicerie, des gens tranquilles, la vie ! Durant l'été, le cœur de l'Egée (les Cyclades) est largement soumis au meltem, ça décoiffe sous le vent des îles, et les rafales catabatiques peuvent affoler l'anémomètre ! Il est urgent d'attendre deux ou trois jours que ca mollisse, d'où l’importance précédemment évoquée du café du port et de l'ouzo face au soleil couchant. On en profitera pour louer un scooter et explorer l'intérieur des îles : Sériphos, Chios, Paros, Naxos… Le choix des îles est important : surtout pas d'aéroport international ! Pas de tourisme de masse. On évite donc Mikonos, Kos, Santorin, et accostons à Amorgos, Harki, Hiraklia, Denoussa, Folegandros, Psara et tant d’autres. Si vous aimez les coins déserts ou carrément sauvages, mouillez pour un soir ou une semaine à Kinaro ou à Rinia. Noctambules qui aimez la fête, allez à Ios. Dans les petites îles, la vie est douce, le vol quasi inconnu ; souvent, le matériel de plage des locaux est rangé simplement dans un coin pour la nuit. Le soir venu, la taverne est un lieu de vie fréquenté et incontournable : stifado, ktapodi, mélizanes, gavros, lefko... à vous de découvrir ces merveilles de la cuisine et du mode de vie méditerranéens pour un prix raisonnable au son de l’envoûtant bouzouki. Partout, l'histoire et les monuments sautent aux yeux des navigateurs ; Ulysse n'est jamais loin, et le souvenir d'un louvoyage entre Delos et Rhinia vous accompagnera à tout jamais. Au printemps, la Pâque orthodoxe est un moment unique dans la vie des îles. Tous les Athéniens retournent dans leurs vraies patries insulaires. Les ferries débordent, les débarquements sont incroyablement animés. Bras chargés de cadeaux, ça siffle, s'apostrophe, s'accolade, se retrouvaille. C'est la fête de la famille grecque réunie ! Jusqu'à mi-novembre les bateaux naviguent, la météo reste globalement bonne, la température des baignades acceptable. L’hiver, on fait des sauts de puce. Quelques îles – Egines, Siros – restent animées. Les contacts sont plus chaleureux, les soirées un peu longues. On regrette parfois le chauffage du carré. Vous êtes l’heureux skipper d’un cata naviguant en mer Egée, vos équipiers souhaitent vous rejoindre ? Facile, un vol charter sur Athènes, un bus (1 h, 9 €) vers le Pirée, puis des ferries quotidiens vers presque toutes les îles grecques, ce qui évitera bien des tracas de planning et de rendez-vous impératifs en cas de meltem soutenu. Les marinas sont rares, les frais de port et les formalités "amicales". Les services, carburant et eau, sont livrés et facturés à la demande. Seul bémol dans ce tableau sympathique : pour caser un large multicoque dans un étroit port grec, il faut se lever tôt le matin et se munir d'un chausse-pied ! Une annexe motorisée est donc bienvenue. Un petit apprentissage du parler grec (via l'appli, gratuite, Loecsen, par exemple) est toujours très apprécié, C'est "l'attention aux autres", le sésame de tout voyageur (nota : l'appli Loecsen propose aussi le... breton. Kenavo).
Lyon, été 2016

Match Nord Sud

Je choisis le Nord, par Christophe Barreau

Christophe Barreau est un architecte navigateur qui n’hésite pas à s’engager dans des programmes hors piste (Patagonie, Islande, Groenland) à bord de ses productions. Successeur de Lock Crowther au design des Catana, il signe également les catamarans Outremer 45’ et 51’, les TS52’ et 42’, le Mcat 52…

Deux heures du matin, l'ancre plonge. Le plan d'eau est à peine irisé par une brise légère. La lumière très douce et rasante diffuse un éclairage diaphane sur cette baie au nord du Spitsberg. Quelques growlers en provenance du glacier du fond de la baie crépitent et viennent caresser notre coque. Les dégradés de bleu et de transparence rivalisent de beauté avec les sculptures de ces fantômes errants. Nous sommes protégés de la houle du large par une langue de sable blanc sur laquelle nichent des milliers d'oiseaux migrateurs. Ambiance sonore joyeuse et débordante de vitalité. Le temps s'est arrêté… (Quelques saisons plus tard) : Depuis plusieurs heures, nous zigzaguons entre les floes à la recherche d'un mouillage, celui repéré sur la carte est pris par les glaces ! Nous avançons prudemment. Ambiance feutrée par la brume, forte concentration, tous les sens aux aguets. Parfois, une trouée fait scintiller la glace autour de nous ou illumine un sommet enneigé qui semble culminer à des hauteurs fantastiques. La carte est "blanche" sur ce secteur, nous ne disposons d'aucune information sur les fonds. Sommes-nous les premiers à guider nos étraves dans ces contrées ? Fabuleuse illusion ! La brume s'épaissit au moment où nous décidons de mouiller dans une crique bordée de galets. Une reconnaissance du rivage aux jumelles révèle la présence du seigneur des lieux, Nanuk (l'ours blanc) ! Nous reportons notre promenade à terre et nous regroupons autour du poêle. L'évocation de ces souvenirs motive la préparation d'autres voyages au-delà du cercle polaire. Se pose la question du voilier adapté à ces navigations ? Je ne crois pas qu'il y ait un seul type de bateau adapté à ce programme, autant de réponses que d'équipages, même si le marketing veut nous faire croire le contraire. Parmi les premiers à franchir le passage du Nord-Ouest à la voile pure, on compte un Hobie Cat 18’ (1986-1988), le catamaran Babouche de 8 m de Seb Roubinet (2007) et pour les bateaux ayant bouclé le tour par le nord, un trimaran de 31' repliable, et Quingdao China (ex-Idec), qui a franchi le passage du Nord-Est en 13 jours (2015). J'ai eu la chance de naviguer dans ces régions sur divers types de bateaux catamarans et monocoques aluminium. Notre première navigation polaire nous a conduits jusqu'à 81°N au large du Spitsberg ; le Catana 40' Diabolo avait toutes les qualités pour ce programme mer/montagne/parapente grâce au confort qu'il offrait en mer et au mouillage. Son très faible tirant d'eau facilitait l'accès aux mouillages peu profonds protégés des glaces dérivantes, et nous n'avions pas l'intention de jouer les brise-glaces ou d’hiverner ! C’était un bateau rapide capable de franchir de grandes distances par météo favorable, insubmersible, équipé de caissons étanches, d’une double peau sandwich ainsi que de 2 moteurs et 2 safrans, tous éléments de sécurité importants ! Forts de cette expérience, nous sommes retournés deux saisons plus tard au Spitsberg avec notre Hobie Cat 18’ afin d’approcher au plus près la nature et la faune si abondante, en 5 semaines de totale autonomie. Imaginez naviguer au milieu d'un troupeau de bélougas (si près que nous pouvions les toucher) ; nos campements à écouter les oiseaux, observer les morses, profitant parfois des anciennes cabanes de trappeurs ou chasseurs de phoques au coin du feu. Nous avions réduit la distance nous séparant de notre environnement et gagné en simplicité. L'exploration de la côte au plus près du rivage, l'inconnu et les surprises de chaque instant nous ont comblés. L'aventure était là ! Ces régions sont les premières victimes du changement climatique, et il y a un paradoxe à s'y déplacer en utilisant une propulsion thermique. J’ai donc imaginé un voilier autonome en énergie offrant les qualités de sécurité de Diabolo et la simplicité du Hobie. Il s’agit d’un petit catamaran de 35’ léger et toilé pour être efficace dans le petit temps. Ces performances, associées aux informations météo modernes, permettent des navigations par étapes à des moyennes de 8 à 10 nœuds en mode "safe". Le tirant d'eau de 35 cm ouvre l’éventail des mouillages protégés, surtout avec des safrans pivotants et des dérives sabres. Les flotteurs du TS53’ réduits à 35' offriront stabilité longitudinale et capacité de charge. Une nacelle pour 3/4 personnes, structurellement indépendante des flotteurs et des poutres de liaison avec peu de fardage, deux couchettes doubles et une kitchenette constituent l’aménagement. Les coques totalement étanches sont fortement compartimentées, et accessibles uniquement par des panneaux depuis le cockpit. La propulsion est assurée par deux pods électriques/hydro-génerateurs rétractables en cours de développement chez Naviwatt. Six panneaux solaires souples disposés sur le roof complètent la charge, surtout aux escales. Dans mes rêves les plus fous, je m'imagine parfois quitter les côtes bretonnes en route pour le Japon, par le nord, en navigation quasi côtière.
Islande, été 2016

Match Nord Sud

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