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Evolution multicoques 2e partie : L’habitation planante

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A la fin des années 80, alors que la production nautique s’industrialise sur la base des acquis du yachting boom, deux paramètres essentiels viennent s’ajouter au cahier des charges des constructeurs : l’habitabilité maximum, tout en préservant l’intimité, et le confort douillet sont désormais des critères primordiaux dans le choix des acquéreurs. Alors que la voile était une affaire de marins, les terriens, ou terriennes, accompagnateurs ont maintenant leur mot à dire, et au moment du choix, leur influence est incontournable. Les fabricants de catamarans de croisière répondent parfaitement à ces nouvelles réalités en proposant une surface utile bien plus grande que les monocoques, et surtout une segmentation des espaces habitables bien plus importante, avec des cabines bien isolées dans chaque coque. Les chantiers s’emploient à sélectionner des matières feutrées et des boiseries aux teintes chaleureuses apportant une ambiance cosy et un côté rassurant, la sécurité et la résistance aux éléments marins étant un ressenti encore bien ancré dans les mentalités. D’ailleurs, la vision sur l’extérieur, bien que favorisée par la position de la nacelle, n’est encore que partielle en position debout, et souvent occultée une fois assis. La forme des roofs et la disposition des banquettes montrent encore le besoin de se protéger de la mer et du vent, que la taille des hublots et sabords ne fait que confirmer. Le long boyau des coques reçoit, tant bien que mal, literies, sanitaires et stockage, parfois sans cloison sur les unités de petite taille, et la cuisine est réduite le plus souvent à l’expression de ce qui se fait en caravaning. Mais cela va changer très vite, car le formidable potentiel domestique a bien été identifié.

Evolution du Multicoque Partie 2

30 années séparent le Louisiane du Lucia. Plus qu'une évolution, c'est une révolution que le monde du catamaran a connue !

A partir du début des années 90, l’évolution du matériel de navigation ainsi que le boom du marché de la location attirent plus de consommateurs novices. La location ouvre la navigation à de nouveaux utilisateurs, qui ne seraient pas venus à la voile si les catamarans n’avaient pas été mis à leur disposition, nous précise Emmanuel Allot. Associée à des dispositifs de défiscalisation, cette nouvelle affectation donne des ailes inextinguibles aux architectes et aux chantiers, qui se penchent sur l’amélioration du produit, c’est le boom du multicoque en plaisance. La rationalisation des aménagements, l’emplacement des équipements pour optimiser les manœuvres, le confort et la facilité de la vie à bord sont devenus un atout crucial pour séduire la clientèle. Concrètement, les hublots se transforment en de véritables fenêtres profilées, les portes de cockpit deviennent vitrées et coulissent. Les carrés deviennent beaucoup plus conviviaux, avec des banquettes plus à niveau. Les cuisines s’équipent systématiquement de matériels comme des fours et un compartiment froid performant. Sur les grandes tailles, on assiste à l’adaptation marine d’équipements inhabituels jusque-là sur nos bateaux, comme le lave-linge ou le lave-vaisselle. Les couchages deviennent des lits occupant toute la largeur, les salles d’eau s’isolent par de véritables portes, et des soutes avant cloisonnées apparaissent. Et cela allait très bien comme ça, nous confirme Marc Van Peteghem, pour satisfaire chantiers et utilisateurs à cette époque.

Evolution du Multicoque Partie 2

La visibilité a bien évolué en trois décennies, entre le Catana 40 et le Lucia 40…

Demeure au large

Au cours de cette décennie, la fantastique épopée du multicoque de course au large fait prendre son essor au catamaran de série. Boostée par des vacanciers avides des plaisirs tropicaux tout récemment démocratisés, par des circumnavigateurs qui ne se contentent plus de l’embarcation baba cool des mers du Sud. La production s’adapte peu à peu aux nouvelles exigences du plaisancier réclamant hautes performances et standing élevé. Car la demande a évolué. Alors qu’une certaine tolérance mettant le bon sens marin en avant était encore de mise, ce début de XXIe siècle a fait naître de nouvelles revendications chez la clientèle, et même une intransigeance sur certains points. Ainsi, le voilier de l’an 2000 ne doit plus faire d’eau ! Ni par la coque, ni par le pont. On doit pouvoir prendre sa douche sans se soucier d’arroser partout. La cuisine doit être bien équipée, la chasse aux mauvaises odeurs ayant investi les plans d’eau, et l’air conditionné est présent sur des unités de plus en plus petites. En un mot, finitions high tech et équipements optimum sont désormais les passeports de la navigation. Ainsi voit-on nos catamarans opérer la verticalisation des hublots, permettant d’améliorer nettement la visibilité en même temps que d’augmenter la surface de leur carré, puisque les dossiers des fauteuils viennent les affleurer. L’ouverture sur le cockpit s’agrandit, laissant place à une double baie vitrée coulissante, et la cuisine, maintenant équipée de hotte aspirante, qui était souvent cantonnée entre deux cabines sur un 40’, prend place désormais entre carré et cockpit grâce à l’espace gagné. Sur les plus grandes unités, elle s’octroie la fonction supplémentaire de cuisine américaine-bar desservant carré et cockpit. Il faut dire que la clientèle s’est doucement internationalisée et commence à s’étendre vers le Proche-Orient, l’Asie et les Amériques. Ainsi, la location à la cabine avec skipper se développe auprès de néophytes pour qui la promiscuité marine est inconnue. Alors que l’on partageait auparavant une salle d’eau, un 12 mètres est maintenant équipé de quatre cabines indépendantes avec leur salle d’eau privative. Et, dès que la taille le permet, les cabines de douche séparées apparaissent, souvent dans les suites propriétaires, qui occupent toute une coque. Ces bateaux deviennent énergivores, car le confort hôtelier est devenu primordial pour passer de bonnes vacances. Groupes électrogènes, dessalinisateurs, parc de batteries fleurissent à bon train. Bien sûr, tout cela a un dénominateur commun, le poids. Alors, pour remédier partiellement à cette obésité sédentaire, les chantiers n’hésitent pas à faire appel aux matériaux légers de haute technicité, et les brochures marketing se fardent de mots tels que Kevlar, carbone, époxy, bien connus de la course au large, et d’autres, issus de la grande plaisance, comme placage, sécurit et autre feuillage. Les constructions en sandwich deviennent de plus en plus sophistiquées pour les structures et pour les aménagements.

Evolution du Multicoque Partie 2

La visibilité a bien évolué en trois décennies, entre le Catana 40 et le Lucia 40…

Meublé sur l’océan

Puis, vers la fin des années 2000, tout s’accélère. La grande plaisance a donné son influence. En one-off, on construit le bateau autour des aménagements selon Jean-Jacques Coste. Suite à la crise de 2008, les desiderata d’une clientèle plus rare et hétéroclite déteignent sur la production. En Chine, un voilier sur deux vendu est un catamaran, nous dit Bruno Belmont, et la particularité de ces pays émergents est qu’ils n’ont aucun a priori, renchérit Jean-François Fontaine. Pour Catherine Relandeau, le motor-yacht, plus avancé en termes de confort, fait de plus en plus référence. Ceux qui commencent à louer à la cabine ne veulent pas entendre parler de restriction d'eau. Pour d’autres, le catamaran devient une plate-forme de loisir sur l'eau avec un niveau de confort comparable à celui d’une suite dans un hôtel de luxe. Côté navigateur au long cours, le grand voyage évolue, on reste connecté avec la terre avec le même traitement qu’à la maison. Plus aucun sacrifice au confort n’est envisagé. Les propriétaires ont de grands lits à la maison, alors, pourquoi s’en priver en bateau ! Et les chantiers s’adaptent. La limitation en eau ou en énergie n’est même plus imaginable. Le dessalinisateur, l’air conditionné et le groupe électrogène deviennent le standard. Pour ne plus se cogner, la hauteur sous barrot avoisine les deux mètres partout, les lits des cabines propriétaires passent en king size, et les cuisines comportent systématiquement lave-vaisselle, micro-ondes, machine à expresso, et même le tri sélectif. Les cabines de douche sont séparées de la salle de bains et le lave-linge devient séchant.
En observant un catamaran des années 90 et son homologue actuel, l'évolution est frappante. On peut même parler de révolution ! L'agrandissement des cockpits avant et arrière, des jupes et des flybridges permet de proposer de nombreux nouveaux espaces de vie et de maximaliser le farniente, tout comme l'augmentation de la largeur des coques (de 1,70 m à 2,50 m sur un 42’), de la hauteur de franc-bord (environ 25 cm en 25 ans, et idem pour le roof) ou des caractéristiques telles que la largeur des roofs, leur forme rectangulaire plutôt que demi-irculaire et leurs montants plus verticaux, ou encore l’accroissement des surfaces de vitrage du carré (de 8 m2 à 11 m² sur un 55’).

Evolution du Multicoque Partie 2

Au fil des évolutions, les espaces de vie ont totalement changé, jusqu'à offrir des espaces carré-cockpit d'un seul tenant aujourd'hui…

Le pied à la mer

Mais toutes ces dimensions croissantes n’expliquent pas tout. Les chantiers ont compris qu'il fallait proposer volume et espace dans un bateau qui navigue autour du monde, confortablement, facilement, vélocement et sûrement, mais aussi… agréablement. Alors, un autre facteur a pris une nouvelle prérogative, le design intérieur. L’ergonomie et la multiplicité des espaces comptent tout autant et favorisent à la fois le bien-être à bord et l'intimité en améliorant le repos. Maintenant, chaque geste, chaque moment, position ou situation est étudié, nous disent les designers, qui sont devenus les spécialistes incontournables de l’organisation intérieure. Et les progrès sont incontestables, chaque centimètre carré est exploité pour procurer de la hauteur, placer un meuble ou un équipet, ou même un dressing. Chaque perspective est calculée pour fluidifier la circulation, et le carré joue le rôle d’une scène de théâtre distribuant les chambres ainsi que les terrasses arrière et avant, et dont la visibilité est encore améliorée par l’absence d’angle mort. Le rangement a subi aussi une révolution, nous précise Franck Darnet. Il est bien fini le temps où l’on devait se mettre à quatre pattes en vidant tout le contenu du coffre sous les banquettes pour attraper l’objet convoité (forcément au fond !), on tire simplement un tiroir comme celui d’une commode. Il n’est plus nécessaire de mettre sa frontale et de partir en spéléologie dans la glacière pour chercher le beurre, on ouvre la porte d’un vrai réfrigérateur armoire. Pour se lever, on pose le pied à terre sur le côté du lit et un petit bureau reçoit le portable pour expédier les affaires courantes. Puis, l’esthète qu’est devenu le navigateur est congratulé, la décoration intérieure fait la part belle aux surfaces épurées, aux intérieurs lumineux générés par l’agrandissement des hublots de coque. Les menuiseries high tech en plaquage d’essence claire remplacent les classiques acajou et teck.

Evolution du Multicoque Partie 2

Le plan de travail des cuisines est passé de 0,5 m2 à 1,5 m² en quelques années. Et l'équipement permet d'y réaliser des repas dignes de restaurants étoilés.

Quant aux cockpits, ils s’équipent de froid, évier et barbecue intégrés. Les cordons bleus ne sont pas en reste, un vrai plan de travail en L avec 1,5 m² de surface est le minimum requis sur un 40’. Côté équipement, rien ne manque, le four nautique trop petit est remplacé par celui de la maison qui monte à 300°, parfois un four à vapeur permet de suivre les bonnes pratiques du culinairement correct. Enfin, plus besoin d’aller à terre se faire une toile, il suffit de rester à bord, car le multimédia a fait son entrée et le home cinéma est dispatché dans tout le bord. Et tout ça avec la possibilité de… planer dans certaines conditions de vent et d’allure, car le confort actif est tout aussi privilégié que le confort passif. Il faut reconnaître que les mouvements se font plus en souplesse qu’auparavant. La preuve avec cette anecdote de notre redac chef : qui à l’heure de l’apéritif, le bateau planant à presque 20 nœuds, la prise diligente d’un ris n’avait pas suffi à renverser le breuvage dûment abandonné sur la table du carré !

Performance maximum, facilité de manœuvres et surtout agencement d’un appartement urbain avec vue sur mer sont devenus le minimum pour tout nouvel acquéreur. Et comme chaque acheteur est différent, le choix des possibilités d’aménagement intérieur devient multiple. Ainsi, l’ingéniosité des concepteurs permet de proposer en standard jusqu’à cinq ou six versions afin de s’adapter à chaque cas, du prêt-à-naviguer sur mesure, en quelque sorte. Le challenge pour demain, outre de rendre la dépense énergétique environnementaliste, sera de faire de bon voiliers toujours plus rapides, plus doux, tout en ayant de bons volumes intérieurs et en étant encore plus faciles à manœuvrer. Les foils pouvant soulager le poids et amortir le passage en mer sont une des pistes, selon Marc van Peteghem. Nigel Irens mise, lui, sur la longueur pour allier vitesse et confort, et pour les manœuvres, la génération presse-bouton semble inévitable pour un proche futur. Nous suivrons ce passionnant défi…

Evolution du Multicoque Partie 2

Le plan de travail des cuisines est passé de 0,5 m2 à 1,5 m² en quelques années. Et l'équipement permet d'y réaliser des repas dignes de restaurants étoilés.

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