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4 semaines en mer Entre Afrique et Brésil

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"La transat, c'est un véritable rêve qui trotte dans ma tête depuis l'enfance et mes premières navigations. Avec le temps, l'objectif a un peu évolué. Il n'est plus question d'apprendre des choses sur le plan technique (quoique ?), mais bien de savoir comment je vais réagir aux quelque 3 semaines de mer qui m'attendent. Dans cette logique, cela aurait pu être un autre parcours, ce n’était pas la transat qui était importante mais le temps passé en mer.
Sans être mystique ou religieux, je pense que la meilleure comparaison, c’est la retraite dans un monastère ou un pèlerinage, tu quittes le monde pour te retrouver dans tes rêves, tes livres… Mais ici, il va y avoir en plus le plaisir de naviguer, et naviguer longtemps, car mes vacances en bateau, je les trouve toujours trop courtes. Qu'en sera-t-il cette fois-ci ?

12 décembre 2014

C'est le grand jour. Je quitte le bureau pour me rendre à l'aéroport pour un premier périple aérien qui doit me mener en Afrique du Sud, au Cap, via Londres. Les différents retards et les nombreuses heures d'attente dans les différents aéroports me permettent de réfléchir à ce projet qui me tient à cœur depuis si longtemps. Mais comment vais-je donc réagir après 20 jours (minimum) de mer alors qu'aujourd'hui je n'ai jamais passé plus de 2 ou 3 nuits en pleine mer ? Et le maximum de jours en croisière ? Une quinzaine, là on part pour 3 semaines ! Et puis, comment allons-nous organiser les quarts ? Le vol de Londres au Cap est franchement confortable, avec un ciel parfaitement dégagé. Je trouve dans ce vol un grand réconfort, enfin surtout de chaleur humaine, mon voisin fait 1,90 m et 120 kg. Allez, un bon film avant de dormir, Expendables 3...

Transat entre Afrique et Brésil

Après quelques jours à attendre le feu vert, c'est enfin parti : cap sur le Brésil.

13 décembre 2014

Arrivée au cap après 11 heures de vol. Ici, il fait beau, avec un grand soleil et les bateaux qui régatent dehors. Mike, le skipper, m'accueille chaleureusement et on rigole des 17 jours annoncés pour notre transat vers le Brésil.
Nous serons quatre pour cette traversée :
Captain : Mike, la cinquantaine, travaille exclusivement pour TUI Marine en indépendant. Il a convoyé tous les Leopard, dont plusieurs 48 comme le nôtre.
First mate : Edouard, la petite trentaine, navigue vraiment depuis peu de temps (5/6 ans). Il a fait son premier convoyage avec Mike et a ensuite continué sur d’autres bateaux avec à l'occasion des Leopard.
Il est chef-cuistot quand il est à terre.
Crew : Helen fête aujourd'hui ses 29 ans. Elle n'est pas sud-africaine, comme les deux précédents, mais hollandaise. Elle est aussi la copine d'Edouard, semble avoir moins d'expérience que je ne le pensais. Elle est là pour apprendre...

14 décembre, la préparation

On démarre tôt, mais à la cool, vers 8 heures. Ménage, installation, je prends mes marques sur le bateau. Je dois aller faire quelques courses : un drap, mon coussin et surtout les petits extras de sucreries qui ne font pas partie de la cambuse mais qui vont être tellement indispensables à ma bonne humeur !
Le bateau pour cette transat n'est pas en mode croisière, mais en mode convoyage. Tout ce qui peut être fragile est protégé : coussin, gazinière (grille custom et papier alu de protection), toutes les vis et petites pièces d’inox sont passées à la vaseline. Même le triangle avant est fortement protégé pour éviter le ragage du génois. Toutes les tables et tous les plans de travail sont protégés, ainsi que les chants des meubles. Le bateau doit en effet être comme neuf à son arrivée.
Nous sommes prêts. Enfin, pas vraiment, car, comme pour tout convoyage, on attend du matériel avant de pouvoir partir. Et ce qui nous manque n'est pas anecdotique, puisqu'il s'agit du radeau de survie et du plein de fuel... Il y a semble-t-il des gros problèmes de fuel en Afrique du Sud. Les centrales nucléaires ne sont pas assez puissantes et tombent même parfois en panne. Du coup, les autorités font appel à des générateurs diesel, réquisitionnant ainsi tout le carburant. Donc, il n'y a plus rien à la pompe !!!!!
Il faudra encore attendre deux longues journées avant de pouvoir enfin partir, radeau embarqué et papiers de sortie signés. Deux jours mis à profit pour aller visiter le chantier Leopard (1 100 ouvriers à ce jour) et découvrir le nouveau 40 pieds.
Même si je suis frustré de ne pas encore être parti, je ne suis pas mécontent non plus, il y a 30/35 nœuds dehors, et pour une mise en route, cela aurait certainement été difficile pour mon estomac.....
Demain, on attend une vingtaine de nœuds, et ce sera donc plus acceptable.
Dernière bonne nouvelle avant l'appareillage, nous venons de récupérer un autre spi de convoyage, semble-t-il plus grand que celui qui était à bord. Et puis je suis aussi allé me chercher un meilleur mug pour pouvoir boire un grand thé le matin. Je suis fin prêt, comme tout l'équipage et le cata, pour cette belle aventure qui s'annonce.

Transat entre Afrique et Brésil

La vie en pleine mer peut être humide... surtout quand les conditions sont musclées !

Départ : objectif Brésil !

Dernière douche, dernière lessive. On remplit tous les réservoirs et bidons d'eau et on va à la douane.
Midi : nous sommes enfin partis par 20 bons nœuds de vent apparent, grand-voile à 2 ris et génois partiellement enroulé. Tout le monde arbore un grand sourire. Ça avionne. On attaque les quarts : nous tournons à 3 et Helen se greffera avec chacun de nous. Etant la moins expérimentée, elle ne prendra pas de quart seule, tout du moins au début de la traversée.
Tout le monde est content et en forme. Mais étonnamment, l'équipage au complet (sauf votre serviteur) décide de faire confiance au GPS et de ne pas jouer avec le sextant pour l'instant. C'était pourtant l'un de mes rêves !
Pour prendre le temps de nous amariner, nous décidons aussi que, ce midi et ce soir, ce sera snack ; personne aux fourneaux pour commencer... Je finis mon quart à 14 heures après avoir été salué par les dauphins, et reprends à 21 heures. Le vent est monté, on a maintenant 25 nœuds apparent à 110° du vent. On marche à 7/8 nœuds.
Je croise mon premier cargo et... on se retrouve à 3 en fin de ce quart (à minuit donc) pour affaler la grand-voile. Le vent est monté et on a 30 établi en apparent (35 dans les claques). C'était sympa, je me suis payé des surfs à plus de 13 nœuds et même un record à 14,8 !!!!!! Mais là, il est temps de réduire...
Le lendemain matin, à 6 heures, je remonte sous la grisaille. RAS, on navigue sous génois seul. Le soleil se dégage en fin de quart. Après la vaisselle, un second thé au goût de plastique et une toilette sommaire (il faut économiser l’eau, et seules les mains et les dents ont le droit d’être propres…), je retourne faire une sieste. 5 heures de sommeil, ce n’est pas suffisant, surtout en vacances, et en plus je ne reprends qu’à 6 heures ce soir.
J’ai oublié de vous préciser qu’il fait froid, très froid même, et le pantalon et la polaire sont indispensables toute la journée, de même que les chaussettes et chaussures dès que le soleil se cache. La nuit, c’est la tenue complète qui s’impose, dont le bonnet pour ne pas mourir gelé…
Il fait 18/19° en journée, mais à l'ombre et avec le vent, encore 18/20 nœuds apparent il ne fait vraiment pas chaud, pour ne pas dire qu’on caille… Cela devrait durer la semaine, semble-t-il, et ce serait normal, selon les anciens.

Les journées s’écoulent tranquillement entre les quarts et les corvées. Le vent reste établi autour des 15 nœuds sous un ciel nuageux, mais au fur et à mesure des jours, il fait un peu moins froid. La journée, nous sortons les lignes de traîne et nous bricolons des protections contre le ragage. Et puis nous préparons le gennaker, mais le vent n'est pas encore assez de l’arrière pour nous permettre de l’utiliser.
Quand le vent mollit, nous faisons un peu de moteur pour continuer à avancer. Mais à bord, le maître mot est préservation du bateau. On navigue avec un ris en permanence au portant pour éviter le ragage sur les barres de flèche. Mais, même avec un ris, à 90 de l'apparent, le bateau est à 7 nœuds dès 10 nœuds de vent apparent, et c'est vraiment super agréable.
Après quelques jours, Helen est devenu parfaitement opérationnelle et elle peut donc prendre ses quarts, ce qui libère du temps pour chacun d’entre nous. J'ai noté que, depuis le départ, chacun vaque à ses occupations par toutes petites périodes, on lit 20 minutes, on discute 10 minutes, on bricole 15 minutes... et on discute encore.

Transat entre Afrique et Brésil

Les premiers jours, il fait froid, et la tenue intégrale est de rigueur…

19 décembre

Il ne m'aura fallu que trois nuits pour commencer à parler au bateau (nommé Bessie par Edouard), tout cela pour lui demander de faire remonter le vent qui ne cesse de tomber… Mais la bougresse ne m'écoute pas et la fin de quart se fait au moteur. Après mon quart, je vais me recoucher et j'émerge de ma cabine vers 10 heures pour découvrir notre première prise : un thon de 30 kg !!!! (à la pesée électronique, pas à vue d'œil, exagéré !). C'est le record du capitaine, et le mien par la même occasion. Impressionnant. Aujourd'hui, au menu, ce sera sushi, et on congèle le reste en steaks. Les lignes sont remontées, que faire d'un autre thon ?
Aujourd'hui est aussi un jour un peu particulier pour moi : j'ai emmené à bord le sextant familial pour lui faire faire sa première transat. Bien amariné, je profite de cette belle journée pour faire mon premier point et... j'ai dû griller quelques étapes car je nous situe à quelque 300 milles au large de l'Angola ! Je reprends donc les cours en commençant par la méridienne, résultat demain midi. Le reste de l'équipage en rigole encore et prétend même que, selon mon point, nous remontons une rivière au Congo, attention aux alligators !
Le lendemain, le vent est de retour et nous marchons entre 7 et 8 nœuds. Avec ce vent revenu au sud, on affale toutes les voiles et on balance le spi asy de convoyage : confort assuré, plus de voile qui claque à chaque vague.
J’y ai pensé tout mon quart : pas possible que le thon fasse 30 kg... C'est 30 livres, la balance était réglée sur la mauvaise unité !
Le vent tombe dans la journée, et c’est reparti au moteur jusqu'en fin de nuit.
Ce qui est surprenant, c'est que, depuis le départ, rien ne peut altérer l'humeur de l'équipage. Est-ce un phénomène général en mer au large ? Une situation qui pourrait changer (cela ne fait que 4 jours que l'on est partis) ? On passe nos journées à rigoler quand on discute. Est-ce l'éloignement des problèmes quotidiens de la terre (factures, problèmes au travail, la misère à la télé, dans les journaux...) ? Ici, rien de tout cela, on profite, tout simplement !

21 décembre

Je prends mon quart à 10h00. A 3 heures, les premiers muffins faits par Helen sortent du four, au top ! Après la sieste, j'aide Mike et Edouard à vidanger les boîtes, déjà 25 heures d'utilisation...
Au niveau météo, nous sommes en bordure d'anticyclone, que l'on essaie de contourner, mais, plus on monte, plus il monte... Il faudrait monter jusqu'à Sainte-Hélène pour l'éviter avant de "tourner à gauche", mais les calculs montrent que cela ne serait pas pour autant plus rapide car on ferait beaucoup plus de route. On décide donc de faire route directe au 270 au moteur, le vent étant aux abonnés absents pour les jours à venir. Les prévisions nous laissent quand même espérer du vent pour la fin de semaine...
Aujourd'hui, je travaille la qualité de mes relèvements au sextant ; par manque de soleil, je n'ai pas travaillé les jours derniers. J'ai réalisé que j'étais trop approximatif au niveau de ma mesure et du timing. Je vais me focaliser sur ces deux points, en laissant mon iPad faire les calculs. Une fois que j'arriverai à avoir une position acceptable, je me plongerai dans les calculs.
Même au moteur, c'est un vrai bonheur d'être en mer, c'est une vie très simple : on s'occupe du bateau, bien manger, bien dormir, lire, encore lire (je devrai finir aujourd'hui mon cinquième et dernier livre) et enfin rêver... Par rapport aux premiers jours de mer, le rythme du bord s'est considérablement ralenti, il y a moins d'excitation, tout se fait plus lentement. On prend le temps de vivre au rythme des quarts, on ne se presse plus comme à terre, on n'a pas d'urgence, de rendez-vous important ou besoin de regarder sa montre pour aller faire les courses !
Après les vidanges et le plein moteur, on s'arrête pour faire un plouf, l'eau est au moins à 20°, c'est le top pour un 24 décembre.

Transat entre Afrique et Brésil

La pêche a été bonne, mais la balance un peu optimiste sur le poids de nos prises…

25 décembre, on glisse à la voile…

Pour Noël, je vais essayer d'appeler la famille. Hier, pour une raison inconnue, les mails et les textos passaient, mais pas les appels.... Les joies de la technologie ! Pendant mon quart, j'assiste à une chasse de dauphins, c'est assez impressionnant, ils sautent, foncent dans tous les sens, mais sans jamais se cogner. Quel spectacle !
La ligne a été remise à l'eau. Après seulement 2 heures, nous avons une dorade à bord. On garde les filets pour demain car, pour Noël, nous avons prévu de la viande...

28 décembre

Nous avons eu une nuit agitée (enfin, moi, j’ai dormi). Le vent a tourné dans tous les sens, mais maintenant, on bombarde enfin dans la bonne direction. 34 milles pendant mon quart de 4 heures, c'est bien... Nous sommes à 110/120 de l'apparent avec 15/20 nœuds de vent, mais les surfs sont limités car la mer est croisée. Je ne sais pas si je verrai un jour la belle grande houle atlantique dont on parle dans tous les livres...

Transat entre Afrique et Brésil

Arnaud s'arrête au Brésil, mais le Leopard 48 et son équipage continuent jusqu'en Polynésie.

31 décembre

Humeurs maussades en ce dernier jour de l’année, on est maintenant au près, mais pas dans la bonne direction... Même si le bateau passe bien et va vite, ce n'est pas facile de se réjouir. Heureusement, Edouard fait des beignets pour nous remonter le moral.
La mer est trop formée pour que je me lance dans des relevés au sextant, je préfère lire Longitude de Dava Sobel, histoire passionnante de la mesure de la longitude.
Les prévisions météo ne sont pas bonnes, mais comme le temps est très instable, ça ne sert à rien de trop se prendre la tête...
Le lendemain, nous fêtons la Nouvelle Année alors que le vent tombe. On reprend un cap plus cohérent, même si nous ne sommes pas encore sur la route directe : il faut encore contourner une dépression... Avec le retour d’un temps plus maniable, on reprend un certain nombre d'activités, c'est a posteriori que je réalise combien on limite ses actions dès que cela devient inconfortable...

3 janvier

Réveil à 00:00. C'est le top, le vent est là et parfaitement orienté (enfin au près bon plein, le portant sera pour une prochaine transat). Avec 20/22 nœuds, nous naviguons entre 7,5 et 9 nœuds, ça fonce… A nous les petites Brésiliennes !

Transat entre Afrique et Brésil

Un grand plouf au beau milieu de l'Atlantique le jour de Noël. Le plus beau des cadeaux !

6 janvier

Deux jours que nous sommes sous spi. Top !!!! La météo se confirme et on devrait théoriquement faire de la voile jusqu' à Santos.
Cela fait exactement trois semaines que l'on est en mer. Le temps passe à une vitesse folle, les journées se ressemblent toutes un peu et pourtant nous ne nous ennuyons jamais. Une vie paisible, sans stress, faite de petites choses simples ; je commence à comprendre pourquoi certains n'arrivent pas à se réacclimater à une vie de terrien sédentaire après un long voyage....
C'est le seul point négatif de cette dernière semaine, il faut commencer à préparer le retour, billet d’avion, transfert de Santos à Rio.... Je continuerais volontiers vers Tahiti avec le reste de l'équipage.

Transat entre Afrique et Brésil

La terre se profile à l'horizon. Dernier quart et derniers moments de solitude avant le retour sur terre.

8 janvier

Je suis de quart de 3 à 6 h et le vent a continué à monter plein largue. Nous avons 20/22 nœuds, un ris dans la GV et du génois. La mer est forte, et je turbine à 10 nœuds avec des surfs à 14 !
Quand je remonte vers 10 heures après ma sieste, c'est un nouveau monde qui se présente : 30 nœuds au largue avec 2 ris et foc partiellement roulé. Ce ne sont plus des surfs à 14 nœuds mais à 17... Youpi !
A ce rythme, on va arriver demain matin. L'agent local Leopard nous attend sur le pied de guerre, il a organisé des portes ouvertes samedi... On passe donc la soirée à commencer à déballer le bateau de ses protections de convoyage. Demain va être une journée chargée, ménage, douanes immigration et enfin... première bière à terre.

Les leçons d'une transat

- On ne s'ennuie pas au large (ceux qui s'ennuient au large doivent forcément aussi s'ennuyer à terre !).
- Même sous ces latitudes, il faut prendre de quoi bien se couvrir.
- Prendre beaucoup de livres, des livres nécessitant plus d'attention que des lectures habituelles de vacances (on est très disponible, en mer)...
- Si vous devez jouer avec votre sextant, n'hésitez pas à prendre un bon cours pour réviser ou apprendre (j'ai été contraint de me limiter à travailler mes relevés faute de bons souvenirs et de cours clairs).
- Il faut le faire et y retourner. En course, pour progresser en technique et travailler la météo, et en famille ou avec des amis, pour partager ce moment incroyable.
- J’ai, au final, attendu trop longtemps avant de réaliser mon rêve de transat (j’avais eu une occasion pour une transat retour que j’ai laissé passer pour aller rater un exam à la fac !). La réalité est que cela peut très bien se faire tout en étant en activité. Ma prochaine nav sera une transpacifique pour rester encore plus longtemps en mer...

Transat entre Afrique et Brésil

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