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John Robertson : la patte Sud’Af !

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Dès les premiers mots échangés, nous savons que l’on a affaire à la bonne personne. Alors que son chantier est présent aux quatre coins du monde et que lui-même réside aux Etats-Unis depuis l’an 2000, nul ne risque d’oublier ses racines sud-africaines, l’accent qui vient saccader, trancher l’anglais de John est immédiatement reconnaissable. Sa carrure imposante aurait pu faire un malheur au rugby. Stature de commandeur, on pense en le voyant aux Moai, ces statues de l’île de Pâques qui ont inspiré la décoration intérieure des Leopard que l'on peut découvrir au salon de Miami où nous le rencontrons.
Nous cherchons un lieu à l’abri de la foule de visiteurs qui transite par l’immense tente Leopard de Strickly Sail à Miami. De nombreux propriétaires veulent saluer John, et ce dernier ne manque pas de solliciter leurs retours sur ses bateaux. De même, des visites des autres catamarans présents, il n’en manquera pas beaucoup. Avec beaucoup d’humilité, il arpente les pontons, à la recherche de l’idée, du détail, de l’innovation qu’il aurait pu manquer. Nous nous retranchons en altitude. Tout là-haut, nous profitons de l’immense salon du flybridge du Leopard 58 pour nous installer au calme. Un vrai luxe en pareilles circonstances. Robertson & Caine fête le jour même ses 25 ans ! John précise que les documents d’enregistrement de la société portent la date du 14 février 1991. Un jour de Saint-Valentin, ça ne s’oublie pas, et surtout cela semble avoir porté chance au chantier sud-aAfricain.
Mais la chance, comme souvent dans le monde de l’entreprise, a peu à voir avec ce succès. Car si le chantier était à l’origine localisé dans un quartier de Cape Town baptisé Woodstock, ses dirigeants n’ont rien de beatniks. Ils agissent au contraire en businessmen avisés. John a ainsi convié à cet entretien: Schaunn, le représentant Capital Works, récent et important actionnaire de Robertson & Caine, ainsi que Gwen Bernard, la directrice marketing de TUI Marine. Ce dernier est un partenaire historique du chantier, devenu à la fois son distributeur exclusif et son premier client pour le compte des flottes Moorings et Sunsail. Tout John Robertson est là : courtoisie, professionnalisme et reconnaissance dans ce petit moment d’histoire. Fidélité aussi, à son ami Jerry Caine disparu trop tôt, mais dont le nom reste pour toujours associé au chantier et dont John évoque le souvenir avec émotion.
Assez discrètement, mais sûrement, Robertson & Caine est devenu le deuxième constructeur mondial de catamarans de plaisance. "Le numéro un aux USA et dans les Caraïbes, le plus grand fabricant de catamarans de l’hémisphère sud !" glisse John plein d’emphase dans un sourire malicieux. Pas besoin d’en rajouter. En un quart de siècle, il lui suffit de rappeler un chiffre. Plus de 1 400 catamarans ont été fabriqués et livrés par la mer, partout dans le monde. A 63 ans, il peut être fier de son parcours, l’enfant de Cape Town. Ingénieur en mécanique de formation, il aurait pu faire carrière dans les mines de diamant, secteur dans lequel il débuta sa vie professionnelle. Mais sa passion pour la navigation était trop forte. Passion, un mot qui revient comme un leitmotiv. Passion pour la construction navale. Passion pour la régate. Passion pour les gros voiliers custom. Pour celles qui sont avouées. On peut y ajouter la passion du détail, de la technique, de l’innovation…
Entre 1968, année où il construit son premier bateau, et l’avènement de Robertson & Caine, il aura tout connu des tourments du patron de chantier naval. Le premier s’appelle tout simplement John Robertson Yachts. Il produit de petits monotypes One Design et subit les fluctuations du marché et les aléas des modes. Quand il signe un contrat pour la construction de deux monocoques de 63’, c’est l’euphorie, puis le stress des halls d’assemblage vides une fois terminés. Au gré des vicissitudes et des nécessaires recapitalisations, sa participation tombe à 10 % et il préfère repartir de zéro, mais en ayant le contrôle. La chance souriant aux audacieux, outre Jerry Caine bien sûr, ce nouveau départ sera béni de magnifiques rencontres. Tout en humilité, John dit et pense que ce sont eux qui ont donné l’élan et la trajectoire qui ont fait de Robertson & Caine l’entreprise qu’elle est aujourd’hui. Il y a d’abord Ellian Perch. Une perle rare, à entendre John. A la fois un visionnaire et un financier hors pair. Alors que le chantier est retenu, et avec quel succès, pour la production des monotypes Mumm 36, une autre rencontre va faire basculer le destin de l’entreprise, c’est Lex Raas. Lui aussi est un visionnaire, et à la tête de la société de charter The Moorings, il a la géniale intuition que le catamaran va envahir le marché. Surtout si on l’adapte parfaitement aux attentes de la clientèle, qui est en premier lieu nord-américaine. Peur de perdre le contrôle ? Manque de vision ou conservatisme ? Là où les chantiers européens font la sourde oreille, Robertson & Caine voit l’opportunité de générer enfin des volumes susceptibles d’assurer la pérennité de leur bébé. Le premier contrat est signé en 1996 avec le Leopard 45. Et la machine est lancée, 10, puis 20, puis 30 bateaux par an sortent des ateliers de Woodstock. Un partenariat jamais démenti. Aujourd’hui, on en est plutôt à 200 par an, 4 par semaine, sortant de 6 usines, employant près de 1 300 personnes !
Depuis, John a déménagé aux Etats-Unis, pour être au plus près de The Moorings, qui est devenu bien plus qu’un client. Un véritable partenaire, toujours présent 20 ans après, dans les bons comme dans les mauvais moments. Qui apporte une perspective, mais aussi le retour de l’expérience intensive de milliers de clients charter aux quatre coins du monde. Simon Scott assurant la direction générale, John peut se consacrer avec délectation au développement des produits. Il précise que cela se fait toujours en étroite coopération avec Franck Bauguil chez TUI Marine, la maison mère de The Moorings. Sans oublier bien sûr les 10 designers maison et les deux duos d’architectes qui collaborent depuis toujours avec le chantier : Morelli-Melvin et Simonis-Vogdt. Il est comme ça, John, rendant systématiquement hommage aux équipes, comme s’il ne voulait surtout pas être trop dans la lumière. De retraite il ne semble vraiment pas question tellement il est passionné par ce qu’il fait. Les tests produits étanchent sa soif de navigation. Comme pour la régate autrefois, partir en croisière en vacances lui rappellerait trop le travail ! Heureux homme…
Alors, quand il s’accorde quelques moments de loisir, il sillonne les plans d’eau à bord de son modeste Sea Ray, et est fier de voir sa fille prendre le relais sur l’eau, passion familiale pour la voile oblige ! Lui continuera encore longtemps à mettre sa patte sur le dessin des Leopard !

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